Le Joueur d'échecs : les valeurs symboliques
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Toutes les références renvoient à l'édition du Livre de Poche n° 7309.
L’allégorie est une figure de rhétorique ou de construction qui consiste à faire d’un personnage l’incarnation d’une notion abstraite (par exemple, Marianne est l’allégorie de la République). On peut relever trois types d’allégorie dans la nouvelle.
Le docteur B…, lorsqu’il introduit le récit de sa vie, en pose d’emblée l’enjeu : « C’est une histoire assez compliquée, et qui pourrait tout au plus servir d’illustration à la charmante et grandiose époque où nous vivons. » (p. 44). L’ironie contenue dans cette phrase est bien sûr destinée à évoquer la réalité politique du moment. Il faut mettre en parallèle cette situation avec celle que vit personnellement Zweig à l’époque : il fuit l’oppression nazie dont il est tout particulièrement victime en tant que Juif autrichien.
En effet, une lecture attentive de la nouvelle permet de dater la naissance de Czentovic en 1918 ; cette année marque la fin de la Première Guerre mondiale et voit aussi naître toutes les rancœurs qui éclateront en 1939. De plus, Czentovic découvre les échecs en 1933, date de l’accession au titre de chancelier de Hitler. Enfin, 1939 marque le couronnement du champion du monde et le début du second conflit mondial.
Le démocrate juif et bourgeois qu’est le docteur B… est en effet torturé comme le furent tous ceux qui voulaient rester fidèles à l’Autriche mais dont la Gestapo espérait pouvoir tirer profit : « la pression qu’on voulait exercer sur nous pour nous arracher les renseignements recherchés était d’une espèce plus subtile que celle des coups de bâton et des tortures corporelles » (p. 51). M. B… connaît ainsi les interrogatoires dépourvus de violence physique et la torture psychologique qui les accompagne cependant.
Les parties d’échecs sont
systématiquement présentées comme des
combats opposant deux camps, voire deux
armées. Le narrateur utilise de fait un abondant
lexique militaire : « Nous
voyions seulement qu’ils déplaçaient leurs
pièces tels des leviers, ou comme des
généraux font marcher leurs troupes pour
tâcher de faire une brèche dans les lignes
ennemies. » (p. 85).
On peut donc aisément concevoir que Czentovic et le
docteur B… rejouent le combat entre
l’humanisme et la barbarie, entre la
démocratie et le totalitarisme, entre la liberté et
la dictature. Toutefois, la défaite finale du
docteur B… met en évidence le désespoir
qui habite Zweig quand il rédige sa nouvelle.
La richesse de la nouvelle et la connaissance de la littérature européenne et mondiale de Zweig permettent de faire du jeu d’échecs une allégorie de la création littéraire.
On sait que Zweig s’est passionné pour
l’ensemble des processus qui président
à l’élaboration d’une œuvre
littéraire ; les artistes en
général l’ont toujours fasciné. Il est
d’autant plus saisissant de savoir que Zweig a constamment
établi un parallèle entre partie
d’échecs et création
littéraire.
Il va même jusqu’à écrire qu’en
matière de création littéraire,
l’inconscient et la
conscience de l’auteur s’affrontent
comme les noirs et les blancs le font pendant une partie
d’échecs. Le lecteur peut dès lors faire le
lien entre cette analyse et le drame que vit le
docteur B… sur la fin de sa
détention : « Mon atroce situation
m’obligeait à tenter ce dédoublement de mon
esprit entre un moi blanc et un moi
noir […]. » (p. 69).
Une lecture allégorique de la création littéraire est donc possible, voire suggérée par l’auteur lui-même. Ainsi, dans une sorte de très longue mise en abyme, le récit de l’affrontement entre Czentovic et le docteur B… relaterait les difficultés que vit l’écrivain lorsqu’il travaille et M. B… devient alors une sorte de double littéraire de Zweig se battant contre lui-même au moment où il écrit Le Joueur d’échecs.
La richesse de la nouvelle de Zweig est telle que le lecteur
peut aisément juxtaposer et faire coexister
plusieurs lectures. L’ancrage dans une
réalité politique conflictuelle
et dramatique permet d’élargir la perspective de
l’affrontement entre ces deux personnages à une
lutte entre deux visions de l’humanité.
Il faut alors s’interroger sur le pessimisme de la fin de
la nouvelle qui voit la victoire ultime du représentant
de l’obscurantisme sur l’humaniste.
Enfin, une autre lecture de l’œuvre délaisse
la portée politique au profit d’un recentrage sur
ce qui constitua toujours l’univers de Zweig :
l’écriture.
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