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Des mémoires qui se libèrent et divisent (1973 à nos jours)

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Entre 1945 et 1973, la société française entend donc progressivement l’expression de ses mémoires cachées et reléguées mais elle n’est pas encore prête à les analyser et à les envisager dans leur spécificité.
 
Il faut pour cela attendre la mort du général De Gaulle et l’effacement des grandes personnalités de la Résistance pour que le mythe se fissure, que la parole se libère et que l’Historien puisse renouveler son approche.

Ce dégel des mémoires ouvre alors le champ au temps des procès et interroge l'Historien sur son rôle et sur le rôle de l'Histoire dans la société.
1. L’émergence des mémoires
Avec la mort du Général De Gaulle en 1970 et une nouvelle approche de l'Histoire plus attentive aux groupes sociaux car moins soucieuse d'écrire un « récit national », les mémoires de la Seconde Guerre mondiale connaissent un « dégel », notamment lié à un livre-événement.
a. Une nouvelle génération met fin au mythe résistancialiste
À la mort du Général De Gaulle, le mythe résistancialiste se fissure. Le Président Pompidou, qui lui succède, n’est pas un Gaulliste issu de la Résistance. En 1971, il provoque même la polémique en graciant Paul Touvier, ancien chef de la Milice en fuite qui a bénéficié de la protection de l’Église. Georges Pompidou se justifie par la nécessité de mettre un terme à une époque « pendant laquelle les Français ne s’aimaient pas ».

L’affirmation d’une nouvelle génération après mai 1968 contribue à la libéralisation de la société et met l’accent sur l’Histoire des oubliés, des invisibles, des victimes. Juger les criminels de guerre n’est plus tabou : après le procès Eichmann en 1961, les poursuites contre les anciens vichystes commencent en France.

En 1971, un film met fin au mythe résistancialiste : Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls. Il dépeint sans complaisance une France qui n’a pas unanimement résisté et s’est même complu dans la Collaboration. Sa diffusion choque et contribue à l’émergence des mémoires.
b. Une révolution historiographique : La France de Vichy de Paxton (1973)
En 1973, un ouvrage de l’Historien américain Robert Paxton fait basculer la vision historiographique que l’on portait auparavant sur la période. Ce livre bat en brèche l’idée que Pétain ait été un « bouclier » comme le laissait entendre le livre de Robert Aron.

Historiographie : étude de l’Histoire en tant que discipline. L’historiographie s’attache à étudier les évolutions des grands courants de pensée historiques.

Au contraire, l'écrivain affirme en s’appuyant sur les archives saisies par les Américains, que le Régime de Vichy a :

- devancé les demandes allemandes (notamment pour la déportation des juifs).
- favorisé l’Occupation en aidant au pillage alimentaire et économique et en mettant à disposition ses forces de police.
- cherché par la Révolution Nationale à occuper une place de choix dans l’Europe sous domination nazie qu’Hitler voulait mettre en place.

Le régime de Vichy n’apparaît plus comme le fruit des circonstances ou d'une parenthèse mais un moment de l’Histoire de France, le résultat d’un mouvement politique de fond et autonome vis-à-vis de l’occupant allemand.

C’est une rupture décisive pour les Historiens français de la période. Certains d’entre eux comme Jean-Pierre Azéma et François Bédarida réorientent leurs recherches personnelles et s’intéressent à cette période. À la rentrée 1983, les programmes de lycées font entrer dans les enseignements cette nouvelle vision de Vichy.
c. « 40 millions de collabos », un nouveau mythe
Après l’effondrement du mythe résistancialiste, un autre mythe se crée, celui d’une France où on aurait compté « 40 millions de collabos », pour reprendre le titre d’un livre célèbre de l’Historien Henri Amouroux.

Ce mythe est propagé dans certains films comme Lacombe Lucien ou dans des romans comme La cuisine au beurre de Jean Dutourd et donne le sentiment que tous les Français ont collaboré au régime vichyste de façon plus ou moins active.

Dans les années 1980-1990, des Historiens comme Pierre Laborie ou John Sweets ont nuancé cette thèse et montré que les comportements de la population avaient pu évoluer en fonction des circonstances.
2. L’Historien convoqué au tribunal de l’Histoire
a. Des Français jugés pour crime contre l’humanité
Dans les années 1970, l’accent est mis sur la politique antijuive du régime de Vichy et sur la recherche des responsables. Pour la première fois, en 1979, un Français est inculpé pour crime contre l’humanité grâce à la loi de 1964. Il s’agit de Jean Leguay, chef de la police en zone occupée et ordonnateur de la rafle du Vel’ d’hiv. Il meurt avant la fin de l’instruction mais son procès ouvre la brèche au travail de la justice.

