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Une double naissance autour de l'Affaire Dreyfus

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Objectif :
La notion d’opinion publique pose problème à l’Historien. À proprement parler, l’opinion publique n’est pas un concept historique bien défini. Du reste, des intellectuels comme Bourdieu sont allés jusqu’à remettre en cause cette notion en affirmant que « l’opinion publique n’existe pas ».

Qu’entend-on par opinion publique ? Il s’agirait du sentiment général de la population. Comment nous serait connu ce sentiment général, plus d’un siècle après certains événements ? Par des archives, des mémoires, des témoignages, des rapports de police ou du renseignement et aussi par les médias.

L'articulation entre médias et opinion publique apparaît ambiguë : les médias sont-ils le reflet de l’opinion publique ou modèlent-ils l’opinion publique ? La retranscrivent-ils ou en tronquent-ils la présentation à des fins idéologiques ? Un journal de droite pourra trouver des témoignages attestant du soutien de la population au Général de Gaulle en mai 1968 alors qu’un journal de gauche pourra trouver autant de témoignages du rejet du Général de Gaulle par la population. Qu'en est-il alors de l'opinion publique ?

Un tour d’horizon des grandes crises politiques qu’a traversées la France depuis l’Affaire Dreyfus nous permettra de dresser un tableau du rôle que les médias jouent sur l’opinion publique et sur le déroulement des événements eux-mêmes.
Les médias se développent considérablement au 19e siècle :

- L'invention de la rotative en 1845 puis de la rotative offset en 1863, permet aux quotidiens de tirer à plusieurs centaines de milliers d'exemplaires quotidiens. C'est une presse typographique servant à imprimer en continu,

Doc. 1. Machine à imprimer rotative

- Les quotidiens vendus à prix modique (un sou, soit cinq centimes) deviennent rapidement très populaires auprès d'une population plus massivement instruites avec le développement de l'éducation, notamment après les lois Ferry de 1880-1881. C'est une série de lois sur l'école primaire votées sous la 3e République qui rendent l'école gratuite, l'éducation obligatoire et l'enseignement public laïque.

Une autre loi de 1881 est d'une importance cruciale en l'occurrence : la loi sur la liberté de la presse. Cette loi ne signifie nullement que la presse soit réellement libre de toute censure. Mais cela confirme la montée en puissance des médias en France. La fin du 19e siècle est d'ailleurs marquée par l'arrivée de nouveaux médias, plus visuels et s'adressant aux masses : la photographie, l'affiche publicitaire et le cinéma.

Quel rôle ces médias jouent-ils pendant les crises politiques que traverse la France ? Avant l'Affaire Dreyfus, plusieurs crises politiques majeures comme la Commune et le Boulangisme mobilisent l'opinion. Plusieurs fois, le pouvoir est menacé mais la presse ne joue pas un rôle majeur. C'est véritablement avec l'Affaire Dreyfus que le rôle des médias s'affirme. Ils deviennent des tribunes pour des intellectuels défendant leurs idées : la presse devient une presse d'opinion.
1. L'Affaire débute comme un roman-feuilleton
L'Affaire Dreyfus se déclenche dans un contexte où la presse sensationnaliste est très développée en France. La droite conservatrice, catholique et majoritairement antisémite s'empare de cette affaire.
a. Le déclenchement de l'Affaire
L’affaire Dreyfus commence le 1er novembre 1894, par une note du Figaro, que l’opinion publique découvre sous le titre Une affaire de trahison : « Des présomptions sérieuses ont motivé l’arrestation provisoire d’un officier français soupçonné d’avoir communiqué à des étrangers quelques documents peu importants. Il faut qu’on sache très vite la vérité ».

La dépêche est rapidement relayée par La Libre Parole, un journal antisémite dirigé par Drumont, un « leader d’opinion » connu pour son ouvrage La France juive. L'enquête n'est encore qu’à un stade préliminaire quand La Libre Parole publie le 29 octobre 1894 : « Est-il vrai que récemment une arrestation fort importante ait été opérée par ordre de l'autorité militaire ? L'individu arrêté serait accusé d'espionnage. Si la nouvelle est vraie, pourquoi l'autorité militaire garde-t-elle un silence si absolu ? Une réponse s'impose ! ».
b. Une affaire qui commence comme un roman-feuilleton
Le contexte de l'édition et de la presse joue un rôle important dans la forme que prend l'Affaire dans les premiers mois de son développement. À cette époque, le roman-feuilleton est très populaire : avec ses rebondissements, ses scénarios rocambolesques, ses intrigues, ses trahisons, le roman-feuilleton est propre à fournir une trame « complotiste » au récit ou au « scénario » de l’Affaire. 
Des antisémites notoires comme Drumont ou Gyp sont eux-mêmes friands du genre : Drumont nourrit ses pamphlets contre les Juifs de rumeurs et de mystères ; Gyp écrit des romans antisémites dans cette veine. 
 
La presse se déchaîne alors sur la personnalité de Dreyfus, sur les raisons de son acte et sur une espionne italienne qui l'aurait poussé à la trahison. Le procès, tenu à huis clos, laisse libre cours aux supputations de la presse.
Doc. 2. Article à la Une du journal antisémite La libre parole du 06/11/1894 sur l'Affaire Dreyfus. Gros titre : « La Trahison du juif Dreyfus - Le Chambard en Cour d'Assises - Plaidoirie de M. Jaures »

Les rumeurs ne s'arrêtent pas avec le procès : le 6 janvier 1895, Le Temps lance lance une rumeur : Dreyfus aurait fait ses aveux au capitaine Lebrun-Renault. Le Figaro et La Libre Parole reprennent l'information. Le retentissement est tel que l'agence Havas publie un communiqué pour la démentir. Cette rumeur persiste jusqu'en 1906.
c. La vigueur de la presse antisémite
L'Affaire permet à la presse antisémite d'obtenir une tribune pour exposer ses idées. Plusieurs journaux sont antidreyfusards : la Croix, l’Intransigeant, la Libre parole, le Petit Journal, la Patrie, l'Éclair. Cette presse est très bon marché et très sensationnaliste. Elle a une très forte influence sur l’opinion publique. Elle se double d'une presse satirique et de journaux spécialisés dans la caricature et les images sensées frapper le lecteur comme Psst ! et le Sifflet.

