1. Une République menacée ?
a. Classe politique et scandales
La République « opportuniste » des
années 1880 est fragilisée par le comportement
et les débordements de quelques uns et surtout par les
liens qui existent entre monde politique et milieux d'affaires
plus ou moins louches. Des scandales éclatent ainsi qui
ternissent l'image de la République : scandale des
décorations dans lequel le gendre du président
Jules Grévy est accusé d'avoir touché de
l'argent contre des décorations officielles qui se termine
par la démission du président (1887) ;
scandale de l'affaire de Panama (1892-1894), dans lequel des
politiques ont sciemment camouflé et cautionné les
déboires financiers de la compagnie de Panama
chargée de construire le canal en s'appuyant sur l'argent
des petits épargnants. La faillite de cette
société, qui touche les épargnants, mais
épargne les financiers marrons déclenche un
scandale dont profite l'extrême droite qui dénonce
pêle-mêle la démocratie, la corruption et les
financiers juifs, mélangeant anti-parlementarisme et
antisémitisme.
Ce refus d'un régime d'Assemblée se
retrouve aussi dans l'affaire Boulanger (1887-1891).
Général populaire, ancien ministre de la Guerre,
il réclame un pouvoir fort capable de transformer la
France et d'obtenir sur l'Allemagne une revanche exemplaire.
Regroupant autour de lui les mécontents du régime
de droite comme de gauche, il menace la République d'un
coup d'Etat, mais devant les menaces de représailles, il
s'enfuit en Belgique où il se suicide.
Cette critique d'un régime qui ne profite qu'à
quelques uns se retrouve aussi à l'extrême gauche,
soit dans les rangs anarchistes qui déclenchent des
campagnes d'attentats dans les années 1890
(1893 : attentat de Vaillant contre la Chambre des
députés, 1894 : assassinat du
président de la République Sadi Carnot par
Caserio), soit dans ceux des socialistes qui revendiquent une
République plus sociale (« la
Sociale »).
b. Une France secouée par
l'« Affaire »
En 1894, le capitaine Dreyfus, officier français
d'origine juive est condamné par une cour militaire
à la dégradation et à la déportation
à l'île du Diable pour haute trahison. Il aurait
transmis à l'Allemagne des plans de campagne et de
matériel français. L'affaire devient politique
lorsque Emile Zola dans L'Aurore, accuse l'armée et
les politiques d'avoir condamné en toute connaissance de
cause un innocent. Un nouveau procès a lieu en 1899
à Rennes qui condamne de nouveau Dreyfus dans des
conditions douteuses. La presse et les partis politiques
s'emparent de l'affaire et la France se divise entre dreyfusards
et anti-dreyfusards. On retrouve d'un côté les
partisans convaincus de l'innocence de Dreyfus et refusant de
condamner un homme pour ses origines comme Zola, et de l'autre
des partisans de l'honneur de l'armée, des
Républicains fourvoyés, mais aussi des
antisémites et des ennemis de la République et de
nombreux prêtres. Dreyfus est gracié par le
président de la République et finalement
réhabilité en 1906.
2. Une République pour tous ?
a. La question ouvrière
La République est soutenue par une majorité de la
population qui se reconnaît dans ses symboles et ses
valeurs, en particulier les « couches
nouvelles » : fonctionnaires, instituteurs,
médecins, techniciens, qui profitent du
développement économique et des possibilités
d'ascension sociale que représente l'école
laïque, gratuite et obligatoire.
Cependant, d'autres groupes sociaux ont parfois du mal à
trouver leur place dans une société
bouleversée par la révolution industrielle. Les
ouvriers agricoles et les agriculteurs par exemple
connaissent des difficultés et se révoltent
parfois, comme les viticulteurs en 1907. De même, les
ouvriers, malgré les droits politiques accordés
(droit de coalition en 1884), se sentent oubliés par une
République qui n'hésite pas à
défendre les intérêts patronaux, comme le
1er mai 1891 à Fourmies lorsque la
troupe a fait feu sur la foule lors d'une manifestation
ouvrière. Les grèves organisées notamment
par la CGT créée en 1895 et défendues
politiquement par les partis socialistes au langage souvent
révolutionnaire sont fréquentes au début du
XXe siècle.
Pourtant la République sait se préoccuper des
ouvriers pour les protéger des dangers et des abus du
monde du travail : une première législation
sociale se met alors en place qui protège les plus faibles
comme par exemple la loi de 1874 interdisant le travail des
enfants de moins de 13 ans (renforcée par la
création de l'école obligatoire), ou en 1892 la
limitation du temps de travail pour les enfants entre 13 et 16
ans et pour les femmes. Une série de lois accorde aussi
des droits sociaux partiels aux ouvriers entre 1894
et 1910 (retraites ouvrières et paysannes, caisses
maladies pour les mineurs, assurance en cas d'accident du
travail). Un ministère du Travail est créé
en 1906 pour gérer les rapports entre Etat, patrons
et ouvriers.
b. La question religieuse
Même si les catholiques se sont ralliés à la
République dans les années 1890, une partie non
négligeable considère la République comme un
régime usurpateur et athée (à cause de la
laïcité et de passé révolutionnaire
anti-catholique de la Première République).
L'affaire Dreyfus montre les difficultés de cette partie
de la population à accepter le régime choisi par
une majorité de Français. On les retrouve en effet
dans l'opposition à Dreyfus et de nombreux membres du
clergé font preuve à cette occasion
d'antijudaïsme et d'antisémitisme. Le gouvernement
radical qui se met en place en France en 1902 pour lutter
contre l'agitation anti-dreyfusarde décide d'interdire
d'enseignement les congrégations religieuses et de
séparer l'Etat et l'Eglise (loi de 1905), rompant
ainsi avec le Concordat napoléonien. Cette loi renforce la
coupure entre catholiques et républicains : l'Etat ne
prenant plus en charge l'entretien du clergé fait
l'inventaire des biens de ce dernier, ce qui se traduit par des
affrontements parfois violents entre forces de l'ordre et
fidèles.
Cependant, la situation se calme progressivement et la
Première Guerre mondiale met d'accord autour de la
défense du pays et donc de son régime les opposants
catholiques, socialistes, monarchistes et d'extrême droite
dans une Union sacrée.
L'essentiel
Les années 1880-1914 sont pour la IIIe
République des années d'affirmation et de
consolidation mais aussi des années de crise : crise
politique et morale avec les « affaires » qui
salissent la classe politique et renforcent les oppositions,
crise sociale marquée par la « question
ouvrière ».
Cependant, la République est solidement ancrée
dans les mœurs et la guerre de 1914 met un terme aux
querelles intestines au profit d'une Union sacrée contre
l'ennemi commun.