Tous les matins du monde : roman réaliste ou renouvellement du genre ?
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Objectifs :
Comprendre la part de réalisme et la
recréation, l’irréductibilité de
ce récit à un seul genre.
Les citations font référence
au texte des éditions Folio-Gallimard,
n°2533.
Tous les matins du monde naît de la volonté d’un réalisateur de cinéma et d’un écrivain passionnés par la musique baroque de la deuxième moitié du 17e siècle de raconter une histoire dont la chair soit la musique. Quignard propose d’entrer « par la petite porte » en proposant la vision janséniste du musicien exilé et réfractaire au faste du Grand siècle (jansénisme : mouvement religieux qui se fonde sur un principe de respect austère de la religion). Ainsi, se mêle une volonté d’ « exhumer » des musiciens inconnus en reconstituant un contexte historique et vivant.
Problématique : de quel genre relève Tous les Matins du monde, de la tradition réaliste, ou d’une perspective artistique autre ?
Plan : en effet, le récit naît d’une entreprise littéraire réaliste mais aussi et surtout d’une propension à « combler les vides de l’histoire » par une invention poétique voire une volonté discrète de se dire à travers des thèmes et motifs obsessionnels récurrents dans toute l’œuvre de l’auteur …
Tous les matins du monde naît de la volonté d’un réalisateur de cinéma et d’un écrivain passionnés par la musique baroque de la deuxième moitié du 17e siècle de raconter une histoire dont la chair soit la musique. Quignard propose d’entrer « par la petite porte » en proposant la vision janséniste du musicien exilé et réfractaire au faste du Grand siècle (jansénisme : mouvement religieux qui se fonde sur un principe de respect austère de la religion). Ainsi, se mêle une volonté d’ « exhumer » des musiciens inconnus en reconstituant un contexte historique et vivant.
Problématique : de quel genre relève Tous les Matins du monde, de la tradition réaliste, ou d’une perspective artistique autre ?
Plan : en effet, le récit naît d’une entreprise littéraire réaliste mais aussi et surtout d’une propension à « combler les vides de l’histoire » par une invention poétique voire une volonté discrète de se dire à travers des thèmes et motifs obsessionnels récurrents dans toute l’œuvre de l’auteur …
1. Une perspective réaliste
a. Réalité d'une époque et d'un
contexte historique : la musique du Grand Siècle
• l’art dans le faste de
Versailles
Quignard ressuscite un contexte particulier, celui de l’art dans le faste de Versailles, au moment où l’église l’utilise comme moyen de conviction pour lutter contre l’église Réformée (la Réforme protestante est une volonté d'un retour aux sources du christianisme qui reflète). Ainsi, le texte fait revivre le Paris contemporain des personnages, Monsieur de Sainte Colombe et Marin Marais, dans une effusion artistique et culturelle. Le romancier rappelle les lieux de la culture, de Saint Germain L’Auxerrois à la chantrerie du Roi ; du milieu poétique à celui de la peinture ; de l’univers théâtral à celui du jeu de paume, et enfin, omniprésente, la musique.
• Une approche musicale janséniste
Outre le fait qu’il promeut le baroque (mouvement artistique qui prône le mouvement désordonné, la profusion d’éléments décoratifs - ici, dans les improvisations des violistes - des excès et étrangeté), il offre une approche moins exubérante « par la petite porte » de l’approche musicale janséniste. Il s’agit alors de montrer la musique baroque non dans sa technicité ornementale mais dans sa tension toute dramatique : elle permet la communion avec l’au-delà, sous entendu le sacré.
Ainsi, faire revivre cette époque constitue à dévoiler l’opposition entre le musique de cour (de l'éducation des enfants aux représentations musicales et dansées, des sonneries du quotidien pour les repas aux commandes du Roi comme les pièces des cérémonies religieuses, les bals de cour, les concerts plus intimes), et la musique dite « de ville » (les artistes qui ne sont pas mondains affirment leur indépendance et renoncent au faste de la vie de cour).
Le roman rappelle parfaitement les enjeux politiques de la musique du grand siècle : soit elle participe du décorum de la cour, soit elle affirme son indépendance sans reconnaissance officielle.
