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Les Caractères : lecture méthodique 3

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1. Le passage
« Des grands », IX, § 19, 20, 21
2. Situation du passage
Au XVIIe siècle, en plein avènement du théâtre, les formes brèves et discontinues connaissent un véritable engouement, comme en témoignent les Maximes de La Rochefoucauld et celles de Chamfort, les Pensées de Pascal.

Les Caractères de La Bruyère s'inscrivent dans cette tendance et connaissent d'ailleurs un succès immédiat auprès d'un public mondain pourtant bien malmené à travers les chapitres de cet ouvrage hétéroclite, mêlant des maximes très courtes et incisives et des portraits plus ou moins longs. Le tour de force est d'avoir mêlé ces formes tout en leur donnant une unité.
Les paragraphes 19 à 21 offrent finalement un échantillon éloquent de l'art de La Bruyère. La discontinuité s'y affiche dans la fragmentation du discours, et pourtant, une véritable unité régit ces paragraphes qui semblent s'articuler autour du court portrait de Téléphon. La Bruyère y illustre son principe  « d'écrire ce qu'il pense » tout en pratiquant « l'art de lier des pensées et de faire des transitions » (Préface au Discours à l'Académie).

La forme contribue très clairement à cerner peu à peu le sujet observé ici : les apparences éclatent littéralement et l'âme humaine apparaît par touches plus ou moins prononcées (de la notion abstraite à l'étude du spécimen).

3. Les axes de lecture
a. Propriétés de la forme discontinue
Quelle définition pour ces formes brèves ?

Pris indépendamment des autres, le paragraphe se suffit à lui-même et fait sens ; mais dans cet extrait, le paragraphe est étroitement connecté à l'environnement par divers artifices (thématiques, stylistiques). C'est tout le paradoxe des Caractères.

On peut définir les paragraphes de notre extrait ainsi :

  • Le § 19 est à mi-chemin entre la maxime et le caractère : le discours est généralisant comme la maxime et juxtapose finalement plusieurs paroles à portée générale (« Les grands croient être seuls parfaits... », « C'est cependant en eux une erreur grossière de se nourrir de si fausses préventions : ce qu'il y a jamais eu de mieux pensé... ») ; mais à la manière du caractère, on se détache peu à peu de la notion abstraite en cernant davantage la cible par le rappel de la 3e personne (« les grands », « eux », « leur », « ils ») et l'ajout d'informations (« la droiture d'esprit, l'habileté, la délicatesse, et s'emparent de ces riches talents, comme de choses dues à leur naissance »).
  • Le § 20 relève clairement du caractère, forme plus longue et dans une certaine mesure descriptive ; généralement, le sujet est doté d'un nom (Téléphon) qui donne vie à la notion critiquée.
  • Le § 21 relève de la sentence, définie comme « une parole universelle qui, même hors du sujet auquel elle est liée, peut être citée » (citation traduite de Quintilien citée par Alain Compagnon dans La Seconde main ou le travail de la citation, Seuil, 1979).

Jonction et disjonction entre les paragraphes

Du 1er au 3e paragraphe, la notion traitée est la même : le grand croit que sa naissance lui donne toutes les qualités et donc le droit de mépriser les plus petits.

Le lexique est repris d'un paragraphe à l'autre : « prévention » apparaît aux § 19 et 20 ; «grands domaines » (19) renvoie à « grandeur » (21), « connaître » revient aux § 20 et 21 ; on retrouve ici volontiers un procédé propre au discours dramatique : l'enchaînement des répliques par le lexique.
Cependant, la forme discontinue s'ingénue à éclater le discours en fragments : chaque texte apparaît comme une structure close, qui se passerait volontiers de l'entourage.
Charlotte Schapira (La Maxime et le discours d'autorité, SEDES) explique ainsi qu' « à l'intérieur d'un même chapitre une maxime n'est pas complémentaire de celle qui la précède ou lui succède : elle ne prolonge pas la réflexion, mais la recommence à l'infini. »

La forme discontinue naît d'un effet de mimétisme avec le sujet traité : La Bruyère décrit une société en pleine discordance, où des valeurs comme le mérite sont galvaudées et dévoyées.

