Héritière de la poésie de la fin du
20e siècle, diverse, innovante, libre, la
poésie de cette première décennie du
21e siècle se montre dynamique,
agitée. Elle échappe aux courants, mais laisse
entrevoir des tendances : celle d’un renouveau du
lyrisme et celle d’une poésie
d’expérimentation, proche des arts
plastiques. Elle tente d’exprimer la
réalité du monde sensible. Même si la
poésie se vend mal en librairie,
l’intérêt pour cette expression n’est
pas mort puisqu’elle a gagné les blogs, les
ateliers de création sur l’Internet, qu’on
la fête avec le Printemps des poètes ou le
Marché de la poésie.
En 2011, c’est à un poète suédois,
Tomas Tranströmer, qu’est décerné le
prix Nobel de littérature.
1. Héritage
a. Le langage au service du sens
Tout comme les surréalistes et les grands noms du
20e siècle comme Char, Ponge, Michaux,
certains poètes contemporains conçoivent
encore leur art comme une expérimentation
audacieuse sur le langage au service du sens. Le
lecteur est invité à décrypter
patiemment le texte pour comprendre son sens.
(Christian Prigent, Anne-Marie Albiach, Valère
Novarino, Jean Daive…)
b. Entre les contraintes et les libertés
Ils poursuivent le travail de recherches formelles,
(parfois ludique) qui consiste à créer un
espace d’observations et
d’innovations pour le langage. Ils sont les
héritiers directs des Calligrammes
d’Apollinaire, ou des poètes de
l’OuliPo (Ouvroir de Littérature
Potentielle), Olivier Salon, par exemple. Leur
poésie alterne entre le respect des contraintes
(retour à la prosodie traditionnelle avec
l’alexandrin ou l’octosyllabe) et la totale
liberté (blancs typographiques, mots isolés
sur la page, déconstruction, poème
monosyllabique, collages, montages, dessins…).
c. En quête de sens
Ils continuent à s’interroger sur
l’homme, sur la société autant
que sur la poésie elle-même. La
poésie est toujours une quête de
sens. Jacques Réda, par exemple dans son
recueil Démêlés, paru en 2008.
d. Influences étrangères
Elle profite aussi de certains apports étrangers
comme le petit poème japonais, le
haïku.
2. Renouveau
a. La simplicité au service de la
beauté
Pour certains poètes actuels, les recherches
linguistiques sont mises au second plan, et l’on
note un retour vers une expression plus sobre,
plus simple, plus authentique où l’on
reparle de soi dans une forme lyrique
modernisée. Philippe Jaccottet se pose
d’ailleurs la question suivante : Comment
peut-on écrire simplement les choses du
monde ? Les poètes appartenant à cette
mouvance sont soucieux du sens, de la
beauté.
b. Au plus près de la réalité
De même que l’on reprend les chemins du
lyrisme, on essaie aussi de se confronter à la
réalité du quotidien.
L’expression se fait plus concrète (on
utilise les objets du quotidien), plus sombre aussi,
parfois. Les faits marquants de
l’actualité (le génocide du
Rwanda, l’Afghanistan, la misère en
Occident) ont inspiré les œuvres
d’Ariane Dreyfus, Iris, c’est votre
bleu (2008), Claude Ber, La mort n’est
jamais comme... (2003) D’autres encore
dénoncent la violence de
l’humanité, les débordements de la
société de consommation. (Denis Roche,
Bernard Noël)
c. Le Slam
Certains vont plus loin dans l’expression du
désenchantement : les slameurs. On peut citer
l’un d’entre eux, Fabien Marsaud, connu sous
le nom de Grand Corps Malade. Les règles du slam
sont simples : le texte où il s’agit
d’émouvoir par les mots, est
caractérisé par ses rimes et assonances,
ses cadences régulières, sans
accompagnement musical (à la différence du
rap).
d. La poésie ludique
La poésie contemporaine peut aussi être
ludique, elle peut adopter un ton faussement
enfantin, presque naïf, en rupture avec les
œuvres de l’après-guerre.(Jean-Pierre
Verheggen, Claude-Roger Journoud) Elle fait
apparaître un côté «
bricolage » et fait valoir
l’étonnant potentiel de la langue.
3. Quelques poètes
a. Philippe Jaccottet (1925) / Un recueil : Cahier
de verdure
Poète de la nostalgie, c’est un
adepte des haïkus, qui traduisent bien que tout est
éphémère, tout échappe
à l’homme. Pour lui, le poème est un
« lieu » d’émotion où
retenir ce qui disparaît. Il s’agit de
répondre aux mêmes questions que
l’homme se pose de toute
éternité.
b. Guy Goffette (1947) / Un recueil : La Vie promise
Passionné de Verlaine, sa poésie mêle
dans un lyrisme apaisé, un lyrisme du
quotidien, les paysages et les objets. Le rapport
au réel est primordial, il refuse le
surréel. Il s’agit pour lui de
recréer une émotion et de la rendre
accessible à tous.
c. Jacques Ancet (1942) / Un recueil : Un homme
assis et qui regarde
Son œuvre mêle essai, poésie et prose
romanesque. C’est un « militant » de la
poésie. Son site Internet et son blog sont
très fréquentés, il rêve
d’une diffusion encore plus
importante de la poésie. Il fait
l’éloge de la présence et du
simple.
d. Olivier Salon (1955) / Un recueil : El Capitan
Il perpétue la tradition des textes
poétiques à contrainte pratiquée
par le groupe l’OuLiPo et milite pour
l’importance de la relation à la langue,
pour lui, le mot est matière.
e. Jean-Michel Espitallier (1957) / Un recueil :
Où va-t-on ?
Poète inclassable, son travail s’apparente
aux arts plastiques. Il pratique
l’accumulation, le jeu, le détournement, le
collage. Se sert des médias, de la
publicité.
f. Tomas Tranströmer, (1931) Prix Nobel de
Littérature 2011
Le recueil Baltiques de ce poète
suédois est traduit en 55 langues. On le
considère comme l’un des maîtres de la
métaphore, par son intermédiaire, il
cherche à mettre l’émotion à
la portée du lecteur.
g. Adonis, (1930) poète d’origine
syro-libanaise, francophone / Un recueil : La forêt
de l’amour
Pour lui, le poète doit créer un
espace pour mieux voir le monde et tenter
d’unifier l’éphémère
et l’éternel.
L'essentiel
Présenter la poésie de cette première
décennie du 21e siècle revient
à faire le constat qu’elle est bien
vivante même si elle échappe aux
étals des libraires, elle emprunte des voies
contemporaines pour se faire entendre et lire. (blogs,
sites, marchés…) On peut aussi noter, dans la
diversité des styles des poètes, pour
qui chaque aventure est particulière, au moins deux
points communs : le retour au lyrisme et à la
réalité du monde sensible dans un
langage où la recherche peut être
primordiale. La poésie contemporaine est
souvent partagée entre la poésie pure et sa
désacralisation.