La composition de Perceval

Il est de coutume au Moyen-Age que tout roman débute par un prologue. L'auteur évoque le destinataire de son récit, son mécène, et pour quelles raisons il écrit cette histoire. Il explique également à partir de quoi il rédige son récit.
Chrétien de Troyes s'inscrit donc dans cette tradition et rend hommage à son mécène, Philippe de Flandres, qui est mort durant la troisième croisade aux portes de Saint-Jean d'Acre. Dans le prologue, l'écrivain loue la générosité de ce protecteur et le comte d'Alsace suscite la parabole du semeur puisque grâce à lui Chrétien de Troyes a pu écrire ce livre.

Ce prologue a aussi une autre fonction : annoncer la structure du roman. Le récit repose avant tout sur l'opposition de deux modèles de chevalerie, incarnés par Perceval et Gauvain.

Le roman de Chrétien de Troyes s'intéresse successivement à deux chevaliers différents ; Perceval incarne le chevalier du Christ tandis que Gauvain représente le chevalier mondain.

L'unité du conte est donc difficile, une telle structure comprenant ce diptyque semble peu conciliable avec l'idéal de la belle conjointure, autrement dit d' un récit équilibré, harmonieux et cohérent.
Dans la trame narrative, Chrétien de Troyes introduit donc des disjointures. Ce terme de « disjointure » qui est emprunté à D. Kelly signifie selon lui une « rupture abrupte d'une matière donnée, en général pour en introduire une autre ».

Cette partie est composée de manière rigoureuse contrairement à celle consacrée à Gauvain. Cette composition si droite symbolise la détermination du héros lorsqu'il est confronté à moult aventures.
Le parcours de Perceval a donc une unité et les épisodes s'enchaînent de façon cohérente, permettant au jeune homme d'appliquer les préceptes et conseils des uns et des autres. Le parcours de Gauvain tient plus du cercle que de la ligne droite tant ses errements sont nombreux. Bon nombre d'aventures sont abandonnées en cours de route du fait de ses multiples rencontres amoureuses. A la différence de Perceval, il n'a rien à apprendre et n'avance donc pas de la même manière.

Comme cette partie est inachevée, il est probable que Chrétien de Troyes aurait procédé à certains remaniements s'il avait voulu publier son œuvre une fois terminée.
Mais on peut aussi alléguer que l'absence de rigueur et l'inachèvement de cette partie sont logiques si l'écrivain désirait signifier l'errance éternelle de Gauvain. Toutes les interprétations sont donc possibles.

La composition du roman est conçue de manière à entrecroiser les destins de nos deux chevaliers de la Table Ronde. Chrétien de Troyes utilise la technique de l'entrelacement qui sera reprise par les auteurs de romans en prose du XIII^e siècle.

Quand l'auteur désire changer de héros, il emploie la formule suivante : « le conte se tait au sujet de... et parle de... ». La mésaventure de Gauvain à Escavalon laisse place aux révélations de l'ermite qui sont faites à Perceval.