Représentation de Nana de Zola et l'Olympia de Manet

Enfant de la haute bourgeoisie, cultivée et conservatrice, le petit Edouard souhaite devenir artiste peintre. Il entre en 1850 à l’école des beaux arts de Paris, où il se forge une solide connaissance des grands maîtres classiques et une grande culture des arts. Très rapidement Manet revendique sa subjectivité « ce qu’il voit et non ce qu’il plaît aux autres de voir. » Il gardera tout au long de sa vie cette démarche, s’opposant à une bourgeoisie prompte à n’admirer que l’esthétisme sage et décoratif.
Il présente au salon de 1859 son Buveur d’absinthe. La toile est refusée par le jury.

Figure emblématique du mouvement impressionniste, Manet donne une vision moderne et quasi sociologique de son époque, passant du réalisme au naturalisme.

Doc.1. Le déjeuner sur l'herbe (1863), Edouard Manet

S’inspirant de la Vénus d’Urbino du Titien, Manet ne peint pas une femme/Vénus, idéalisée, modelée par les fantasmes masculins, mais une vraie femme qui fixe le spectateur.

Olympia est représentée nue, allongée sur son sofa, impudique, insolente et détachée, fragile et cruelle. Sur un arrière plan sombre, une femme noire, sa servante, lui présente un bouquet de fleurs, cadeau de quelqu’amant reconnaissant. Un chat noir, symbole de la luxure, se trouve aux côtés de la jeune femme, représentée la main sur le sexe. Olympia (prénom choisi par de nombreuses courtisanes), porte au bras droit un bracelet en or, au cou un ruban, dans les cheveux une fleur et a gardé aux pieds une mule, l’autre étant sur le lit.

Ces innocents symboles de féminité sont saisissants sur une chair blafarde, dans une lumière crue, ils créent un sentiment de malaise et laissent présager un destin tragique. La toile crée un énorme scandale lors de sa présentation en 1865, on lui reproche la vulgarité de son thème, la prostitution, la maladresse du dessin, l’incohérence du choix des couleurs.

Doc.2. Venus d'Urbin (1538), Titien	Doc.3. Olympia (1863), Edouard Manet

Auteur prolifique, Zola est romancier, auteur dramatique, journaliste, critique d’art. Les Rougon-Macquart, fresque historique en 20 volumes, qui retrace la vie d’une famille au second Empire, est son œuvre majeure. Passionné par les découvertes scientifiques et médicales (hérédité, atavisme), qu’il utilise dans ses romans, il démontre l’influence du milieu et de l’hérédité sur la destinée individuelle et collective des hommes. Sa démarche est celle du Naturalisme caractérisée par l’observation objective de la société.

Anna Coupeau, Nana, fille de Gervaise, fait ses débuts au théâtre incarnant une Vénus blonde. Vite courtisée, Nana trouve en Muffat, riche bourgeois d’Empire, un protecteur dévoué qu’elle ne cesse d’humilier et de faire souffrir. Durant de nombreuses années, elle mène une vie de courtisane qui la conduit à la déchéance et à la mort. Nana incarne toutes ces femmes accablées par la misère, forcées à se prostituer. Victimes de la société, elles deviennent de cruelles prédatrices, profitant du désir des hommes. Nana est aussi le symbole de la société décadente du second Empire.

Emile Zola défend Manet : pour lui, l’Olympia est un chef d’œuvre, il n’y voit rien de scandaleux, mais la simple expression d’un artiste sincère, qui peint la vérité « Il nous a fait connaître l’Olympia, cette fille de nos jours que vous rencontrez sur les trottoirs et qui serre ses maigres épaules dans un mince châle. »

La figure d’Olympia est proche de celle du personnage de Nana, filles fragiles, victimes de la misère et du désir, que le malheur rend cruelles et froides. Nana, Olympia, ces déesses modernes au teint blafard, qui vivent quelques heures de gloire avant de retomber au plus bas .

En 1868, Manet peint Le portrait d’Emile Zola. L’homme est assis à sa table de travail, entouré de ses livres, sur l’un d’eux se lit le nom de Manet, en arrière plan, accrochée au mur, la toile de l’Olympia

Doc.4. Le portrait d'Emile Zola (1868), Edouard Manet

Peintre et écrivain observent et restituent leur vision, crue, authentique, scientifique (plus spécialement pour Zola). Leurs œuvres et leurs thèmes parfois se font écho : la prostitution, l’alcoolisme, la modernité et la mode… L’Olympia et Nana ; Le buveur d’absinthe et l’Assommoir ; Le chemin de fer et La bête humaine ; La musique aux tuileries et Au bonheur des dames… Peindre et dépeindre la réalité c’est, pour les Naturalistes, aller au-delà des apparences, observer et comprendre l’atome des choses et ses combinaisons. Ils racontent et peignent le peuple et celui-ci peut se reconnaître dans ces nouvelles représentations littéraires et picturales. C’est la révolution de la modernité.

Doc.5. Musique aux jardins des Tuileries (1862), E. Manet	Doc.6. Le buveur d'absinthe, E. Manet