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Une Histoire qui unit : l'Historien au service de la reconstruction (de 1950 à 1973)

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Objectif :
« L'Historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale en France » est un sujet qui crée d’emblée une tension entre deux concepts. Le concept d’ « Histoire » et le concept de « mémoires ».

L’Histoire implique une démarche intellectuelle et scientifique reposant sur l’analyse critique et la mise à distance des faits afin d'établir une chronologie et une explication « objective » du déroulement d’un évènement. Les mémoires individuelles ou collectives ne sont pas du même ordre. Elles reposent sur le souvenir vécu ou transmis et sont soumises à la sélection, à la subjectivité ou à l’oubli.

De fait, pendant longtemps, l’Historien s’est occupé de l’Histoire, parfois au mépris des mémoires. L’irruption des mémoires dans les débat historiques est un fait récent. Elle date des années 1970 où émerge une Histoire moins officielle, centrée sur la mémoire de groupes sociaux, de groupes ethniques, de groupes sexuels, etc.

- D’où une nouvelle lecture de l’Histoire qui ne passe plus sous silence les réalisations et les souffrances des communautés.
- D’où aussi un nouveau rôle de l’Historien, celui d'aider à juger les acteurs de l’Histoire ; d’où un nouveau rôle pour l’Histoire qui se voit assignée une mission morale et politique au point de se demander si l’Historien n’est pas devenu prisonnier des mémoires.
Après la Seconde Guerre mondiale, la France est ruinée par l’Occupation allemande, traumatisée par la Collaboration, menacée par la guerre civile, non seulement au moment de l’épuration mais jusqu’en 1947 où les tensions demeurent très vives dans la vie politique française. Les nécessités de la reconstruction, aussi bien matérielle que morale, poussent les Français et l’Historien à oublier la guerre et à créer le mythe d’une France résistante. L’Historien est alors au service de la mémoire officielle, dont le culte culmine sous le Général de Gaulle.
1. Oublier la guerre
a. Se tourner vers l’avenir
Au sortir de la guerre, l’urgence est à la reconstruction et à l’union nationale plutôt qu’à la réflexion historique sur des faits récents et des facteurs de division.

L’épuration officielle (16 0000 procès, 7 000 condamnations dont 791 exécutions) puis les procès de Pétain (été 1945) et de Laval (Automne 1945) permettent de désigner des coupables et de ressouder les Français autour de la condamnation de la Collaboration.

Doc. 1. Épuration chiffrée

Le rapprochement franco-allemand permet d’estomper une partie du traumatisme et de se tourner vers l’avenir : la naissance de la CEE en 1957 par le traité de Rome et le traité de l’Élysée en 1963 contribuent à cet apaisement.

CEE : Communauté Économique Européenne
b. Oublier et tourner la page.
Dans les faits, de nombreux collaborateurs, notamment des hauts fonctionnaires, ne sont pas jugés au nom de l’intérêt national et continuent leur carrière dans l’administration de la 4e République. C’est le cas de Paul Touvier, René Bousquet et même Antoine Pinay, parlementaire en 1940 ayant voté les pleins pouvoirs à Pétain et Président du Conseil en 1952. Des lois d’amnistie sont votées en 1952-1953, créant la polémique. Dans le domaine culturel aussi, des écrivains comme Paul Morand ou Félicien Marceau entrent à l’Académie Française alors qu’ils ont été des collaborateurs actifs.

Doc. 2. Portrait du Maréchal Philippe Pétain (1856-1951) en uniforme de général français

La commémoration officielle est elle-même en reflux : le jour férié du 8 mai est annulé en 1959. Un an avant, les pensions aux anciens combattants avaient été supprimées (les soldats de 1940 ne sont pas traités comme des héros en dépit de la férocité des combats : 100 000 morts en 6 semaines en 1940 ; mais on retient surtout la débâcle)

En 1964, une loi prévoit bien l’imprescriptibilité contre les criminels de guerre mais ce sont moins les collaborateurs du régime de Vichy qui sont visés que les ex-nazis. On retrouve là le schéma du procès Oberg-Knochen de 1954 : Oberg et Knochen, chefs de la SS en France entre 1942 et 1944 sont sévèrement condamnés tandis que René Bousquet est traité avec plus de clémence alors qu’il avait négocié avec Oberg et Knochen les modalités de la collaboration entre la police française et la SS.
c. L’Historien reste lui aussi en retrait
Le travail de l’Historien a mis du temps à reprendre ses droits après la Seconde Guerre mondiale. Il faut attendre 1951 pour que le Comité d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale se mette en place et commence à travailler sous la direction d’Henri Michel.

