La morale peut-elle être fondée sur la recherche du bonheur ?
Chaque individu agit spontanément de façon
à éviter la douleur ou la peine et dans le but de
faire l'expérience du plaisir et de la
satisfaction. Cette expérience est à
l'origine du sentiment de bonheur. La morale, qui
détermine les règles selon lesquelles nous devons
agir, n'a-t-elle pas dès lors pour fonction de
nous permettre d’accéder au
bonheur ?
1. La morale coïncide avec la recherche du bonheur
a. Le bonheur est un accomplissement
Tous les êtres humains cherchent le plaisir. Plus
on connaît la satisfaction, moins on rencontre de
frustration et plus on s'approche d'un
contentement total. C'est là une
idée du bonheur que nous partageons tous parce
qu'elle se rapporte à une expérience commune et
concrète. Les philosophes
utilitaristes affirment ainsi :
« Par bonheur, on entend le plaisir
et l'absence de douleur ; par malheur, la
douleur et la privation de plaisir »
(J. Stuart Mill,
L'Utilitarisme, 1863).
b. La morale vise l'accomplissement de l'homme
Le bonheur, selon les utilitaristes anglais,
consiste donc en la « maximisation des
plaisirs et la minimisation des peines ».
Mais il faut comprendre que nous sommes dans le domaine
de la morale, et non dans celui de
l’hédonisme : est morale la philosophie qui a pour projet
le bonheur individuel et collectif des hommes.
« Notre sens moral de la vertu nous fait juger
ainsi : que lorsqu’un degré de bonheur
égal est attendu en résultat d’une
action, la vertu est proportionnelle au nombre de
personnes auquel ce bonheur s’étendra
(…) De sorte que l’action la meilleure
est celle qui procure le plus grand bonheur pour le plus
grand nombre, et la pire celle qui, de façon
analogue, occasionne le plus grand malheur »
écrit Francis
Hutcheson, avant que J.S. Mill n’ait
proposé une formule de la doctrine utilitariste.
(Recherches sur l’origine de la beauté et
de la vertu, II, section III, 1725).
c. La morale est recherche du bonheur de tous
Par conséquent, la
philosophie utilitariste fonde la morale sur la recherche
du bonheur : « Les actions
sont bonnes ou mauvaises dans la mesure où elles
tendent à accroître le bonheur, ou à
produire le contraire du bonheur »
(J. Stuart Mill,
L'Utilitarisme). Le bonheur, pour l'utilitarisme,
n'est pas, par conséquent, conçu de
façon égoïste puisqu'une action,
pour être morale, doit favoriser l'accroissement du
bonheur du plus grand nombre.
2. La recherche du bonheur est moralement
indifférente et indéterminée
a. Le concept de bonheur n'a pas de contenu
déterminé
Mais si la morale est fondée sur le bonheur, elle
est alors fondée sur un concept indéterminé.
En effet, même si l'on identifie le bonheur au
plaisir, il reste que chacun a une expérience
et une idée du plaisir très subjective.
Cela entraîne qu'une morale fondée sur le
bonheur sera nécessairement relative à un
individu et elle perdra de ce fait tout
caractère commun. Loin de favoriser la vie
ensemble, elle sera source de conflits
irréductibles. « Le bonheur est un
concept si indéterminé que, écrit
Kant, malgré le
désir de tout homme de parvenir à
être heureux, personne ne peut jamais dire en
termes précis et cohérents ce que
véritablement il désire et il
veut » (Métaphysique des
mœurs, Première section, 1785).
b. Chacun poursuit une idée personnelle du
bonheur
Il ne serait de toute façon pas souhaitable ni même possible
d'imposer à tous une conception du bonheur
identique. Cela reviendrait de façon
paradoxale à sacrifier la liberté de
l'individu pour réaliser son bonheur. On
suppose en effet que l’homme doit être
libre de déterminer ce qui le rend heureux
ou malheureux.
c. Vertu et bonheur ne se confondent pas : l'«
anneau de Gygès »
Dans La République de Platon (Livre II), se pose la
question de savoir s’il est avantageux ou non de
commettre l’injustice : « Tout
homme pense en effet que l’injustice est plus
profitable que la justice ». La fable de
Gygès illustre cette hypothèse :
Gygès, berger droit et vertueux, mis en possession
d’un anneau qui le rend invisible, en profite pour
voler, tuer, et satisfaire tous ses désirs. On
peut en conclure, comme le fait Glaucon, que commettre
l’injustice profite à l’homme.