Place centrale du personnage

Au milieu de ces maximes à la fois dépendantes mais étroitement liées, la place de Téléphon interroge. Il semble alors que le caractère permette d'illustrer, à la manière de l'étude d'un spécimen (« développer, manier, confronter »), les notions abstraites évoquées en 19 et 20. Téléphon prend à la fois la valeur d'exemple et de preuve de la véracité des paroles sentencieuses qui y gagnent en crédibilité. L'exemple est parlant et convaincant. Et il rend le texte d'autant plus divertissant que les contemporains n'ont eu de cesse de chercher quel personnage de l'époque se cachait derrière cette onomastique originale (Pamphile, Téléphon, Théobalde...).

b. Aux frontières du monologue 
Traces du discours dramatique dans l'énonciation

Les pronoms de la 1re et de la 2e personnes renvoient à la personne du locuteur et du destinataire, présent ou absent. La 3e personne désigne ici le sujet du discours.
Par ailleurs, les verbes sont au présent, temps par excellence du discours direct dont relèvent les répliques au théâtre. La ponctuation est abondante, variée et très expressive. Elle utilise les signes de ponctuation marquant la pause dans le discours : le point, la virgule, le point virgule, les deux points. Elle se substitue aux mots de liaison comme les conjonctions de coordination et contribue donc à rendre le discours plus fluide, plus lié, plus rapide (plus direct, comme la parole ?) aussi puisqu'elle se passe de mots encombrants.
Mais surtout, la ponctuation est ici éminemment expressive par l'emploi qu'elle fait des points d'interrogation et d'exclamation (§ 20). Ainsi, les questions « Avez-vous de l'esprit, de la grandeur, de l'habileté, du goût, du discernement ? » ou « Quel moyen de vous définir, Téléphon ? » ne semblent pas appeler de réponse et sont comprises comme questions rhétoriques. Le point d'exclamation (après « approbation ») ponctue une longue phrase accusatrice et montre l'indignation d'un locuteur face aux pressions sociales qui confortent les grands dans leur posture et soumettent les subalternes.

Une habile confusion dans les registres

Différents registres se côtoient ici habilement et montrent toute la diversité stylistique dont est capable La Bruyère :

  • Le registre épique (grandeur exceptionnelle des personnages évoqués, profusion de qualités), ici détourné au profit de la critique (les grands deviennent alors des sortes de héros usurpateurs) : « Les grands croient être seuls parfaits, n'admettent qu'à peine dans les autres hommes la droiture d'esprit, l'habileté, la délicatesse », « Avez-vous de l'esprit, de la grandeur, de l'habileté, du goût, du discernement ? ».
  • Le registre tragique (interrogations rhétoriques, exclamations) renvoie à nouveau au discours dramatique et montre tout le poids de la Fortune dans la valeur de l'homme (celui qui est bien né est voué à l'admiration, celui qui est mal né à la soumission) : « Me laisserai-je éblouir par un air de capacité ou de hauteur qui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s'écrit ; qui vous rend sec sur les louanges, et empêche qu'on ne puisse arracher de vous la moindre approbation ! Je conclus de là plus naturellement que vous avez de la faveur, du crédit et de grandes richesses. »
  • Le registre argumentatif est le propre des maximes et des caractères, voués à dénoncer les travers de la société : il peut être très apparent (« Elles me sont suspectes, et je les récuse ») ou à peine caché dans tout l'appareil rhétorique des discours (lexique, tournures, articulation logique plus ou moins explicite ici...) et le vocabulaire lié à la critique (récuse, jugement).