Quignard ressuscite un contexte particulier, celui de l’art dans le faste de Versailles, au moment où l’église l’utilise comme moyen de conviction pour lutter contre l’église Réformée (la Réforme protestante est une volonté d'un retour aux sources du christianisme qui reflète). Ainsi, le texte fait revivre le Paris contemporain des personnages, Monsieur de Sainte Colombe et Marin Marais, dans une effusion artistique et culturelle. Le romancier rappelle les lieux de la culture, de Saint Germain L’Auxerrois à la chantrerie du Roi ; du milieu poétique à celui de la peinture ; de l’univers théâtral à celui du jeu de paume, et enfin, omniprésente, la musique.
• Une approche musicale janséniste
Outre le fait qu’il promeut le baroque (mouvement artistique qui prône le mouvement désordonné, la profusion d’éléments décoratifs - ici, dans les improvisations des violistes - des excès et étrangeté), il offre une approche moins exubérante « par la petite porte » de l’approche musicale janséniste. Il s’agit alors de montrer la musique baroque non dans sa technicité ornementale mais dans sa tension toute dramatique : elle permet la communion avec l’au-delà, sous entendu le sacré.
Doc. 1 : La femme et le fils du
peintre
Représentation sobre d'artistes au
17e siècle
|
Ainsi, faire revivre cette époque constitue à dévoiler l’opposition entre le musique de cour (de l'éducation des enfants aux représentations musicales et dansées, des sonneries du quotidien pour les repas aux commandes du Roi comme les pièces des cérémonies religieuses, les bals de cour, les concerts plus intimes), et la musique dite « de ville » (les artistes qui ne sont pas mondains affirment leur indépendance et renoncent au faste de la vie de cour).
Le roman rappelle parfaitement les enjeux politiques de la musique du grand siècle : soit elle participe du décorum de la cour, soit elle affirme son indépendance sans reconnaissance officielle.
b. Réalité de personnes, ressusciter
des inconnus « ces effacés au souvenir du
monde » (Sur le jadis)
Si Quignard se refuse à donner une lecture de
l’histoire, il n’en demeure pas moins
qu’il « exhume des inconnus » que le
cinéaste fait revivre dans le film. Il porte alors
son attention sur le musicien Marin Marais et
surtout son présumé maître
Monsieur de Sainte Colombe. Il s’agit alors
d’établir un lien entre la grande
Histoire et la petite histoire des personnages.
Quignard s’appuie alors sur les textes de Titon
du Tillet, qui rédige dans ses chroniques des
éléments biographiques avérés
et des épisodes plus anecdotiques.
Exemple :
Le romancier respecte la progression de carrière de Marin Marais abordée par le chroniqueur : les dates de départ de la chorale (en 1672) ; la durée de l’enseignement de Sainte Colombe ; la date de son engagement comme « musicqueur » (en 1676)… Enfin, il cherche dans sa biographie les éléments qui l’interpellent et qui stimulent son imaginaire, dans le sens où l’histoire fait écho à ses obsessions, celui du traumatisme de la mue, celui de l’épisode de l’espionnage sous le mûrier. Dans La Leçon de musique, l’œuvre antérieure qui évoque les deux mêmes musiciens, il reprend le même thème et il restitue littéralement l’épisode de la cachette sous la cabane du violiste en respectant l’orthographe de l’époque de Tillet, comme s’il voulait attester de la véracité de la reprise. (« Marin se glissoit sous son cabinet, il y entendoit son maître. »)
Exemple :
Le romancier respecte la progression de carrière de Marin Marais abordée par le chroniqueur : les dates de départ de la chorale (en 1672) ; la durée de l’enseignement de Sainte Colombe ; la date de son engagement comme « musicqueur » (en 1676)… Enfin, il cherche dans sa biographie les éléments qui l’interpellent et qui stimulent son imaginaire, dans le sens où l’histoire fait écho à ses obsessions, celui du traumatisme de la mue, celui de l’épisode de l’espionnage sous le mûrier. Dans La Leçon de musique, l’œuvre antérieure qui évoque les deux mêmes musiciens, il reprend le même thème et il restitue littéralement l’épisode de la cachette sous la cabane du violiste en respectant l’orthographe de l’époque de Tillet, comme s’il voulait attester de la véracité de la reprise. (« Marin se glissoit sous son cabinet, il y entendoit son maître. »)
c. De la réalité biographique à
la création romanesque
Quignard fasciné par l’histoire des
personnages, ajoute une épaisseur
romanesque et comble les lacunes qui font
défaut aux chroniques de Tillet.