L’année 1954 constitue pourtant un premier tournant avec la parution de la première histoire du régime de Vichy sous la plume de Robert Aron. Cet ouvrage, très controversé, montre que la collaboration n’était pas un aspect de la politique de Vichy mais le cœur de l’idéologie maréchaliste de la Révolution Nationale. En 1970, le premier colloque sur Vichy est organisé sous la houlette de René Rémond. On y évoque beaucoup d’aspects de la période mais le caractère antisémite du régime de Vichy n’est pas évoqué.

Dans l’ensemble, sur la période, on constate un recul de la parution d’ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale.
2. Le mythe résistancialiste
La Libération occulte les « années noires ». Rapidement après la Seconde Guerre mondiale se construit le souvenir-écran de la Libération. Entre 1944 et 1946, les célébrations de la victoire se multiplient. Cette cohésion patriotique donne naissance au mythe résistancialiste.

Résistancialisme : on désigne par « résistancialisme » l’idéologie forgée après la Libération qu'une majorité de Français aurait été des résistants à l’occupation allemande et à la Collaboration.
a. Un mythe construit
Ce mythe veut faire croire que la France fut un pays majoritairement résistant à l’occupation allemande et à la Collaboration.

Ce mythe est l’œuvre des Gaullistes et des communistes, les deux principales forces politiques de l’après-guerre :

• Il est l’œuvre des Gaullistes, qui célèbrent par là même :

- la figure du Général De Gaulle et de son appel du 18 juin.
- le patriotisme de la « France éternelle » pour reprendre les mots de De Gaulle lui-même.
- la continuité du combat militaire (FFI et FFL, les Forces Françaises de l’Intérieur et les Forces Françaises Libres).

Doc. 3. Portrait de De Gaulle

 • Il est aussi l’œuvre des communistes qui forgent :

- la légende du « parti de 75 000 fusillés ».
- le mythe de la lutte antifasciste menée par la Résistance (alors que certains ont servi Vichy avant de devenir des Résistants comme Juin, De Lattre de Tassigny, Couve de Murville alors que d’autres comme Tom Morel, chef du maquis des Glières fut membre de l’Action Française, un mouvement d’extrême-droite).

Ce mythe atteint son apogée quand le général De Gaulle revient au pouvoir en 1958 : on inaugure en 1960 un mémorial de la France combattante et les cendres de Jean Moulin sont transférées au Panthéon en 1964.
Doc. 4. Portrait du préfet et résistant français Jean Moulin (1899-1943)
b. Un mythe hégémonique
Le résistancialisme constitue la mémoire historique de la Seconde Guerre mondiale mais nie les différentes mémoires de la Résistance :

- Il confond la France, De Gaulle et la Résistance extérieure.
- Il passe sous silence le soutien d’une partie de la population française au Maréchal Pétain.
- Il élude les divisions des « années noires » et de la Libération (notamment l’épuration).

Le résistancialisme érige Jean Moulin en symbole d’une Résistance unifiée au détriment d’autres grandes figures comme Danièle Casanova, Pierre Brossolette ou Honoré D’Estienne d’Orves. Sa figure donne un visage unique à une Résistance d’une grande pluralité politique, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite.

Le résistancialisme censure. En 1956, le film Nuit et Brouillard montre un gendarme français en faction devant le camp d’internement de Pithiviers. Son képi est masqué au montage.
c. Les zones d’ombres du mythe
Battus, faits prisonniers, les soldats de 1940 ne jouissent pas du statut de héros des poilus de la Première Guerre mondial (1914-1918). Sur les 1,8 million de prisonniers, seuls les évadés parviennent à glaner un peu de prestige.

Les requis du Service du Travail Obligatoire et les Malgré-nous sont stigmatisés par les Résistants : on soupçonne les uns (Georges Marchais, premier secrétaire du PCF dans les années 1970 est violemment pris à partie pour avoir travaillé chez Messerschmitt en Allemagne) et on nie les spécificités des autres : en janvier 1953, les Malgré-nous ayant participé au massacre d’Oradour-sur-Glane sont condamnés aux travaux forcés puis amnistiés.

Malgré-nous : soldat alsaciens enrôlés malgré eux dans l’armée allemande du fait du rattachement de l’Alsace au Reich allemand après la défaite de 1940.
3. Les mémoires éclatées et reléguées
L’omniprésence de la mémoire résistancialiste a longtemps empêché l’expression des mémoires concurrentes au point de devenir à cette époque l’Histoire officielle. Pourtant, ces mémoires commencent à se structurer dans les années 1950 et 1960, même si elles demeurent éclatées et reléguées.
a. Des mémoires éclatées
À partir de 1953, le 8 mai devient le jour de commémoration officiel de la victoire militaire et résistante. Mais cela ne s’accompagne pas d’une expression spécifique dans le paysage : les noms des disparus se rajoutent aux noms des disparus de 14-18 sur les monuments aux morts existants.

