1. Un roman épistolaire
a. Des impressions de voyage
Deux Persans décident de voyager pour
découvrir le monde et confronter leur vécu. Les
échanges de lettres permettent de livrer des impressions
à chaud au lieu de laisser le temps embellir ou
atténuer la réalité. De fait, les
échanges sont fortement empreints de
l’émotion des Persans, et souvent
de leur étonnement et leur
indignation. En même temps,
Usbek est averti des
problèmes qui agitent la vie du sérail et
conduiront au suicide de Roxane.
b. Le procédé épistolaire
L’échange des lettres multiplie aussi les
points de vue et relativise les
jugements émis. Les personnages évoluent
au fil des lettres, se remettent en question et confrontent leurs
visions du monde. Cependant, le philosophe se profile dans chaque
lettre, derrière chaque personnage. Paul Valéry a parfaitement
illustré le procédé épistolaire dans
Variété : « Entrer chez les gens
pour déconcerter leurs idées, leur faire la
surprise d’être surpris de ce qu’ils font, de
ce qu’ils pensent, et qu’ils n’ont jamais
conçu différent, c’est, au moins, de
l’ingénuité feinte ou réelle, donner
à ressentir toute la relativité d’une
civilisation, d’une confiance habituelle dans l’ordre
établi. »
2. Un roman du sérail
a. Exotisme et dépaysement
Les Turqueries étaient très à la mode
et le déplacement géographique est aussi un
procédé de mise à distance propice à
la critique. Pour ce faire, Montesquieu se doit de reproduire la
couleur locale : les noms, les dates, les détails de
la vie du sérail, les titres donnés aux
différents personnages créent l’illusion du
regard étranger et du voyage. Les lettres envoyées
au sérail ne sont pas innocentes : elles remettent en
question le despotisme d’Usbek, le poids de la religion et la
place de la femme dans l’Islam. Usbek évolue au fil des lettres mais
reste attaché à son sérail par le lien
épistolaire et ne peut donc totalement
s’émanciper de ses mœurs. Il est pris entre
son envie d’apprendre et de progresser dans la
lumière philosophique, et son obscurantisme immuable
surtout manifeste à l’égard des femmes.
b. Une hiérarchie bien définie
Usbek est sans nul
doute le maître incontesté du
sérail. Il gouverne à tous ses membres,
femmes et hommes. Il est suppléé, durant son
voyage, par son premier eunuque qui est chargé de
veiller au bon ordre du sérail en l’absence du
maître. Ce dernier commande au premier eunuque blanc et
au premier eunuque noir. L’un doit surveiller
l’intérieur du sérail et l’autre,
l’extérieur. Les femmes du sérail, quant
à elles, sont soumises aux bonnes volontés du
maître. Celles qui ont de l’influence sur
Usbek sont
Fatmé,
Roxane,
Zachi,
Zélis et
Zéphis. Elles
sont les favorites.
3. Une satire sociale et politique
a. La société
L’hypocrisie et la comédie sociales
sont les cibles privilégiées des Persans, comme le
dit clairement Rica :
« tout le peuple s’assemble sur la fin de
l’après-midi et va jouer une espèce de
scène ». La vie mondaine ne s’articule
qu’autour de mensonges et faux-semblants. Nul n’y
échappe : les lettrés et intellectuels en tous
genres sont passés au crible de l’ironie
mordante des Persans. Les femmes sont, elles,
jugées coquettes et futiles. La vanité et
l’orgueil des Français n’échappent pas
non plus à nos apprentis philosophes :
« Je vois de tous côtés des gens qui
parlent sans cesse d’eux-mêmes ».
b. Le pouvoir royal
La cible essentielle est sans contexte le
Roi, Louis XIV. Le portrait qu’en fait
Usbek est loin d’être flatteur : il est trop
vieux, avare et pourtant dépensier, absolu,
facétieux dans les privilèges et les blâmes
qu’il accorde. Le Roi est dit de droits divins et cette
idée étonne Usbek qui ne voit pas
trop ce que fait Dieu dans la vie politique. Les guerres
excessives choquent les Persans, ainsi que l’esclavage qui
en découle (« les petits rois vendent leurs
sujets aux princes de l’Europe »). On lit
là clairement l’opinion des philosophes des
Lumières.
c. La religion
La religion est surtout critiquée sous l’angle de
l’obscurantisme, mais là,
l’Islam ne semble pas apporter de contre-poids valable au
Catholicisme. Cependant, le Catholicisme se voit reprocher
certains aspects comme le célibat des prêtres qui
nuit à la démographie, ou encore le
caractère unilatéral de cette
religion où « des gens avares prennent
toujours et ne rendent jamais ».
L’intolérance religieuse nuit gravement à
l’humanité, à peu près autant que les
guerres capricieuses du Roi.