« Madame Bovary », Gustave Flaubert : La perfection du style
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Objectif
Découvrir comment naît ce que l’on appelle
« la perfection du style » chez
Flaubert.
Le roman Madame Bovary
paraît en 1857 ; il
est édité par Michel Lévy
Frères, après 56 mois de travail
acharné et quelques 5 000 pages de
brouillons et de manuscrits.
Flaubert laisse à la postérité et aux chercheurs en littérature une abondante correspondance qui explicite son travail ; il existe en outre de nombreux écrits de ses contemporains qui éclairent également son travail de création.
Flaubert laisse à la postérité et aux chercheurs en littérature une abondante correspondance qui explicite son travail ; il existe en outre de nombreux écrits de ses contemporains qui éclairent également son travail de création.
1. Les affres de la création littéraire
chez Flaubert
a. La documentation
L’incipit du roman est précédé
de volumes de notes documentaires, de plans et de
scénarios.
On peut y trouver des notes telles que « Il lit Le Traité pratique du pied-bot du docteur Duval, L’Officine ou Répertoire général de pharmacie pratique », « il assiste à un comice agricole », etc.
On peut y trouver des notes telles que « Il lit Le Traité pratique du pied-bot du docteur Duval, L’Officine ou Répertoire général de pharmacie pratique », « il assiste à un comice agricole », etc.
b. Les brouillons
Le manuscrit définitif du roman comporte
470 feuillets, mais
ce sont plus de 4 500 feuilles que
Flaubert a écrites, annotées,
retravaillées, récrites… et qui sont
désormais consultables sur Internet.
Doc.1. Page manuscrite avec corrections et ratures du roman Madame Bovary de Gustave Flaubert |
« [Flaubert] travaille avec une obstination féroce, écrit, rature, recommence, surcharge les lignes, emplit les marges, trace des mots en travers, et sous la fatigue de son cerveau il geint comme un scieur de long. » |
Maupassant, Souvenirs d’un an |
« Mille préoccupations l'obsèdent. Il condense quatre pages en dix lignes ; et la joue enflée, le front rouge, tendant ses muscles comme un athlète qui lutte, il se bat désespérément contre l'idée, la saisit, l'étreint, la subjugue, et peu à peu, avec des efforts surhumains, il l'encage, comme une bête captive, dans une forme solide et précise. » |
Maupassant, Souvenirs d’un an |
c. L’épreuve du gueuloir
Après le travail acharné, la
lutte avec les mots, les sonorités et les
rythmes à l’écrit, Flaubert passe
son texte à l’épreuve de la
lecture à voix haute pour
lui-même, à
l’épreuve de ce qu’il nomme le
« gueuloir ».
« Je vois assez régulièrement se lever l’aurore (comme présentement), car je pousse ma besogne fort avant dans la nuit, les fenêtres ouvertes, en manches de chemise et gueulant, dans le silence du cabinet, comme un énergumène ! » |
Flaubert, Lettre à Madame Brenne |
« Une phrase est viable, disait
[Flaubert], quand elle correspond à toutes
les nécessités de la
respiration. Je sais qu'elle est bonne
lorsqu'elle peut être lue tout haut.
Les phrases mal écrites,
écrivait-il dans la préface des
Dernières Chansons de Louis
Bouilhet, ne résistent pas à cette
épreuve ; elles oppressent la
poitrine, gênent les battements du
cœur et se trouvent ainsi en dehors des
conditions de la vie. » |
Maupassant, Gustave Flaubert |
d. La lecture à voix haute à ses
proches
« Si je n'ai pas répondu plus tôt à ta lettre dolente et découragée, c'est que j'ai été dans un grand accès de travail. Avant-hier, je me suis couché à 5 heures du matin et hier à 3 heures. Depuis lundi dernier, j'ai laissé de côté toute autre chose, et j'ai exclusivement toute la semaine pioché ma Bovary, ennuyé de ne pas avancer. Je suis maintenant arrivé à mon bal que je commence lundi. J'espère que ça ira mieux. J'ai fait, depuis que tu ne m'as vu, 25 pages net (25 pages en six semaines). Elles ont été dures à rouler. Je les lirai demain à Bouilhet. Quant à moi, je les ai tellement travaillées, recopiées, changées, maniées, que pour le moment je n'y vois que du feu. Je crois pourtant qu'elles se tiennent debout. » |
Flaubert, Correspondance à Louise Colet |
« Il est rouge, il est violet :
– "une cerise à l'eau-de-vie
tombée dans le feu", disait Théo.
– C'est Gustave Flaubert.
Il vient de lire à haute voix, de
déclamer des fragments de
Salammbô : la scène du
serpent, l'entrevue de la fille d'Hamilcar et
de Mathô. »
|
Joseph Primoli, Gustave Flaubert chez la princesse Mathilde. |
e. Le travail acharné et la patience de
l’artisan
Flaubert présente son travail comme une lutte patiente contre la
matière. Plus que de
l’inspiration, la création littéraire
provient du travail
constant.
