La poésie en prose
Il est difficile de définir ce genre hybride et paradoxal, qui emprunte à la fois à la prose et à la poésie et qui se crée un espace poétique particulier, terrain fertile à l’imaginaire, libéré des contraintes formelles.
Depuis le début du 20e siècle jusqu’à nos jours, le genre est prisé par les poètes en quête de liberté, en recherche d’espaces de créativité nouveaux.
« Quand le lac agité ne me permettait pas la navigation, je passais mon après-midi à parcourir l’île en herborisant à droite et à gauche, m’asseyant tantôt dans les réduits les plus riants et les plus solitaires pour y rêver à mon aise, tantôt sur les terrasses et les tertres, pour parcourir des yeux le superbe et ravissant coup d’œil du lac et de ses rivages couronnés d’un côté par des montagnes prochaines et de l’autre élargis en riches et fertiles plaines, dans lesquelles la vue s’étendait jusqu’aux montagnes bleuâtres plus éloignées qui la bornaient. » |
Extrait de la cinquième promenade des Rêveries d'un promeneur solitaire de J.-J. Rousseau |
• Au 19e siècle, ce sont les écrivains romantiques Maurice Guérin dans le Centaure (1840) et Aloysius Bertrand dans Gaspard de la nuit (1842) qui sont les initiateurs de ce genre.
Ils sont à la recherche d’une forme poétique nouvelle qui permette d’échapper à la tyrannie du vers. C’est Baudelaire, dans son recueil Les Petits poèmes en prose (1869), sous-titré Le Spleen de Paris, qui le porte à la connaissance d’un plus grand public.
Il sera suivi dans sa démarche de quête de modernité et de naturel par Lautréamont, dans ses Chants de Maldoror (1869) et par Rimbaud dans Illuminations (1870).
« Partout s’étalait, se
répandait, s’ébaudissait le
peuple en vacances. C’était une de ces
solennités sur lesquelles, pendant un long
temps, comptent les saltimbanques, les faiseurs de
tours, les montreurs d’animaux et les
boutiquiers ambulants, pour compenser les mauvais
temps de l’année. En ces jours-là il me semble que le peuple oublie tout, la douleur et le travail ; il devient pareil aux enfants. Pour les petits c’est un jour de congé, c’est l’horreur de l’école renvoyée à vingt-quatre heures. Pour les grands c’est un armistice conclu avec les puissances malfaisantes de la vie, un répit dans la contention et la lutte universelles. » |
Extrait du poème
« Le Vieux Saltimbanque » tiré
du recueil Petits Poèmes en prose de Baudelaire |
• Au 20e siècle, la poésie en prose est en vogue, elle permet la créativité et la liberté que les surréalistes recherchent, et offre un espace nouveau aux poètes désireux de s’extraire des contraintes de la prosodie. Elle accueille l’écriture automatique de Breton dans Poisson soluble, la description minutieuse d’objets du quotidien de Ponge dans ses Proêmes ou dans Le Parti pris des choses, elle montre le lien étroit de la poésie avec le monde moderne.
« Comme après tout si je consens
à l’existence c’est à
condition de l’accepter pleinement, en tant
qu’elle remet tout en question ; quels
d’ailleurs et si faibles que soient mes
moyens comme ils sont évidemment
plutôt d’ordre littéraire et
rhétorique ; je ne vois pas pourquoi je ne
commencerais pas, arbitrairement, par montrer
qu’à propos des choses les plus
simples il est possible de faire des discours
infinis entièrement composés de
déclarations inédites, enfin
qu’à propos de n’importe quoi
non seulement tout n’est pas dit, mais
à peu près tout reste à dire.
» |
Extrait de Introduction au galet dans le recueil Proêmes de Francis Ponge |
• Les poètes contemporains, pour qui un poème est moins un texte qu’un objet, moins un ensemble voulu et construit que son résultat, ne se privent pas de ce genre qui autorise toute liberté d’expérimentation, ils brouillent encore plus les genres, jouant sur les limites entre vers et prose, entre poésie et roman... Les prosenpoèmes de Jude Stefan, les carnets d’André Blanchard, Petites nuits (2004) en sont des exemples.
« Un tas de tôle, c’est ce qu’était devenue ma 2 CV. Changeant de siècle, et par là même mon fusil d’épaule, je me résolus à rompre avec mes vieilles lunes – la retaper un jour –, et l’expédiai à la casse. Ce ne serait pas faux, m’étais-je avisé, d’y suspecter du symbolique : que la rejoignent ces années soixante-dix, quatre-vingt, tas de rouille elles aussi, durant lesquelles je fus à son volant celui qui prie – pour que rien ne lâche : ni un pneu, avec ce cric qui s’enfonçait dans le châssis au lieu de le soulever, ni le vroum-vroum, avec cette huile qui se cavalait incognito, ni la capote, rapiécée au sparadrap. » |
Extrait de En Guimbarde des Carnets d'André Blanchard |
• Un poème, une nouvelle, une histoire brève ;
• Une transmission d’informations ;
• Une forme fixe, rimée, structurée en vers et strophes obéissant à la prosodie classique.
• Un genre paradoxal, son nom associe deux termes opposés, prose et poésie, qui permet un champ d’investigations et d’innovations, étrangers à la fois au vers et à la prose ;
• Un espace autonome de déconstruction du vers et de reconstruction prosodique de la prose ;
• Un texte en prose, à forme libre, bref (quelques lignes jusqu’à plusieurs paragraphes), formant une unité, caractérisé par sa gratuité (pas de visée narrative, argumentative, informative) ;
• Un espace d’effets poétiques dus à l’adaptation des écarts stylistiques de la prose (dissymétries, ruptures grammaticales, libertés lexicales), à l’utilisation du langage commun emprunté à la rue, le laveur de vitres de Baudelaire, à la publicité, Les bouillon-cubes de Pierre Alféri, une oralité retrouvée ;
• Un travail de création d’une musicalité par le jeu sur les répétitions de termes, anaphores, assonances et allitérations, échos sonores internes, par les constructions syntaxiques symétriques, parallèles ;
• Une forme poétique offrant un réseau métaphorique dense, une présence capitale d’images qui permettent la mise en mots de l’imaginaire ;
• Un objet poétique régi par des tensions : rêverie/réalité, nature/art, début/fin, intérieur/extérieur… dans lequel est privilégiée l’utilisation d’antithèses et d’oxymores. Certains thèmes y sont récurrents : l’imaginaire, le rêve, le fantastique, la ville, la vie quotidienne, parfois triste, tragique, parfois sublimée.
Depuis le début du 20e siècle, le poème en prose s’est popularisé, ses adeptes sont devenus plus nombreux, chez les surréalistes notamment, (Breton, Aragon) qui y ont vu une façon de refuser les principes d’un monde conformiste, puis d’autres qui se sont attachés à décrire les petites choses, le réel, le concret (Ponge, Char, Michaux). Les poètes contemporains s’en sont emparés, c’est pour eux un moyen supplémentaire de repousser les limites entre le vers et la prose (Deguy, Réda, Roubaud). Le poème en prose s’est propagé à l’étranger, en Angleterre avec Oscar Wilde, en Russie avec Tourgueniev, en Allemagne avec Rainer Maria Rilke…

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