Le Joueur d'échecs : la fonction du narrateur
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Toutes les références renvoient à l'édition du Livre de Poche n° 7309.
Le lecteur sait très peu de chose sur la personnalité du narrateur. Le premier contact entre le lecteur et le narrateur donne le ton. En effet, on sait qu'il est présent avec son épouse sur un paquebot qui quitte New York pour Buenos Aires, mais on ignore tout des raisons qui l'ont amené sur ce navire ainsi que ce qu'il va chercher sur le continent sud-américain.
La suite de la nouvelle ne nous apprend rien de plus sur les raisons de sa présence à bord. Le narrateur s'efface donc devant les personnages principaux de l'œuvre que sont Mirko et le docteur B. ainsi que devant l'histoire qu'on lui raconte. Le fait qu'on ignore jusqu'au nom même du narrateur est tout à fait symptomatique de son retrait de l'histoire. Il est là, non pas en tant qu'acteur, mais en tant que transmetteur de l'information.
« Son nom, qui me fut aussitôt familier, était celui d'une vieille famille autrichienne très considérée ; je me souvins qu'un très proche ami de Schubert l'avait porté » (p. 43).
Cette supposition est confirmée par le fait que le narrateur est un passager de la première classe.
On sait également peu de chose de la culture et des intérêts du narrateur. Quelques informations sont néanmoins distillées et leur discrétion leur confère un poids supplémentaire. Très rapidement il confie sa passion, c'est-à-dire son intérêt pour « les monomaniaques de tout poil » (p. 20).
Cette forte curiosité est en quelque
sorte à l'origine de toute la nouvelle.
Quelques pages plus loin, toujours par le biais de la
reconstitution, le lecteur est en mesure de percevoir la solide
culture scientifique du narrateur. Les références
à Gall qui aurait pu « disséquer les
cerveaux de champions d'échecs d'une telle espèce
pour voir si la matière grise de pareils génies
ne présentait pas une circonvolution particulière
qui la distinguât des autres »
(p. 24) ; cette référence à un
médecin allemand créateur de la
phrénologie (ou cranioscopie) révèle le
goût prononcé
du narrateur pour la connaissance du fonctionnement de l'esprit
humain.
Enfin, le lecteur apprend aussi que le narrateur aborde
les échecs comme un jeu de
détente.
Paradoxalement, si l'on en sait très peu sur la personnalité du narrateur, cela ne minimise pas son importance dans cette histoire, bien au contraire. En effet, on peut considérer son intérêt pour les monomaniaques (signalés ci-dessus) comme l'élément déclenchant, à l'origine de l'histoire.
Le narrateur est l'organisateur des parties
d'échecs qui induisent les confidences du
docteur B. Il est l'auteur du stratagème qui fait sortir
Czentovic de sa cabine :
« Pour les attirer au grand jour, je conçus
un piège des plus simples : tel un oiseleur, je
m'installai au fumoir, devant un échiquier avec ma femme
qui joue encore moins bien que moi »
(p. 25-26).
A cette tentation volontaire vient s'ajouter
une tactique involontaire qui est le
véritable élément déterminant de la
participation de Czentovic au premier match. En blessant
involontairement MacConnor :
« J'avoue que je n'aurais pas dû employer
cette expression de "joueur de troisième
classe" » (p. 28). Le narrateur vexe l'Ecossais
qui n'a de cesse d'obtenir du champion un
tête-à-tête.
Il intervient une nouvelle fois, mais de manière volontaire, lorsqu'il entreprend de convaincre le docteur B. de rejouer une partie contre le champion. D'abord par inadvertance, puis de manière calculée, le narrateur est le personnage secondaire qui permet que les personnages principaux se rencontrent ; il effectue donc un travail d'intermédiaire essentiel et indispensable au bon déroulement de l'histoire.
Domine chez lui un souci de l'autre qui en fait le confident de chacun, à bord du paquebot, et tout spécialement le protecteur, voire un père de substitution, du docteur B. Il est en effet habité par le souci constant de son bien-être et surtout veille à lui éviter une rechute.
Son rôle est, notamment, primordial lors du dernier
affrontement avec le champion du monde. En tant que confident
principal de B., il est le seul en mesure de percevoir le
danger qui le guette :
« Tout le monde le regardait, un peu surpris, et moi
j'étais plein d'inquiétude, car je venais de
m'apercevoir que malgré son agacement, il arpentait
toujours le même espace ; […].
Je compris en frissonnant qu'il refaisait sans le vouloir
le même nombre de pas que jadis, dans sa
cellule » (p. 88).
Il détient une sorte de sésame magique
qui met fin à l'ultime torture
de B. : « "Remember !" lui
murmurai-je seulement, et je passai le doigt sur la cicatrice
qu'il portait à la main » (p. 94).
Après avoir rendu cet affrontement possible, c'est lui
qui y mettra fin, conscient de la fin tragique qui
attend son compatriote.
Le statut du narrateur est relativement ambigu puisqu'il est considéré à la fois comme un personnage secondaire et celui sans qui l’histoire ne serait pas possible. De plus, son ultime intervention auprès de B. fait de lui une sorte de double par substitution du romancier. En effet, comme Zweig, il possède un pouvoir de vie et de mort sur le personnage.
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