Exemple :
Quignard fait raconter à Marais l’épisode de la mue qu’il a vécue comme une humiliation à l’origine du renvoi, mue suscitant le besoin de suppléer (combler) à ce manque par la pratique de la viole alors qu’en réalité le musicien a décidé de son départ.
De plus, le romancier éclaire davantage le personnage du maître, personnage dont on a le moins d’information si ce n’est un portrait bien moins laudatif que celui du roman. Le personnage de Sainte Colombe est ainsi en majeure partie inventé, pour le besoin d’une certaine tension dramatique inhérente à la progression du récit : son veuvage, la liaison entre son élève et ses filles, la perte de l’aînée, la sympathie pour les jansénistes, les apparitions du fantôme de l’épouse…
Tous ces éléments ajoutent au héros une profondeur dramatique. Quignard oscille entre réalité et fiction. En effet, le héros rencontre des personnages historiques avérés, comme les représentants de la musique royale que sont Caignet et l’abbé Matthieu, rencontres qui l’accréditent et lui donnent chair. Cependant, il lui fait rencontrer le peintre Baughin à une date à laquelle, en réalité, il est déjà mort…
Quignard joue avec la réalité : entre respect d’une histoire et création de sa propre histoire. Alors, quel est son objectif s’il n’est qu’en partie seulement biographique ou réaliste ?
Exemple :
Quignard fait raconter à Marais l’épisode de la mue qu’il a vécue comme une humiliation à l’origine du renvoi, mue suscitant le besoin de suppléer (combler) à ce manque par la pratique de la viole alors qu’en réalité le musicien a décidé de son départ.
De plus, le romancier éclaire davantage le personnage du maître, personnage dont on a le moins d’information si ce n’est un portrait bien moins laudatif que celui du roman. Le personnage de Sainte Colombe est ainsi en majeure partie inventé, pour le besoin d’une certaine tension dramatique inhérente à la progression du récit : son veuvage, la liaison entre son élève et ses filles, la perte de l’aînée, la sympathie pour les jansénistes, les apparitions du fantôme de l’épouse…
Tous ces éléments ajoutent au héros une profondeur dramatique. Quignard oscille entre réalité et fiction. En effet, le héros rencontre des personnages historiques avérés, comme les représentants de la musique royale que sont Caignet et l’abbé Matthieu, rencontres qui l’accréditent et lui donnent chair. Cependant, il lui fait rencontrer le peintre Baughin à une date à laquelle, en réalité, il est déjà mort…
Quignard joue avec la réalité : entre respect d’une histoire et création de sa propre histoire. Alors, quel est son objectif s’il n’est qu’en partie seulement biographique ou réaliste ?
2. Une perspective artistique originale
a. Une dimension mythique ; Faire ressurgir les
thèmes ancestraux
• Le héros en
quête d’initiation
les personnages si réels fussent-ils, entrent dans la composition d’une fable. Ainsi, le schéma actanciel du conte est respecté puisque le jeune héros suit un parcours initiatique aidé et entravé par différents actants et progresse vers la réalisation de soi qui se fait par la découverte de la vraie musique. De plus, les personnages qui gravitent autour de lui semblent obéir à des stéréotypes : le jeune est aidé par une jeune femme qui guide sa voie travers le chemin épineux vers la cabane ; le maître entouré de mystère et de magie ; la cour du Roi et son faste trompeur…
De plus, le départ de la famille et le choix d’une avancée dans l’aventure sont souvent les éléments déclencheurs du conte initiatique. En effet, le jeune Marais refuse son père mais son initiation doit l’amener à dépasser ce rejet pour retrouver son père. Il retrouve la voix de son père dont le visage se fond dans celui du maître, à la fin du roman. En dépassant son rejet, il parvient à se réaliser lui-même.
Les ingrédients du conte initiatique sont réunis.
• Le héros et la mort, le mythe d’Orphée
Les parallèles entre Sainte Colombe et Orphée sont évidents : l’un améliore la cithare en lui ajoutant des cordes (Sainte Colombe ajoute la septième corde à la viole) ; l’un envoûte bêtes et roches et dépasse le chant des Sirènes (la musique des Sainte Colombe imite la voix humaine, saisit l’auditoire) ; l’un traverse les Enfers pour quérir sa défunte (Sainte Colombe traverse le lac sur sa barque pour retrouver sa femme) ; l’un perd sa femme définitivement en ne respectant pas l’interdiction de se retourner pour la regarder (Le vieil homme perd définitivement sa femme lorsqu’il veut l’étreindre)… Il y a donc variation sur un thème mythique.