Les procès se succèdent dans les années 1980 : l’ancien SS Klaus Barbie (1983-1987), l’affaire Papon à partir de 1981, les inculpations de René Bousquet et Paul Touvier. Ces procès permettent de faire non seulement justice des actes commis pendant l’Occupation mais aussi d’analyser les complicités dont ces hommes ont joui entre 1945 et leur procès.
 
 
  Klaus Barbie
(1913 - 1991)
René Bousquet
(1910 - 1993)
Paul Touvier
(1915 - 1966)
Maurice Papon
(1910 - 2007)
Fonction Ancien SS. Dirige la Gestapo à Lyon (1942-1944). Secrétaire général de la police dans le gouvernement de Vichy Ex-chef milicien Secrétaire général de la préfecture de Gironde (1942-1944)
Procès 1987 1993 1994 1998
Motif/s Responsable de la rafle des enfants d'Izieu et de la mort de J. Moulin. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité Organisateur de la rafle du Vel d'Hiv. Il meurt assassiné avant l'ouverture de son procès Condamné à la réclusion criminelle à perpétuité Condamné à 10 ans de réclusion criminelle


On demande à l’Historien de prendre une part active dans ces conflits de mémoires : Amouroux et Paxton témoignent et s’opposent au procès Papon à Bordeaux en 1997 ; Henry Rousso refuse en revanche de participer au procès Touvier en 1994.

« (...) cinquante ans après, faut-il les juger? Cette répulsion n'a rien à avoir avec la gravité du crime. (...) Quant à l'imprescriptibilité, j'en vois bien les raisons dans le cas des génocides contre les juifs et les tsiganes. L'imprescriptibilité est contraire à l'idée de justice humaine. Ma conclusion est nette. Au point où nous en sommes, la justice doit s'effacer devant l'histoire. Ce ne sont plus les hommes qu'il faut condamner, ce sont des vérités qu'il faut établir ou rétablir ». (Source : « Faut-il les juger? », Le Nouvel Observateur, 21 juin 1990)
b. Les mensonges contre la mémoire
L’expertise de l’Historien est cependant souvent indispensable dans ces conflits de mémoire. La négation de la mémoire prend appui sur la disparition des acteurs et des témoins et prolifère sur l’éloignement des faits. C’est ainsi que renaît à la fin des années 1970 le négationnisme, professé par Robert Faurisson. En 1978, cet universitaire écrit un article tentant de démontrer que les chambres à gaz n’ont jamais existé.

Les Historiens se mobilisent contre ces mensonges. Dans son immense majorité, l’opinion publique réclame davantage de sévérité envers les falsifications. En 1990, la loi Gayssot punit le négationnisme au prix d’une limitation de la liberté d’expression, ce que contestent certains historiens pourtant anti-négationnistes.

c. Des mémoires aux revendications
Dans les années 1970-1980, les témoignages se multiplient : les récits des survivants des camps de concentration allemands, polonais ou français sont entendus. La parole des Malgré-nous ou des enfants du Lebensborn est enfin entendue. Certaines communautés ethniques comme les tziganes expriment la mémoire de leur extermination. D’autres communautés, comme les homosexuels, font valoir par des travaux d’Historien leur droit à être reconnus comme victimes des Nazis.

Lebensborn (« fontaine de vie ») : les Lebensborn sont des centres destinés à la perpétuation de la race aryenne par les Nazis. Crèches et foyers, ils sont aussi vraisemblablement des lieux de rencontres entre des femmes « aryennes » et des membres de la SS. L’enfant était ensuite pris en charge par la SS pour constituer la future élite du Reich. Beaucoup d’enfants furent aussi kidnappés dans les pays occupés et confiés à des familles allemandes.

La mémoire juive s’affirme et se structure. La série américaine Holocauste (1979) ou Shoah de Claude Lanzmann (1985) marquent un moment important de cette affirmation.

La question des responsabilités des États complices des Nazis se pose. La question de la reconnaissance de ces responsabilités et du dédommagement des victimes aussi. Des associations sollicitent les Historiens pour faire valoir leurs droits comme c’est le cas dans le procès Lipietz contre la SNCF en 2006.
3. L’historien face aux ambiguïtés du devoir de mémoire
a. Un débat qui divise les responsables politiques
Le début des années 1990 est marqué par la révélation du passé de François Mitterrand. La polémique pousse le Président à cesser de fleurir la tombe du Maréchal Pétain tous les 11 novembre (cet hommage était rendu au vainqueur de Verdun et non au chef de l’État Français de 1940 à 1944). On célèbre même les 50 ans de la Rafle du Vél’ d’Hiv mais François Mitterrand refuse d’assumer la responsabilité de la France dans le génocide juif.

Le 16 juillet 1995 constitue un grand tournant : Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’État. Ce discours abandonne les mythes propagés depuis la Libération et apparaît comme un discours d’apaisement qui fait entrer les mémoires dans l’Histoire.

