1. La France gaullienne contre le leadership américain
a. Le refus de la tutelle américaine
Bien que premier dirigeant allié à soutenir Kennedy
lors de la crise des missiles de Cuba (1962), De Gaulle fait
preuve, à l'égard des Etats-Unis, d'une
réelle volonté d'autonomie. Le tournant de la
position gaullienne se situe sans doute en 1962 lorsque,
débarrassé de la question algérienne,
De Gaulle prend conscience de l'inégalité du
partenariat atlantique tel que le concevaient alors les
Etats-Unis dans la perspective de la Détente. Pour eux, le
seul leadership nucléaire occidental possible était
celui détenu par les Etats-Unis. Les responsables
américains travaillent donc à l'intégration,
par l'intermédiaire de l'OTAN, des forces
nucléaires britannique et française (cette
dernière étant encore embryonnaire).
De Gaulle voit dans cette proposition une mise sous tutelle
de la défense française et la refuse. C'est le
régime de la double-clé, qui subordonne
l'utilisation nucléaire britannique à un accord
préalable des Etats-Unis. Dès lors, De Gaulle
considère le Royaume-Uni comme le cheval de Troie des
Etats-Unis et refuse son entrée dans la construction
européenne.
b. Les limites de la contestation d'une puissance moyenne
En 1964, pour affirmer le caractère autonome de la
diplomatie française, la France reconnaît
officiellement la Chine populaire et échange des
ambassadeurs avec elle. Pour les Etats-Unis, c'est un
véritable outrage car ils s'attachaient depuis 1949
à ne reconnaître internationalement que le
régime nationaliste de Taiwan. Par la suite,
De Gaulle insiste sur sa vision de l'Europe « de
l'Atlantique à l'Oural » et entreprend de
resserrer ses liens avec les pays communistes d'Europe centrale.
Il dénonce également l'engagement militaire
américain au Viêt-nam.
Mais ces différentes positions relèvent plus de la
gesticulation, hormis le départ de la France de l'OTAN
en 1966.
La France constitue désormais une puissance moyenne, peu
capable d'infléchir le cours des relations internationales
à son avantage. Tout au plus les positions gaulliennes
montrent-elles l'absence d'unité du bloc occidental. Elles
font aussi de la France un partenaire dont les Etats-Unis doivent
à la fois se méfier et qu'il faut ménager.
2. La construction européenne hors de la sphère
atlantique
a. Le virage de 1956
Jusqu'à 1956, la construction européenne
s'était faite dans une perspective résolument
atlantiste, c'est-à-dire profondément
insérée dans le bloc occidental dominé par
les Etats-Unis. Mais la crise de Suez et ses conséquences
changent la perspective en la matière. Royaume-Uni et
France prennent subitement conscience de leur nouveau statut de
puissances moyennes. Ils se situent loin derrière les deux
superpuissances, n'étant que des supplétifs
privés d'autonomie dès lors que celle-ci risquait
de perturber le jeu des Grands.
Pour la France, la prise de conscience est d'autant plus
difficile qu'elle suit de deux années l'abandon, sous la
pression américaine, de l'Indochine (1954). Une page se
tourne ainsi : pour la France, il s'agit maintenant
d'abandonner le rêve de rayonnement international par
l'Empire colonial pour tenter de rayonner à travers autre
chose. Cette autre chose est la construction européenne.
b. Echec d'un projet atlantiste et volonté de construire
une Europe autonome
Après l'échec du projet de Communauté
européenne de défense (CED), en 1954, suite
aux refus français et italien, le Benelux avait
tenté de relancer le processus de construction
européenne alors interrompu, par un projet d'union
douanière, à l'exemple de ce que les trois pays
(Belgique, Pays-bas, Luxembourg) avaient eux-mêmes
créé entre eux au lendemain de la Seconde Guerre
mondiale. Le projet avait été froidement
reçu par les Italiens et encore plus par les Allemands et
les Français. Après Suez, les responsables
français relancent ce projet et obtiennent l'accord de
leurs cinq partenaires. En mars 1957, le traité de
Rome portant création de la Communauté
économique européenne (CEE) et de la
Communauté atomique européenne (Euratom) est
signé.
Un espace de libre circulation des marchandises et des hommes
est créé entre les six pays signataires, ceux-ci
gardant une barrière douanière à
l'égard de l'extérieur. En apparence, la
suppression – relative – des barrières
douanières entre ces six pays pourrait être
rapprochée de la démarche libre-échangiste
américaine mais dans les faits, il s'agit plutôt
de constituer un espace économique
intégré, ou en cours d'intégration, qui
conserve à l'égard des autres espaces
économiques les mêmes entraves qu'auparavant. Et
surtout, l'Euratom, communauté exclusivement civile
(elle n'est pas destinée à produire des armes
nucléaires mais à développer le
nucléaire civil), entend mettre fin au monopole
américain dans le domaine de la production d'uranium.
L'essentiel
La période de la Détente est aussi celle
où les deux blocs, soviétique et
américain, sont agités de soubresauts internes.
Le leadership américain est par exemple remis en cause
par la politique gaullienne et plus largement par la
volonté de construire une Europe autonome.