• Une dimension chrétienne
La dimension de la passion est présente dans le récit dans la mesure où plusieurs personnages sont dans le renoncement et s’imposent une meurtrissure. Sainte Colombe parvient à dépasser sa colère violente lorsqu’il est visité par son épouse défunte, tel un ange à qui il offre gaufrette et vin, motif de l’eucharistie chrétienne.
De même, Madeleine qui porte un nom biblique symbolique rappelle la figure de la pénitente repentante. Elle fait pénitence (ce qu’annonce de manière programmatique le père dans la chanson qu’il fredonne alors qu’elle est enfant « sola vivebat in antris Magdalene Lugens et suspirans die ac nocte = Madeleine vivait seule dans les cavernes, pleurant et se lamentant jour et nuit ») en jeunant et maigrissant, en se meurtrissant (« elle se brûlait les bras nus avec la cire des chandelles », chapitre XXIII, page100) puis se donnant la mort comme la figure biblique du traitre, Judas.
les personnages si réels fussent-ils, entrent dans la composition d’une fable. Ainsi, le schéma actanciel du conte est respecté puisque le jeune héros suit un parcours initiatique aidé et entravé par différents actants et progresse vers la réalisation de soi qui se fait par la découverte de la vraie musique. De plus, les personnages qui gravitent autour de lui semblent obéir à des stéréotypes : le jeune est aidé par une jeune femme qui guide sa voie travers le chemin épineux vers la cabane ; le maître entouré de mystère et de magie ; la cour du Roi et son faste trompeur…
De plus, le départ de la famille et le choix d’une avancée dans l’aventure sont souvent les éléments déclencheurs du conte initiatique. En effet, le jeune Marais refuse son père mais son initiation doit l’amener à dépasser ce rejet pour retrouver son père. Il retrouve la voix de son père dont le visage se fond dans celui du maître, à la fin du roman. En dépassant son rejet, il parvient à se réaliser lui-même.
Les ingrédients du conte initiatique sont réunis.
• Le héros et la mort, le mythe d’Orphée
Les parallèles entre Sainte Colombe et Orphée sont évidents : l’un améliore la cithare en lui ajoutant des cordes (Sainte Colombe ajoute la septième corde à la viole) ; l’un envoûte bêtes et roches et dépasse le chant des Sirènes (la musique des Sainte Colombe imite la voix humaine, saisit l’auditoire) ; l’un traverse les Enfers pour quérir sa défunte (Sainte Colombe traverse le lac sur sa barque pour retrouver sa femme) ; l’un perd sa femme définitivement en ne respectant pas l’interdiction de se retourner pour la regarder (Le vieil homme perd définitivement sa femme lorsqu’il veut l’étreindre)… Il y a donc variation sur un thème mythique.
• Une dimension chrétienne
La dimension de la passion est présente dans le récit dans la mesure où plusieurs personnages sont dans le renoncement et s’imposent une meurtrissure. Sainte Colombe parvient à dépasser sa colère violente lorsqu’il est visité par son épouse défunte, tel un ange à qui il offre gaufrette et vin, motif de l’eucharistie chrétienne.
De même, Madeleine qui porte un nom biblique symbolique rappelle la figure de la pénitente repentante. Elle fait pénitence (ce qu’annonce de manière programmatique le père dans la chanson qu’il fredonne alors qu’elle est enfant « sola vivebat in antris Magdalene Lugens et suspirans die ac nocte = Madeleine vivait seule dans les cavernes, pleurant et se lamentant jour et nuit ») en jeunant et maigrissant, en se meurtrissant (« elle se brûlait les bras nus avec la cire des chandelles », chapitre XXIII, page100) puis se donnant la mort comme la figure biblique du traitre, Judas.
b. Un art poétique nouveau
Quignard veut un roman « dont la chair soit musique
» : il veut donner à entendre. Le livre
entier ouvre sur l’indicible, sur ce qui ne peut
pas être exprimé par des mots.
L’écriture se fait
énigmatique, souvent constituées de
propositions juxtaposées, ouvrant sur le silence
et la suggestion.