La dimension monologique du passage

L'on a bien vu que le recours à la ponctuation expressive contribue à émouvoir, indigner le récepteur et rend donc le discours du locuteur plus percutant puisqu'il touche à la sensibilité de l'autre. De plus, ce discours semble s'adresser à un absent nommé, Téléphon.
On sait que le monologue a dans le théâtre la capacité de prendre le spectateur / lecteur directement à partie puisque le personnage, seul en scène, ne s'adresse pas à un autre personnage. Le destinataire (nous) est donc directement impliqué. L'évocation du personnage absent, Téléphon, établit une connivence entre locuteur et récepteur, qui se trouvent donc « unis » dans la critique.

c. Une seule visée : critiquer
Les caractéristiques du discours moraliste

L'énonciation repose tour à tour sur le flou de l'impersonnel, notamment avec les tournures présentatives (c'est, il y a), et sur la présence de la 1re personne du singulier et du pluriel par lesquelles perce la voix du moraliste (je, me, nous).

Par ailleurs, le présent est le temps dominant : il est atemporel dans les paroles sentencieuses (§ 19 et 21) et actualise avec vivacité le portrait du § 20.
Les thématiques sont caractéristiques du discours moraliste, comme chez La Rochefoucauld ou Pascal : la critique des grands, la remise en question de la primauté de la naissance sur celle du mérite personnel.

Une esthétique de l'accumulation

Maîtresses de la rhétorique de La Bruyère, les accumulations permettent d'amplifier les travers des grands, et donc de rendre la critique plus virulente : « n'admettent qu'à peine dans les autres hommes la droiture d'esprit, l'habileté, la délicatesse » ; « ce qu'il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d'une conduite plus délicate » ; « Avez-vous de l'esprit, de la grandeur, de l'habileté, du goût, du discernement ? » ; « un air de capacité ou de hauteur qui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s'écrit. »

La surabondance des propositions relatives contribue aussi à surcharger l'énoncé et à rendre certains traits de la critique plus palpables, plus éloquents : « ce qu'il y a jamais eu de mieux pensé, de mieux dit, de mieux écrit, et peut-être d'une conduite plus délicate » (vaste relative substantive sujet de « ne nous est pas toujours venu » et introduite par le pronom relatif complexe « ce que ») : la relative se développe pour mieux montrer tout ce qui n'est pas du fait des grands ; « qui publient hardiment votre mérite » complète « la prévention et la flatterie » et les personnifient au point de critiquer derrière ces notions ceux qui les pratiquent et vendent leur âme aux grands ; « qui vous met au-dessus de tout ce qui se fait, de ce qui se dit et de ce qui s'écrit ; qui vous rend sec sur les louanges, et empêche qu'on ne puisse arracher de vous la moindre approbation » : ces relatives adjectives complètent « un air de capacité ou de hauteur » et développent les travers des grands qui se permettent, au nom de la naissance, tous ces écarts de civilité.

Les cibles de la critique

La critique a plusieurs cibles ici, plus ou moins évidentes :

  • les grands, c'est-à-dire à la fois le Roi (bien peu concerné par l'état et le devenir de ses sujets), les nobles qui ont leur naissance comme garant de leur mérite (« choses dues à leur naissance », « un air de capacité ou de hauteur ») et ceux qui bénéficient de faveurs et privilèges ;
  • les courtisans, qui caressent l'ego des grands pour accéder à quelque privilège (« la prévention et la flatterie ») ;
  • les plus petits, qui servent docilement l'orgueil des grands sans changer quoi que ce soit à cette condition, ne servant guère que de confident ou de faire-valoir (« leurs subalternes », « Votre homme de confiance, qui est dans votre familiarité »).

On trouve chez La Bruyère les ferments de la critique de la société et du pouvoir qui marqueront à peine quelques années plus tard la littérature du siècle des Lumières et auront les conséquences politiques que l'on sait : la Révolution et le renversement de la monarchie.

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