L’homme juste, lui, est cet homme naïf qui
s’imagine que le bonheur
s’acquiert en respectant les lois et la
morale. La tâche de Socrate consistera à prouver
au contraire qu’il vaut mieux être juste
qu’injuste, et que l’homme juste est plus
heureux que l’homme injuste. Bonheur et morale
sont donc liés.
3. La morale suppose un fondement rationnel
a. La recherche du bonheur n'offre aucun fondement
à la morale
La poursuite du bonheur peut donc favoriser aussi bien
le vice que la vertu. Si tel est le cas, il ne peut
constituer le fondement de la morale. Celle-ci n'a en
effet de sens et de valeur que dans la mesure où
elle est liée à un fondement
déterminé et commun à l'ensemble
des hommes. Sans quoi, chacun agit conformément
à des principes qui relèvent seulement de
l'arbitraire.
b. Le bonheur relève de l'expérience
Dès lors, la raison, commune à tous les
hommes, doit servir de guide à la conduite et
non la sensibilité, relative à chaque
individu. « Il n’y a donc pas à
cet égard d’impératif qui
puisse commander, au sens strict du mot, de faire ce qui
rend heureux, parce que le
bonheur est un idéal, non de la raison, mais de
l'imagination, fondé uniquement sur des
principes empiriques », écrit
Kant. (Fondements de
la métaphysique des mœurs,
Deuxième section, 1785). Le bonheur ne peut
dépendre, selon lui, de la satisfaction de nos
intérêts propres. Cela ne nous apporterait,
d’après ses propres termes, qu’un
« misérable bonheur ».
c. La loi morale relève de la raison
Si le bonheur existe, il ne peut résulter que la
stricte observance de la loi morale :
« Agis comme si la maxime de ton action devait
être érigée par ta volonté en
loi universelle de la nature »
(Fondements de la métaphysique des
mœurs, Deuxième section). Si telle est
la loi morale, on conçoit qu'elle ne se confonde
pas avec la recherche du bonheur
qui, au contraire, est personnelle et
subjective. Par conséquent, la
recherche du bonheur et la morale appartiennent à
deux ordres distincts et, si elles sont toutes deux
légitimes, subordonner la morale au bonheur
revient à lui ôter toute consistance :
« La majesté du devoir n’a rien
à voir avec la jouissance de la
vie ».
Il est vain, pour Kant, de rechercher le bonheur, mais nous pouvons en revanche espérer nous en rendre « dignes ». S’il nous est en effet impossible de renoncer au bonheur, dans la mesure où nous sommes des êtres humains, et s’il nous est également impossible d’obtenir ce bonheur en satisfaisant nos désirs, il est toutefois possible d’espérer un bonheur que nous n’aurons pas recherché pour lui-même. En effet, en obéissant à la loi du devoir, tel que l’exprime l’impératif catégorique, nous pourrons accéder au bonheur.
Il est vain, pour Kant, de rechercher le bonheur, mais nous pouvons en revanche espérer nous en rendre « dignes ». S’il nous est en effet impossible de renoncer au bonheur, dans la mesure où nous sommes des êtres humains, et s’il nous est également impossible d’obtenir ce bonheur en satisfaisant nos désirs, il est toutefois possible d’espérer un bonheur que nous n’aurons pas recherché pour lui-même. En effet, en obéissant à la loi du devoir, tel que l’exprime l’impératif catégorique, nous pourrons accéder au bonheur.
Pour aller plus loin
Platon, La République, livre II,
« L'anneau de Gygès »,
359 d-360 e : passage qui conduit à
s'interroger sur ce qui fonde un comportement moral.
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Deuxième section, 1785 : Kant examine quels pourraient être les fondements d’une « morale du bonheur ». Si les notions de bonheur et de morale ne peuvent coïncider, elles ne sont toutefois pas contradictoires.
Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, Deuxième section, 1785 : Kant examine quels pourraient être les fondements d’une « morale du bonheur ». Si les notions de bonheur et de morale ne peuvent coïncider, elles ne sont toutefois pas contradictoires.

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