Exemple :
Le dernier chapitre résume l’art et sa fonction, la musique et son objectif… Lorsque l’élève devine quelle approche de la musique il doit enfin avoir, le maître lui répond qu'elle est « Un petit abreuvoir pour ceux que le langage a désertés. Pour l’ombre des enfants. Pour les coups de marteaux des cordonniers. Pour les états qui précèdent l’enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière. » (pages114-115, chapitre XXVII)
Les mots de Quignard dessinent un vide, un manque, un lieu inaccessible, celui de notre origine. La littérature offre des espaces de suspension et de silence dans lesquels le lecteur baigne face à ces tentatives et d’approches, ce flottement. L’écriture de Quignard est une composition avec le silence, une approche esthétique par les mots ou leurs non-dits. Elle cherche le clair obscur que l’on trouve dans la peinture baroque de La Tour : des images énigmatiques, une simplicité mystérieuse, un mélange de profane et de mystique…
« Il n’y a aucune différence entre écrire un livre silencieux et faire de la musique. Dans les deux cas, vous détruisez le langage signifiant commun. Le livre doit être un morceau de langage déchiré, un morceau que l’on arrache la parole. » (Entretien avec Catherine Argand, Lire, 1988)
Les références intertextuelles, le style littéraire de Quignard confèrent au texte une dimension culturelle, littéraire, mystique qui dépasse éminemment une vocation biographique…
Exemple :
Le dernier chapitre résume l’art et sa fonction, la musique et son objectif… Lorsque l’élève devine quelle approche de la musique il doit enfin avoir, le maître lui répond qu'elle est « Un petit abreuvoir pour ceux que le langage a désertés. Pour l’ombre des enfants. Pour les coups de marteaux des cordonniers. Pour les états qui précèdent l’enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière. » (pages114-115, chapitre XXVII)
Les mots de Quignard dessinent un vide, un manque, un lieu inaccessible, celui de notre origine. La littérature offre des espaces de suspension et de silence dans lesquels le lecteur baigne face à ces tentatives et d’approches, ce flottement. L’écriture de Quignard est une composition avec le silence, une approche esthétique par les mots ou leurs non-dits. Elle cherche le clair obscur que l’on trouve dans la peinture baroque de La Tour : des images énigmatiques, une simplicité mystérieuse, un mélange de profane et de mystique…
« Il n’y a aucune différence entre écrire un livre silencieux et faire de la musique. Dans les deux cas, vous détruisez le langage signifiant commun. Le livre doit être un morceau de langage déchiré, un morceau que l’on arrache la parole. » (Entretien avec Catherine Argand, Lire, 1988)
Les références intertextuelles, le style littéraire de Quignard confèrent au texte une dimension culturelle, littéraire, mystique qui dépasse éminemment une vocation biographique…
3. Une perspective autobiographique
a. Des thèmes obsessionnels
Les études sur l’œuvre de Quignard
s’appuient sur l’allure de sa pensée,
les fondements archéologiques de ses ouvrages. Il
en ressort des motifs et thèmes abordés
sous des angles différents : la fiction, le
fragment, le traité, l’autofiction
(récit mêlant autobiographie et invention
fictive), l’autobiographie… Toujours est-il
que des thèmes obsessionnels reviennent tels des
refrains : le silence et
l’impossibilité de taire ; l’amour et
la mort ; la quête d’un instant fantasmatique
qui est celui de notre origine, avant la
naissance…
• La mue traumatique
Le thème revient fréquemment et il est même abordé de manière autobiographique dans Vie secrète comme un rejet puisqu’il doit quitter deux chorales, rejet qui lui interdit son épanouissement, son bonheur. Il renoue avec son passé intime par l’intermédiaire de la fiction et donne la parole au jeune homme, d’où le non respect de la biographie de Marais. Il invente le renvoi de la chorale plaçant ainsi l’épisode sous le signe de l’humiliation castratrice. (Champ lexical de l’humiliation « avait été rejeté-avait honte encore-ne savait où se mettre-humiliation-arc bouté »).
