Les Planches courbes : lecture méthodique 2 - Maxicours

Les Planches courbes : lecture méthodique 2

Toutes les références renvoient à l'édition suivante : Yves Bonnefoy, Les Planches courbes, édition Mercure de France, 2001, Paris. ISBN 2-7152-2298-X

La section « La maison natale » est constituée de douze poèmes dans lesquels s’entrelacent et se confondent le rêve, le souvenir d’enfance lié aux figures parentales et le thème de l’eau.
La figure du père est omniprésente dans cette section et notamment dans le poème VII. Si la référence paternelle constitue un moment unique et intense dans l’œuvre d’Yves Bonnefoy, son étude sera amorcée dans la lecture du poème « Les planches courbes ». Le poème IX qui ressemble à un nouveau réveil « j’ouvre les yeux, c’est bien la maison natale » (p. 92) évoque les deux « parents » : « un homme et une femme se sont assis / Devant cette croisée, l’un face à l’autre, / Ils se parlent, pour une fois. Nous nous concentrerons ici sur le poème IX, composé de trois strophes, qui renvoie à l’image maternelle, à la fois ancrée et « évasive ».
1. Le passage : Poème IX de « La maison natale » p. 93

« Et alors un jour vint
Où j'entendis ce vers extraordinaire de Keats
(...)
Qui troublaient ce regard cherchant à voir
Dans les choses d'ici le lieu perdu ? »

2. Les axes de lecture

Nous allons nous concentrer sur l’étude de la figure insaisissable de la mère et découvrir que pour le poète il s’agit ici d’écrire pour « recueillir la présence ».

a. La mère comme figure insaisissable
  • Une médiation nécessaire

    Toute la section peut se lire sous le signe de « Cérès qui cherche et qui souffre » (p. 98), figure omniprésente dans l’œuvre de Bonnefoy. Dans ce poème, cette référence est présente en filigrane à travers la figure de Ruth exilée. Il faut noter qu’à aucun moment de cette section le mot maman ou mère n’est employé. La mère est envisagée comme une divinité irréelle entre présence et absence : au poème I c’est la « sans-visage » (p. 83), puis une déesse « aux mèches désordonnées » (p. 84) avant d’être, au poème III, « la femme belle buvant avidement de toute sa soif » (p. 85). Il s’agit, au poème IX, de « l’évasive présence maternelle » qui sous des traits divins entre présence et absence, semble être une allégorie de la poésie d’Yves Bonnefoy.

    Il est donc difficile de nommer la mère ou de s’en souvenir même si le surgissement du souvenir est précis « et alors un jour vint / où j’entendis ce vers extraordinaire de Keats ». Si la datation du souvenir est précis, celle-ci passe par une médiation multiple, une mise à distance nécessaire : la mère est évoquée sous les traits d’un personnage biblique Ruth et cette évocation est générée par un vers en langue étrangère du poète anglais John Keats. En effet, Bonnefoy cite, sans les traduire, deux vers extraits de l’Ode à un Rossignol de 1819 -qu’il a traduit dans Keats et Leopardi- : « quand déchirée / du regret du pays natal, elle se tenait droite / En pleurs, dans les sillons d’un autre blé ». L’évocation de Ruth, dont le nom signifie « l’ami », renvoie au livre biblique qui porte son nom. Ce livre relate l’exil à Bethléem, avec sa belle-sœur et sa belle-mère, de Ruth. Cette dernière est connue pour avoir rencontré Booz, aïeul de David, en glanant du blé et de l’orge dans son champ lors d’une famine.

  • Une figure tragique

    Evoquée sous les traits de Cérès ou de Ruth, la figure maternelle apparaît ainsi dans une certaine mesure comme une figure tragique rongée par le « sentiment de l’exil ». Elle est représentée en « larmes ». Le terme « recueillir » employé à la fin du premier vers de la troisième strophe évoque un deuil, celui du mari peut-être -si l’on se réfère à l’histoire personnelle de l’auteur. Seule, la mère doit faire face à la douleur, à la mort et à la solitude. Elle pleure « le lieu perdu » ; son « regard », troublé par les larmes, est tourné silencieusement vers le passé.

b. Ecrire pour « recueillir la présence »
  • Célébrer le souvenir
      
    Face au souvenir douloureux soumis à « l’oubli, l’oubli avide »(p. 91), le poème s’impose comme une forme conjuratoire puisqu’il célèbre le souvenir et va restaurer la communication. Consciente de la fragilité du monde, des êtres pris dans « l’exil » et des souvenirs, la poésie en général et le poème IX particulièrement cherche à « recueillir la présence » le plus souvent « évasive ». La temporalité éclaire la relation du poète à sa propre écriture : les temps du passé sont les seuls à être employés, l’écriture favorise la remontée du souvenir, de ce passé indépassable et insaisissable à la fois. Le souvenir reste fugitif et incomplet mais sa célébration est vecteur de « sens »
  • Restaurer la communication

    Sans pour autant nommer la mère ou s’adresser directement à elle, le poème participe d’une communication restaurée. Tout en acceptant l’insuffisance des mots, le poète a conscience de leur charge poétique, au sens premier du terme c’est-à-dire que les mots sont créateurs d’images, d’un sens profond qui semblent être en lui « depuis l’enfance ». La deuxième strophe du poème IX est emblématique de cette conception :

    « Or, de ces mots,
    Je n’avais pas à pénétrer le sens
    Car il était en moi depuis l’enfance,
    Je n’ai eu qu’à le reconnaître, et à l’aimer
    Quand il est revenu du fond de ma vie. »

    L’enfance et la poésie sont une fois de plus intimement liées et permettent, ensemble, de maintenir l’espérance de la présence. La rime entre « sens »  et « enfance » et les termes en fin de vers « aimer » et « vie »  concentrent toute l’esthétique de la poésie de Bonnefoy.

Conclusion

Ainsi, ce poème exprime pleinement la conception poétique de Bonnefoy et est un hymne à la poésie conçue comme l’évidence dans une saisie authentique que garantit l’enfance. La poésie c’est l’enfance retrouvée. Le souvenir de la mère même diffracté et partiel est une réelle célébration et communication ; la poésie est elle aussi célébrée comme une chance unique de partager le réel, par la mémoire et la vision poétique du monde. 

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