« Il faut une volonté surhumaine pour écrire. Et je ne suis qu'un homme. » |
Flaubert, Lettre
à Louise
Colet |
« Écrire était donc pour lui une chose redoutable, pleine de tourments, de périls, de fatigues. Il allait s'asseoir à sa table avec la peur et le désir de cette besogne aimée et torturante. Il restait là, pendant des heures, immobile, acharné à son travail effrayant de colosse patient et minutieux qui bâtirait une pyramide avec des billes d'enfant. » |
Maupassant, Gustave
Flaubert |
« Obsédé par cette croyance absolue qu'il n'existe qu'une manière d'exprimer une chose, un mot pour la dire, un adjectif pour la qualifier et un verbe pour l'animer, il se livrait à un labeur surhumain pour découvrir, à chaque phrase, ce mot, cette épithète et ce verbe. Il croyait ainsi à une harmonie mystérieuse des expressions, et quand un terme juste ne lui semblait point euphonique, il en cherchait un autre avec une invincible patience, certain qu'il ne tenait pas le vrai, l'unique. » |
Maupassant, Gustave Flaubert |
« La causerie va sur Flaubert, ses
étranges procédés de
conscience, de patience, de sept ans de
travail :
Figurez-vous que l'autre jour, il m'a
dit : "C'est fini ; je n'ai plus qu'une
dizaine de phrases à écrire, mais
j'ai toutes mes chutes de phrases !" Ainsi, il
a déjà la musique des fins de
phrases qu'il n'a pas encore faites, il a ses
chutes... Que c'est drôle,
hein ?... »
|
Edmond et Jules Goncourt, Mémoires de la vie littéraire, Journal |
2. Des caractéristiques du style de Flaubert
a. La notion de style
L'écriture est un travail
sur le style.
On appelle « style » une façon d'écrire directement liée au genre littéraire jusqu’au 18e siècle. Ensuite, cette notion s’est transformée pour devenir avant tout le signe d'une expression personnelle.
Le style d'un écrivain, c'est sa signature, sa marque de fabrique. Plus qu'une technique, le travail sur les mots et la phrase révèle véritablement un auteur, exprime sa vision du monde et de la littérature.
On appelle « style » une façon d'écrire directement liée au genre littéraire jusqu’au 18e siècle. Ensuite, cette notion s’est transformée pour devenir avant tout le signe d'une expression personnelle.
Le style d'un écrivain, c'est sa signature, sa marque de fabrique. Plus qu'une technique, le travail sur les mots et la phrase révèle véritablement un auteur, exprime sa vision du monde et de la littérature.
« Ce qui me semble beau, ce que je
voudrais faire, c'est un livre sur rien, un livre
sans attache extérieure, qui se tiendrait
de lui-même par la force interne de son
style, le style étant à lui tout
seul une manière absolue de voir les
choses. [...] Un style [...] qui serait rythmé comme les vers, précis comme les sciences, avec des ondulations et des ronflements de violoncelle. » |
Flaubert, Lettre à Louise Colet |
b. Le discours indirect libre
Flaubert limite les
dialogues dont il critique
l’excès dans les romans
contemporains.
Il leur préfère le discours indirect libre, qui permet la continuité de la narration.
Il leur préfère le discours indirect libre, qui permet la continuité de la narration.
c. La prépondérance de
l’imparfait
L’imparfait permet
de passer de la vision intérieure des
personnages au point de vue extérieur sur
les choses : cela donne au récit un
rythme lent, pesant, qui renforce la
passivité des personnages et la lourdeur des
situations.
d. Un mélange de réalisme et de
lyrisme
Flaubert marie le souci de
précision du réalisme au
rythme du lyrisme, tout
en s’efforçant de rejeter le romantisme
qu’il porte au plus profond de lui.
« Bon ou mauvais, ce livre aura été pour moi un tour de force prodigieux, tant le style, la composition, les personnages et l’effet sensible sont loin de ma manière naturelle. Dans Saint Antoine j’étais chez moi. Ici, je suis chez le voisin. Aussi je n’y trouve aucune commodité. » |
Flaubert, Lettre à Louise Colet, 13 juin 1852 |
« Dans Madame Bovary, sa phrase, contrainte à rendre des choses communes, a souvent des élans, des sonorités, des tons au-dessus des sujets qu’elle exprime. Elle part, comme fatiguée d’être contenue, d’être forcée à cette platitude, et, pour dire la stupidité d’Homais ou la niaiserie d’Emma, elle se fait pompeuse ou éclatante, comme si elle traduisait des motifs de poème… » |
Maupassant, Études des œuvres de Flaubert |
L'essentiel
Le roman Madame
Bovary est paru en 1857, après 56 mois de travail
acharné.
Flaubert est un écrivain qui travaillait et retravaillait ses textes. Jamais satisfait de la forme obtenue, il raturait, puis raturait encore : les brouillons qu'il a laissés en fournissent la preuve.
Après ce travail acharné, il déclamait son texte à voix haute, dans ce qu’il appelait son « gueuloir ». C’est à l’épreuve de l’oralité qu’il décidait si le rythme et la musicalité de ses phrases étaient satisfaisants. Il avait l’ambition de trouver le style parfait, il visait « l’Art pur ».
Flaubert est un écrivain qui travaillait et retravaillait ses textes. Jamais satisfait de la forme obtenue, il raturait, puis raturait encore : les brouillons qu'il a laissés en fournissent la preuve.
Après ce travail acharné, il déclamait son texte à voix haute, dans ce qu’il appelait son « gueuloir ». C’est à l’épreuve de l’oralité qu’il décidait si le rythme et la musicalité de ses phrases étaient satisfaisants. Il avait l’ambition de trouver le style parfait, il visait « l’Art pur ».
« Ce qui me semble beau, ce que je voudrais faire, c’est un livre sur rien, un livre sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l’air, un livre qui n’aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, si cela se peut. Les œuvres les plus belles sont celles où il y a le moins de matière. […] C’est pour cela qu’il n’y a ni beaux ni vilains sujets et qu’on pourrait presque établir comme axiome, en se plaçant au point de vue de l’Art pur, qu’il n’y en a aucun, le style étant à lui seul une manière absolue de voir les choses. » |
Flaubert, Lettre à Louise Colet |
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