Les hommes s'organisent en société pour
pouvoir répondre à leurs besoins vitaux.
La société est en effet d'abord une
communauté d'êtres vivants, ayant des
besoins à satisfaire, et elle ne se perpétuera
que si les conditions de renouvellement des
générations sont assurées. De ce point de
vue, la question de l'organisation du
travail occupe une place majeure. À quelles
conditions celui-ci sera-t-il le plus
efficace ?
1. La division du travail est une
nécessité pratique
a. Comment s'organiser face à la
diversité des travaux à accomplir ?
Dans La République, Platon s'interroge sur la
meilleure organisation du travail au sein de la
société. Se nourrir, se loger, se
vêtir sont, selon lui, les trois besoins
élémentaires de tout homme. S'agit-il que
chaque individu subvienne lui-même à ces
trois besoins ou bien vaut-il mieux que les
différentes tâches soient réparties entre les membres de
sa communauté ?
b. Il s'agit de répartir les travaux entre
les citoyens
Il est difficile sur un plan pratique qu'un même
individu se fasse tour à tour agriculteur,
maçon et couturier. Il est plus simple que
chacun se consacre à une activité
déterminée de façon exclusive.
De cette façon, il pourra choisir le travail pour
lequel il présente le plus de
qualités et d'intérêt.
C'est ce partage des tâches productives
entre des groupes d'individus spécialisés
qu'on appelle la division sociale
du travail.
c. Diviser le travail permet une plus grande
efficacité
En outre, la division du travail favorise l'amélioration des produits.
Platon écrit
qu'ils « seront plus beaux, plus nombreux et
plus aisément obtenus » (La
République, livre II). En effet, le
travailleur affine son savoir-faire en se
spécialisant et il ne perd plus de temps en
passant d'une activité à l'autre.
« On produit toutes choses en grand nombre,
mieux et plus facilement, lorsque chacun, selon ses
aptitudes et dans le temps convenable, se livre
à un seul travail, étant dispensé de
tous les autres » écrit encore Platon.
Une société où règne la
division du travail sera donc plus prospère
et plus riche qu'une autre.
2. La division du travail répond à une
nécessité sociale
a. La division du travail favorise la
solidarité entre les citoyens
Une telle organisation du travail a aussi la vertu de
rendre les citoyens solidaires les uns des autres.
Si l'on subvient seul à tous ses besoins, on n'a
besoin de personne. En revanche, si l'on a besoin des
autres pour les satisfaire alors on devient
dépendant les uns des autres et par
conséquent, nous sommes liés les uns aux
autres. Aristote
souligne le fait qu'une société est d'abord
une communauté
d'intérêts partagés
(Politique).
b. Les échanges se développent
grâce à la division du travail
Dans cette optique, on doit préciser que c'est
donc sur le fondement de la division du travail
qu'interviennent et se développent les
échanges. De
plus, dans la situation de devoir échanger des
biens de nature différente (par exemple l'un a
besoin de poisson et l'autre d'une paire de chaussures),
on va inventer un
« médiateur », un
« équivalent universel » qui
permettra d'évaluer comparativement chacun de ces
biens et de définir leur valeur : la
monnaie.
c. La division du travail paraît sans limite
Cependant, cette division peut en droit se poursuivre
indéfiniment et donner naissance à des
travailleurs de plus en plus spécialisés. C'est ce
phénomène qui s'est déployé
dans les sociétés industrialisées et
auquel Georges Friedmann,
économiste, a consacré un ouvrage
intitulé Le Travail en miettes (1956). Or
ce processus emprisonne le travailleur dans des
tâches de plus en plus parcellisées et
répétitives.
3. La division excessive du travail comporte des dangers
a. L'homme mutilé
Cette spécialisation extrême peut conduire
à une forme de déshumanisation du
travailleur. En effet, son travail l'obligera
à n'user que d'une part réduite de ses
capacités et à négliger ses
autres ressources physiques ou intellectuelles. Son
travail le réduit alors à une part infime
de lui-même. « À mesure que le
travail se divise, écrit Marx dans Travail salarié et
capital (1848), il se simplifie. L'habilité
d'un travailleurs perd sa valeur. [...] Son
travail, n'importe qui pourrait le faire. Le voilà
donc entouré de concurrents toujours plus
nombreux ». Et c'est pourquoi, finalement,
« Ce n'est pas seulement le travail qui est
divisé [...], c'est l'individu lui-même
qui est morcelé » (Karl Marx, Le
Capital, livre I, 1867).
b. Le travail à la chaîne
C'est pour cette raison que cet individu finit par ne
plus se reconnaître dans son travail. Son
activité perd son sens et est absorbée dans
son aspect mécanique et
répétitif. L'exemple le plus frappant
de cette dérive est celui du travail à la chaîne
où l'ouvrier n'est plus qu'un
« simple intermédiaire entre les
machines et les pièces usinées [...] ;
sous cette atteinte, la chair et la pensée se
rétractent » (Simone Weil, La Condition
ouvrière, 1951).
c. Le risque d'une division sociale fondée
sur les inégalités
Le danger est que la division du travail ne
corresponde plus à la diversité des
talents, des intérêts et des besoins.
Elle ne serait plus alors que le reflet des inégalités sociales
et se contenterait de les reproduire dans le monde du
travail comme dans les autres dimensions de la vie
sociale. Loin de favoriser la solidarité des
citoyens, elle traduirait une scission entre
eux : d'une part, ceux qui ont eu la
possibilité d'accéder à une
activité digne, intéressante et bien
rémunérée et, d'autre part, ceux qui
se doivent se contenter de tâches
dégradantes, inintéressantes et mal
payées.