Pouvoir et parole
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La parole est une arme. Prendre et garder la parole constitue
donc un enjeu important. Au judo, pour avoir une chance de
faire tomber son adversaire, il faut d’abord avoir une
prise sur lui. Avec la parole, c’est pareil. Une fois
la parole prise, pour se faire entendre, il faut faire preuve
d’éloquence. Les rhétoriciens diraient
qu’il faut s’adapter à son auditoire.
À la télévision, on ne parle pas de la
même façon dans une émission de
divertissement ou dans un magazine
spécialisé.
Compte tenu de ces contraintes, comment se faire entendre (ou
faire entendre la cause que l’on défend) dans
l’espace public ?
Il serait naïf de penser que le discours de celui qui a raison ou qui dit la vérité s’impose de lui-même aux autres. Le discours de la vérité ne convainc pas de lui-même, c’est ce que prétend montrer Gorgias dans le dialogue du même nom. À l’inverse, toute personne qui maitrise l’art de la rhétorique peut se montrer convaincante et donc imposer ses idées. « L’orateur qui n’y connaît rien, convaincra mieux que le connaisseur s’il s’adresse à des gens qui n’en connaissent pas plus que lui. » (Platon, Gorgias, traduction de Monique Canto).
Maitriser de la rhétorique aide à passer pour légitime lorsqu’on s’exprime sur un sujet. Cet art du discours implique de respecter certains codes linguistiques : parler clairement, sans erreur de syntaxe et sans outrance, construire ses phrases, utiliser un lexique étendu et savant. Cette aisance verbale peut s’acquérir dans son milieu social et géographique d’origine, ou dans les grandes écoles d’administration, de commerce et de droit.
Selon Pierre Bourdieu, il existe un « usage officiel de la langue », partagé par les personnes en position de domination dans la société. À l’inverse, les langages populaires comme l’argot, les dialectes locaux, les accents régionaux, les grossièretés, les erreurs de conjugaison ou de syntaxe sont dévalorisés dans les milieux dominants. La rhétorique nous enseigne cependant qu’il n’existe pas qu’un seul type de discours éloquent. Il faut en effet savoir s’adapter à son auditoire, aux personnes que l’on veut convaincre. Il n’est donc pas toujours pertinent d’user d’un langage policé. Donald Trump a par exemple réussi à séduire un électorat populaire, alors même que son langage cru et grossier et ses propos mal aimables choquent les intellectuels, les journalistes et, de façon plus générale, ce qu’on appelle les élites. C’est précisément grâce à ses propos inconvenants qu’une partie plus populaire de l’opinion s’est mobilisée.
Ce qui accompagne et soutient aussi l’éloquence, c’est le statut de la personne qui parle, la position sociale de l’orateur. Une position « en vue » confère une autorité naturelle, par accumulation de capital culturel, économique, social ou encore symbolique (prestige). Pierre Bourdieu nous invite aussi à prendre en compte l’importance des symboles comme le vêtement (celui des juges, par exemple, mais aussi le « costard » qu’évoque Emmanuel Macron lorsqu’il s’adresse à des militants syndicalistes), les lieux ou les objets (comme le sceptre du pouvoir royal ou religieux, la couronne…).
Lorsqu’on ne bénéficie pas de ce capital culturel, économique, social ou symbolique, on peut dire qu’on est en position de dominé dans la société, et la prise de parole devient un enjeu compliqué. Par exemple, de nombreuses études montrent que dans les entreprises, à niveau de compétence égale, les femmes se font plus couper la parole que les hommes en réunion (un phénomène qu’on appelle le manterrupting en anglais, un mot valise composé de « man » et « interrupting »). Les associations féministes, mais aussi politiques ou syndicales, peuvent apporter un soutien important pour aider les personnes discriminées à sortir des habitudes acquises et apprendre à se saisir de la parole en public.
Le pouvoir de l’éloquence, par le youtubeur politique Usul.
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