 À la suite de ce discours, plusieurs institutions comme l’Église ou la police demandent pardon pour leur rôle dans le soutien à la politique de Vichy.
b. Un sujet moins polémique
- Les derniers procès (Touvier et Papon) permettent de terminer le travail de mémoire dans les années 1990.
- La reconnaissance morale s’accompagne d’une indemnisation : en 1996, l’État finit de réparer la spoliation des biens juifs.
- En 2005, le Mémorial de la Shoah à Paris est inauguré.

 
Doc. 3. Mémorial de la Shoah  Doc. 4. Le Centre de Documentation Juive Contemporaine, Mémorial de la Shoah, 17 rue Geoffroy l'Asnier, Paris 4e

c. La repentance ?
Certains refusent la repentance en indiquant que Vichy ce n’était pas la France (Marie-France Garaud et Pierre Juillet).

 De manière générale, l’articulation entre Histoire et mémoires reste polémique, comme le montrent les polémiques autour du film Lucie Aubrac ou autour de la lecture de la lettre de Guy Môquet voulue par Nicolas Sarkozy en 2007. Même Marine Le Pen dont le père a dérapé sur le sujet a tenu dès son arrivée à la tête du Front National à clarifier sa position sur la 2e Guerre mondiale alors qu’elle est née plus de 20 ans après les faits.

La question du rôle de l’Historien et de l’Histoire est posée par la reconnaissance des mémoires : le rôle de l’Historien est-il de fournir à la société des éléments pour « expier » les erreurs des générations précédentes, au risque de l’anachronisme ?
L'essentiel
À travers ce sujet encore polémique, c’est bien le rôle de l’Historien que est étudié ici.

La mémoire, les mémoires, est ou sont incontestables du point de vue historique. Mais la mémoire n’est pas l’Histoire. En construisant l’Histoire autour des mémoires, on court un grand danger : le danger de voir l’historien ne plus rechercher la vérité mais se faire le porte-voix de vérités diverses, variées et contradictoires.

L’Historien est au service de la vérité historique dans son entièreté et ne saurait être prisonnier d’une volonté politique, d’une nécessité morale, d’une idéologie ou d’un consensus social. Pourtant, il doit accepter et encourager le travail de mémoire nécessaire à la société, par ses travaux, sa participation à des procès ou simplement par la diffusion de son savoir. C’est aussi le sens de l’apprentissage de l’Histoire au lycée.

De manière générale, l’Historien ne peut pas ignorer les mémoires mais ne doit pas réécrire l’Histoire à partir et autour des mémoires sous peine de la dénaturer et de l’asservir à la demande sociale.
Références
Bibliographie sur la mémoire et l'Histoire :

- Bédarida François, Histoire, critique et responsabilité, Complexe/IHTP CNRS, « Histoire du temps présent », 2003, p. 358.
- « Les historiens et le travail de mémoire », Esprit, août-septembre 2000.
- La Mémoire, entre histoire et politique (s.d. Yves Léonard), Cahiers français n° 303, juillet-août 2001.
- Nora Pierre, « Entre mémoire et histoire », Les Lieux de mémoire, I. La République, Gallimard, « Bibliothèque illustrée des histoires », 1984, p. XV- XLII.
- Prost Antoine, Douze leçons sur l’histoire, Seuil, « Points histoire », 1996, p. 101-125 et 283-306.
- Ricœur Paul, La Mémoire, l’Histoire et l’Oubli, Seuil, « Points essais », 2003, p. 689.
- Rioux Jean-Pierre, « Devoir de mémoire, devoir d’intelligence », Vingtième siècle. Revue d’histoire, janvier-mars 2002, p. 157-167.

Bibliographie sur la déportation des Juifs :

- Traverso Enzo, « Auschwitz : une mémoire singulière ? », Qu’est-ce que transmettre ?, Sciences
humaines hors série n° 36, mars-avril-mai 2002, p. 84-86.
- Veil Simone, « Réflexions sur la mémoire de la Shoah », Historiens et Géographes, n° 384, oct-nov 2003, p. 51-59.
- Wieviorka Annette, Déportation et Génocide. Entre la mémoire et l’oubli, Hachette, « Pluriel », 2003, 506 p., et L’Ere du témoin, Hachette, « Pluriel », 2002, p. 186.
- Frank Robert, « La mémoire empoisonnée », dans La France des années noires, 2. De l’Occupation à la Libération, Seuil, " Points histoire ", 2000, p. 541-576.
- Rousso Henry, Le Syndrome de Vichy de 1944 à nos jours, Seuil, « Points histoire », 1990, p. 414 et Conan Eric, Rousso Henry, Vichy, un passé qui ne passe pas, Gallimard, « Folio histoire », 1999, p. 513.
- Rousso Henry, Vichy. L’événement, la mémoire, l’histoire, Gallimard, « Folio histoire », 2001, p. 9-51, p. 489-552 et 345-485.

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