Les Mains libres, lecture méthodique 1 : « Les Sens »
Max Ernst, Valentine Hugo, Pablo Picasso, Marc Chagall ont illustré des recueils du poète. Dans Les Mains libres, c’est lui qui se prête à l’exercice, à l’expérience : il écrit à partir de l’émotion ressentie dans les dessins de Man Ray.
La question qui se pose est la suivante : Quelle est la nature des relations entre l’image et le texte ? Pour tenter de percer ce mystère de la création, nous analysons le poème Les Sens et le dessin qui lui fait face.
Cette collaboration s’installe selon les principes établis par André Breton dans ses Manifestes.
Pour Eluard la création collective avec les peintres, photographes ou dessinateurs va dans le sens de son attachement presque obsessionnel au sens de la vue, il a le désir de tout représenter pour « donner à voir ». (C’est le titre de l’un de ses recueils paru en 1939.) L’acte de voir génère le processus créatif.
La plupart du temps, la collaboration s’est faite dans le sens poésie illustrée par l’image, comme dans le recueil de Paul Eluard, Médieuses, illustré par son amie peintre Valentine Hugo, le recueil Facile, illustré par des photographies de Man Ray.
Le second type de collaboration est plus rare, il s’agit de l’illustration de dessins par des textes, c’est le cas des Mains libres. Le poète crée une œuvre à partir de l’émotion procurée par une autre œuvre d’art.
Prenons l’exemple du poème Les Sens, illustrant un dessin de Man Ray. (p. 592-593) La Pléiade.
« Les Sens »
Dévêtue et le front pur
Tu t’abats comme une hache
Etincelante et d’un poids
A faire lever le plomb
Entends le rubis éclore
La turquoise se faner
Ta bouche séduit ton visage
Et ton corps peut venir
Battant comme un cœur.
(Dessin de Man Ray, 1er avril 1936)
Sa tête est rejetée en arrière, elle semble abandonnée au plaisir, bouche ouverte, yeux fermés et front dégagé. Ses lèvres maquillées, vraisemblablement de rouge.
La chevelure est courte et bouclée, elle sort en partie du cadre comme souvent chez Man Ray (notamment dans ses photos).
Au second plan, sont figurées les dernières phalanges d’une main crispée.
La sienne, celle d’un autre ?
A l’arrière-plan, en haut, à gauche, un lustre qui semble être « Art déco », en pâte de verre est source de lumière.
Des hachures densifient l’arrière-plan, en bas, à droite, semblant soutenir la nuque de la femme.
Le poète s’adresse à une femme dévêtue, on peut noter une occurrence du pronom personnel tu, une du pronom personnel réfléchi t’, trois occurrences de l’adjectif possessif de la deuxième personne du singulier ta, ton, ton. Il l’incite à entendre, avec ce verbe au mode impératif, entends. C’est une invitation au plaisir charnel, ton corps peut venir.
Le poème est composé de deux strophes, la première est un quatrain, la deuxième comporte 5 vers. Les vers sont réguliers dans la première strophe (7 syllabes), dans la deuxième, les vers sont irréguliers, 7/7/8/6/5 ; cette cassure dans le rythme suggère les battements du cœur qui s’accélèrent avant l’acte d’amour, battant comme un cœur. Ces battements de cœur sont suggérés également par l’allitération en t : 10 occurrences.
La sensation sonore, (celle du souffle, de la respiration qui s’accélère) est marquée par l’allitération en r, dans rubis, éclore, corps, venir cœur.
Le champ lexical, cher à Eluard, est présent : bouche, visage, corps, cœur. Il tourne autour du corps de la femme aimée, mais laisse « le dernier mot » au coeur. L’amour terrestre des plaisirs de la chair voisine avec l’amour idéal.
Il y a un côté violent dans cette étreinte, qui est suggéré par les mots : t’abats, hache, poids, plomb, battant, faner.
On relève deux comparaisons, comme une hache, il n’y a pas de douceur dans cette étreinte et comme un cœur qui indiquerait l’inverse, il s’agit vraisemblablement de la femme aimée, Nusch.
Les métaphores rubis et turquoise font allusion au rouge de ses lèvres qui s’ouvrent et au bleu turquoise de ses yeux qui se troublent. On note une opposition entre les verbes éclore/se fanent.
Le front pur peut être considéré comme un blason, à l’instar du poème Le front de Maurice Scève auquel il est fait référence. (1536)
agrégation (assemblage en un tout de particules solides), d’une amplification (agrandissement, accroissement) ?
Se poser ces questions revient à établir des liens entre le dessin, l’œuvre initiale et le poème, son « illustration ». Certains sont apparents, d’autres plus suggérés, voire implicites.
Quelques exemples :
· Le front pur/front dégagé
· Les lèvres entrouvertes, rubis éclos.
· Turquoise fanés/yeux clos
· Crispation du plaisir
· Lampe/étincelante
· Souffle perceptible (bouche ouverte/allitération en r) ...
Au final, on ne sait pas laquelle de ces œuvres est l’illustration de l’autre, l’existence de l’une renforce le sens de l’autre.

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