• Le silence et l’isolement
Ce sont des motifs récurrents dans l’œuvre de Quignard, motifs fondamentaux qui sont à ne point s’y méprendre autobiographiques, ainsi s’explique la prédisposition de l’auteur au mutisme, qui préfère s’ensevelir sous la fiction plutôt que de se dire. Le réalisateur du film Alain Corneau, lors d’un entretien, confie d’ailleurs à quel point Quignard est fasciné par le personnage de Sainte Colombe et comme il lui est facile de s’identifier à lui.
En effet, l’écrivain définit l’écriture comme le moyen de parler en se taisant ; le musicien comble son mutisme en parlant avec la musique… Les deux hommes partagent le même refuge.
• La mue traumatique
Le thème revient fréquemment et il est même abordé de manière autobiographique dans Vie secrète comme un rejet puisqu’il doit quitter deux chorales, rejet qui lui interdit son épanouissement, son bonheur. Il renoue avec son passé intime par l’intermédiaire de la fiction et donne la parole au jeune homme, d’où le non respect de la biographie de Marais. Il invente le renvoi de la chorale plaçant ainsi l’épisode sous le signe de l’humiliation castratrice. (Champ lexical de l’humiliation « avait été rejeté-avait honte encore-ne savait où se mettre-humiliation-arc bouté »).
• Le silence et l’isolement
Ce sont des motifs récurrents dans l’œuvre de Quignard, motifs fondamentaux qui sont à ne point s’y méprendre autobiographiques, ainsi s’explique la prédisposition de l’auteur au mutisme, qui préfère s’ensevelir sous la fiction plutôt que de se dire. Le réalisateur du film Alain Corneau, lors d’un entretien, confie d’ailleurs à quel point Quignard est fasciné par le personnage de Sainte Colombe et comme il lui est facile de s’identifier à lui.
En effet, l’écrivain définit l’écriture comme le moyen de parler en se taisant ; le musicien comble son mutisme en parlant avec la musique… Les deux hommes partagent le même refuge.
b. Parler de soi et « dénouer les liens
»
L’auteur a souvent condamné la
fausseté et l’artificialité du genre
autobiographique : « tout est fiction dès
que l’on exprime » dit-il. Cependant, en
reprenant les thèmes obsessionnels qui sont les
siens, il se livre. Nombre de ses ouvrages oscillent
entre fragments autobiographiques, autofiction et
invention pure.
L’auteur dresse les portraits des personnages pour livrer un portrait secret, une écriture de soi cathartique (qui permet d'exorciser ou d'épurer des passions en les représentant). En exposant le personnage en quête d’un manque, à la recherche de ce qui lui permet la réalisation de soi, Quignard pallie à son manque, à son mutisme. Dans chacune de ses œuvres, se dessine discrètement le portrait de l’auteur et de son manque essentiel. Ainsi, il écrit dans Abîmes, qu’il dénoue un peu « les liens » de son intimité en écrivant la part manquante de l’histoire de ses personnages. Quignard cherche en creux de sa fiction, le mystère de l’origine de son être et de sa dissolution, il explore dans sa prose poétique les limites de son être « pour les états qui précèdent l’enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière. » (pages 114-115, Chapitre XXVII).
Il y a comme une recherche de l’indicible et de l’invisible dans la magie des mots et dans le silence de ses histoires.
L’auteur dresse les portraits des personnages pour livrer un portrait secret, une écriture de soi cathartique (qui permet d'exorciser ou d'épurer des passions en les représentant). En exposant le personnage en quête d’un manque, à la recherche de ce qui lui permet la réalisation de soi, Quignard pallie à son manque, à son mutisme. Dans chacune de ses œuvres, se dessine discrètement le portrait de l’auteur et de son manque essentiel. Ainsi, il écrit dans Abîmes, qu’il dénoue un peu « les liens » de son intimité en écrivant la part manquante de l’histoire de ses personnages. Quignard cherche en creux de sa fiction, le mystère de l’origine de son être et de sa dissolution, il explore dans sa prose poétique les limites de son être « pour les états qui précèdent l’enfance. Quand on était sans souffle. Quand on était sans lumière. » (pages 114-115, Chapitre XXVII).
Il y a comme une recherche de l’indicible et de l’invisible dans la magie des mots et dans le silence de ses histoires.
L'essentiel
L’œuvre de Quignard est irréductible
à un genre. Du conte à la philosophie, de
l’histoire à la poésie, de la
réalité à l’invention en
frôlant l’autofiction, elle est avant tout une
aventure littéraire originale, originelle.
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