Doc. 3. Affaire Dreyfus. « Le verre de Dreyfusine - Si fous afez a fous blaindre de fos officiers, ch'ai un teputé tans mon arriere poudique », dessin antisemite de Jean Louis Forain (1852-1931). « Psst...! », 23 juillet 1898
2. Les médias deviennent des tribunes
a. La presse relance l'affaire
Au cours de l'année 1895, la presse se désintéresse de l'Affaire. Il faut attendre 1896 pour qu'Emile Zola relance une première fois l'Affaire avec un article intitulé Pour les Juifs, proposé au Figaro. Un début de mouvement d'opinion se crée autour de Zola. Certains, même parmi les antidreyfusards, commencent à manifester des doutes. Ainsi, Paul de Cassagnac, antisémite notoire, se demande dans l'Autorité si l'homme envoyé au bagne est bien coupable et conclu son article par :  « Ce doute à lui seul est une chose effrayante ».
b. La presse change d'opinion
Les passes d'armes continuent entre dreyfusards et antidreyfusards tout au long de l'année 1897. Zola écrit plusieurs articles tandis que le frère d'Alfred Dreyfus met en cause un certain Esterházy dans Le Figaro. Paul de Cassagnac demande la révision du procès. Le Figaro renonce à publier de nouveaux articles de Zola sous la pression de ses actionnaires et de ses lecteurs. Ce journal change d'ailleurs plusieurs fois de direction et publie les photographies des lettres d'Esterházy, ce qui provoque un vif émoi dans l'opinion publique. Esterházy est acquitté début 1898. C'est le lendemain de ce verdict que Zola signe son célèbre article dans l'Aurore : « J'accuse ». Cette lettre ouverte de l'écrivain a un retentissement considérable en France et dans le monde.

Doc. 4. Affaire Dreyfus en 1898 : une audience du conseil de guerre : le procès du Commandant Esterhazy. Gravure in Le petit parisien de 1898. Doc. 5. Une de L'Aurore présentant l'article « J'accuse, lettre au president de la republique » de l'écrivain français Émile Zola (1840-1902) au moment de l'Affaire Dreyfus le 13/01/1898.

Zola doit répondre de son article devant les tribunaux. La presse antisémite se déchaîne. Zola est condamné. Le Petit Journal indique : « le public, trompé par une presse où le mensonge éclate à chaque mot […] eut certainement imputé à des causes infamantes une décision indulgente du jury ».
Le procès est cassé pour vice de forme. La passion publique redouble : Zola est à nouveau condamné. C’est, une fois de plus, par une série d’articles que Jean Jaurès relance l’affaire. L'engagement des écrivains comme Octave Mirbeau, Marcel Proust et Anatole France est alors décisif.
c. L'opinion publique se cristallise
Une partie de l'opinion publique est maintenant acquise à la cause de Dreyfus alors qu'avant la publication du J'accuse de Zola, 96 % des quotidiens de la capitale défendent l'armée et l'Église et 85 % sont encore anti-dreyfusard. La révision du procès devient alors inévitable, d'autant que certaines personnes impliquées dans le complot avouent leur faute. Il n'en reste pas moins que la tension reste très vive entre les dreyfusards et les antidreyfusards et que l'opinion publique s'embrase sur ce sujet. Le clivage n'est pas seulement entre intellectuels, il se diffuse parfois même au sein des familles et divise durablement la société française, même après la réhabilitation de Dreyfus en 1906.

Doc. 6. Affaire Dreyfus : le procès en révision du capitaine Dreyfus (1859-1923). Illustration tirée de la presse allemande, 1899 Paris, archives nationales Doc. 7. Un diner en famille - Caricature de Caran d'Ache (Emmanuel Poire 1859-1909) montrant une famille divisée autour de l'affaire Dreyfus dans Le Figaro du 14 février 1898, un mois après la parution du fameux « J'accuse » de Zola dans L'Aurore
L'essentiel
L'Affaire Dreyfus marque un tournant historique en France. Le très fort clivage de l’opinion publique né de l'Affaire va perdurer jusqu’en 1945 sous différentes formes et explique de très nombreuses prises de position politiques, notamment sur la question de l'antisémitisme dans les années 1930 et 1940. On peut dire que l'Affaire Dreyfus ne se termine réellement qu'en 1945.

C'est aussi un moment décisif pour les médias en France : la presse se construit vraiment dans cette Affaire car elle fidélise un large public et mobilise l'opinion. La presse quotidienne devient une presse d’opinion. De fait, elle contribue à modeler, transformer l’opinion publique. À travers cette affaire, apparaît une nouvelle figure, celle de l'intellectuel qui prend la plume pour défendre ses idées dans les médias et attirer l'attention de l'opinion publique sur des problèmes politiques.
Références
- Patrice Boussel, L'affaire Dreyfus et la presse, collection kiosque, Armand Colin, 1960, p. 272

- Michel Denis, Michel Lagrée et Jean-Yves Veillard (dir.), L'affaire Dreyfus et l'opinion publique en France et à l'étranger, Presses Universitaires de Rennes, 1995.

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