D’autres journées de commémoration, qui ne célèbrent pas la victoire militaire, coexistent : le 6 juin 1944 (D-Day), le 18 juin (l’appel du Général De Gaulle), le 25 août (la libération de Paris). Le 8 mai ne redevient jour férié qu’en 1981.


Doc. 5. La place de la Concorde à la Libération de Paris, 1944

La grande diversité des monuments exprime cet éclatement des mémoires en dépit du mythe de la France résistante : plaques commémoratives sur les lieux de la Libération de Paris, monuments de la déportation (le Mémorial du martyr juif inconnu, inauguré en 1956, les monuments des différents maquis de Résistants du STO).
b. Une mémoire passée sous silence
Les récits des déportés émeuvent et révoltent dès 1945 mais la société française distingue encore mal les déportés « politiques » et les déportés « raciaux » et peine à saisir la spécificité du fait concentrationnaire :

- On ne distingue pas encore camp de concentration et camp d’extermination : des Historiens comme Pierre Vidal-Naquet, dont les parents sont pourtant morts à Auschwitz, ou Anne Wievorka mettent du temps à faire cette distinction.
- La Haute Cour juge en 1945 les accusés pour trahison et non pour crimes raciaux.
- On détruit en 1959 le Vél d’Hiv sans que cela ne provoque de polémique.

Le cinéma évoque pudiquement la guerre
: en 1959, La Vache et le prisonnier met en scène un prisonnier évadé joué par Fernandel, dont le sort en Allemagne n’avait rien de cruel. En 1956, Claude Autant-Lara avait livré une version ambiguë et à rebours du mythe de la France résistante dans La traversée de Paris avec Gabin et Bourvil. Nuit et Brouillard d’Alain Resnais parle en 1956 de Vichy et d’extermination. Il n’est diffusé qu’une seule fois à la télévision.

On commence à évoquer le marché noir, les hommes et les femmes tondues par les Résistants à la Libération mais aucune étude historique majeure ne fait toute la lumière sur la réalité de la France sous l’Occupation si ce n’est un livre de l’Historien Paxton sur l’armée française sous Vichy. Passé inaperçu à sa parution, il ne sera traduit qu’en 2003 !
Doc. 6. Deuxième Guerre mondiale : femmes tondues et marquées sur le front d'une croix gammée en guise d'humiliation. Les hommes autour d'elles font le signe de la victoire.
c. La mémoire vichyste encore vivace
Durant cette période, la mémoire de Vichy reste vivace. Elle se perpétue en prenant appui sur les procès expéditifs et les lynchages de l’épuration pour dénoncer les méthodes de la Résistance.

Elle prospère sur la construction du mythe du bouclier : ce mythe fait du maréchal Pétain le bouclier qui aurait protégé les Français pendant que De Gaulle, le glaive, organisait la Résistance. C’est la ligne de défense de M. Isorni devant la Haute-Cour de Justice en 1945. Les anciens vichystes réclament pendant toute la période de l’après-guerre le transfert des cendres du Maréchal à Douaumont et organisent périodiquement des pèlerinages. La mémoire vichyste dispose d’une presse (Rivarol), d’un réseau éditorial (les Nouvelles Éditions Latines) et même d’appuis à l’Académie Française.

Elle décline cependant à partir des années 1960 avec la disparition des principaux acteurs des faits. L’extrême-droite perpétue relativement peu cette mémoire dans les années 1970-1980 en dépit des liens de certains traditionalistes du Front National avec le régime de Vichy.
L'essentiel
La société française entend donc l’expression de ces mémoires durant la période de l'après-guerre mais elle n’est pas encore prête à les analyser et à les envisager dans leur spécificité.

Il faut pour cela attendre la mort du général De Gaulle et l’effacement des grandes personnalités de la Résistance pour que le mythe se fissure, que la parole se libère et que l’Historien puisse renouveler son approche grâce aux témoignages d'une parole enfin libérée.
Références
Bibliographie sur la mémoire et l'Histoire :
- Bédarida François, Histoire, critique et responsabilité, Complexe/IHTP CNRS, « Histoire du temps présent », 2003.
- Nora Pierre, « Entre mémoire et histoire », Les Lieux de mémoire, I. La République, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1984, p. XV- XLII.
- Rioux Jean-Pierre, « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », Vingtième siècle. Revue d’histoire, janvier-mars 2002, p. 157-167.

Bibliographie sur la déportation des Juifs :
- Veil Simone, « Réflexions sur la mémoire de la Shoah », Historiens et Géographes, n° 384, oct-nov 2003, p. 51-59.
- Wieviorka Annette, Déportation et Génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Hachette, « Pluriel »,2003, 506 p., et L’Ère du témoin, Hachette, « Pluriel », 2002, p. 186.
 

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