1. Une société repliée sur ses craintes
a. La peur du chômage et de l'exclusion
En 1994, la France compte 3,5 millions de chômeurs, soit un
million de plus qu'en 1990. Le début de la décennie
1990 est donc marqué par un fort accroissement du
chômage, lequel était basé sur un niveau
déjà très élevé. Cette
recrudescence du taux de chômage s'explique par le
ralentissement économique à partir de 1990, puis
par l'entrée dans une phase de récession à
partir de 1993. En plus de ces causes liées à la
croissance, le chômage se justifie par l'évolution
technologique, par le coût élevé du travail,
notamment pour les jeunes sans qualification et aussi par la
politique économique très stricte suivie dans le
cadre défini par le traité de Maastricht :
réduction des déficits et de la dette, limitation
de l'inflation.
Le chômage des jeunes est notamment très
élevé : un jeune actif sur quatre est au
chômage au début des années 1990. Le
chômage devient un chômage de longue
durée : plus d'un chômeur sur trois est sans
emploi depuis plus d'un an à la même
période. Même parmi les actifs, la situation n'est
pas facile et caractérisée par
l'instabilité : beaucoup vivent de
« petits boulots » ou de contrats
à durée déterminée. Mais le plus
dramatique est le sort des exclus, et notamment des SDF (Sans
Domicile Fixe), qu'on estime à près de
400 000 en 1994.
Cela génère une profonde inquiétude
sociale, et un pessimisme certain. La dépression
économique provoque un repli sur soi, et une peur de
l'avenir qui se traduisent notamment par la baisse de
l'indicateur de fécondité : il passe
à 1,65 en 1993. La France compte
35 000 naissances de moins en 1993 qu'en 1992.
b. Les craintes suscitées par le progrès
Les générations des Trente Glorieuses avaient
montré leur confiance dans le progrès technique. A
partir des années 1970, une certaine remise en cause
de la société de consommation apparaît. Elle
s'amplifie sensiblement durant la décennie 1990. Les
Français sont ainsi de plus en plus réceptifs aux
thèmes développés par les
écologistes, sur la pollution de notre environnement, et
sur les menaces qui pèsent sur la qualité de l'air,
de l'eau mais aussi de notre nourriture. Les Français
s'inquiètent de plus en plus des conditions de production
de l'alimentation : veau et poulet dopés aux
hormones, crise de la « vache folle »
éveillent de nouvelles peurs.
La mondialisation crée aussi des angoisses dans la mesure
où elle remet en cause des traditions profondément
ancrées. L'ouverture au monde suscite des
phénomènes de rejet. C'est ainsi qu'on peut
expliquer des oppositions radicale à l'ouverture
internationale, comme l'appel à la destruction des
restaurants Mac Donald's par José Bové, ou bien les
manifestations anti-mondialisation. On voit aussi se
développer des phénomènes identitaires de
valorisation de cultures régionales, comme la culture
corse ou bretonne.
c. Les thèmes sécuritaires
Durant la décennie 1990, de plus en plus de
Français sont réceptifs aux thèmes
sécuritaires. Le développement de la violence,
notamment dans les banlieues des grandes villes, suscite la peur
des habitants. L'augmentation de la petite délinquance, du
trafic de drogue, mais aussi de la violence des
« casseurs » engendre un
phénomène de ghetto, puisque les policiers mais
aussi les médecins hésitent à
pénétrer dans certains quartiers.
Dans ce contexte, les thèses du Front national, parti
d'extrême droite de Jean-Marie Le Pen, rencontrent un
écho favorable. Trouvant dans la population
immigrée un bouc émissaire aux problèmes de
sécurité et de chômage, ce parti parvient
à conquérir des mairies aux élections
municipales de 1995.
2. La promotion de nouvelles valeurs
a. Solidarité et associations
Pourtant, durant ces mêmes années, les
Français ont su se montrer généreux et
ouverts. La crise, l'augmentation du nombre des exclus ont
engendré des mouvements de solidarité. Les
associations et mouvements de solidarité se sont
multipliés : DAL (Droit Au Logement) pour les exclus,
Sol en si pour les enfants victimes du sida, le
téléthon pour la recherche sur les maladies
génétiques, etc... De plus en plus de
personnalités médiatiques s'engagent, comme par
exemple pour soutenir le mouvement des sans-papiers
réfugiés dans l'église Saint-Bernard
à Paris.
b. L'ouverture sur le monde et l'Europe
Peu à peu la France et les Français s'ouvrent sur
le monde, notamment par le biais des nouvelles technologies comme
Internet et les satellites de télécommunications.
Les goûts musicaux, cinématographiques
(succès du film Titanic de James Cameron en 1998),
et même culinaires des Français traduisent leur
engouement pour une culture internationale.
D'autre part, la France a fait résolument le choix de
l'Europe. Même si le référendum pour
l'adhésion au traité de Maastricht en 1992 a
montré la force des oppositions à
l'intégration européenne, le
« oui » l'a emporté, amenant la
France à se défaire d'une part de sa
souveraineté au profit de l'Union européenne. La
marche vers la monnaie unique (l'euro) est ainsi lancée.
c. Une société multiculturelle ?
Un événement de la fin des années 1990
a pu être analysé comme particulièrement
symbolique de l'état d'esprit des Français à
la fin du XXe siècle. Il s'agit de la
victoire de la France sur le Brésil le 12 juillet 1998 en
finale de la coupe du monde de football. Les rassemblements
populaires, et notamment celui de la nuit du 12 au 13 juillet,
ont surpris par leur ampleur et surtout par l'ambiance
fusionnelle et joyeuse qui s'en dégageait. Or cette
exubérance n'était pas d'essence
nationaliste ; au contraire, la France a vécu cette
victoire comme celle de l'intégration, comme celle de la
France « black, blanc, beur »
incarnée par les joueurs venus d'horizons très
divers : Zidane, Kabyle des quartiers nord de Marseille,
Thuram l'Antillais, Lizarazu le Basque, Karambeu le Kanak... Le
pays semblait s'être réuni, oubliant ses divisions
et ses peurs, pour relever un défi sportif et
fédérateur et montrer, le temps d'une trêve,
une image de communion et de fraternité.
L'essentiel
La société des années 1990 est
à nouveau très marquée par la crise et le
chômage. L'inquiétude et le pessimisme semblent
dominer, entraînant des réflexes de peur et de
repli sur soi. Pourtant, la France de la fin du siècle
se caractérise aussi par son ouverture au monde, par son
multiculturalisme, et par la fraternité qu'elle sait
parfois exprimer.