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Tous les matins du monde : l'oeuvre de Quignard et le film d'Alain Corneau

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Objectifs :
Comparer un récit et son adaptation cinématographique, comprendre l’adaptation et la recréation.
Les citations font référence au texte des éditions Folio-Gallimard, n°2533.

Le film de Corneau reprend fidèlement la structure narrative du récit proposé par Quignard et emprunte presque intégralement les discours directs. Le cinéaste suit l’objectif de respecter fidèlement l’esprit du roman. Toutefois, dans une adaptation si fidèle soit-elle, il demeure une part de re-création…
1. La fidélité au récit
a. Respect du sujet dans un contexte historique : la musique à la cour de Louis XIV et la musique « de ville »
Si Quignard se refuse à donner une lecture de l’histoire, il n’en demeure pas moins qu’il « exhume des inconnus » que le cinéaste fait revivre. Corneau avait l’intention de ressusciter la musique du 17e dans le faste de Versailles, Quignard l’oriente vers une approche moins exubérante « par la petite porte » de la vision janséniste.

Rappel :
Sous la monarchie absolue, la musique est omniprésente, de l’éducation des enfants aux représentations musicales et dansées, des sonneries du quotidien pour les repas aux commandes du Roi comme les pièces des cérémonies religieuses, les bals de cour, les concerts plus intimes… En revanche, les artistes qui ne sont pas mondains affirment leur indépendance et renoncent au faste de la vie mondaine pour préférer la campagne salutaire.
Le réalisateur, par les couleurs et les décors, accentue le contraste symbolique des lieux, des approches musicales.

Doc. 1 : Gravure de la représentation de la tragédie  Lyrique de Lully
17e siècle


Exemple :
Dans le récit, Marin Marais est parvenu à une fonction considérable dans cette hiérarchie : il est donc nécessaire de tourner une scène dans laquelle il fait répéter La Marche pour la cérémonie des Turcs de Jean-Baptiste Lully (pièce officielle très imposante et pompeuse), luxueusement habillé et paré, dans une posture de commandement et d’aisance (succession de plans détaillant son costume somptueux, son maquillage et sa perruque, sa prestance, le mouvement de son bras dirigeant les musiciens), dans la galerie de Versailles très décorée (dominante de dorures, tentures, bouquets et cadres raffinés). Ce lieu ne manque pas de contraster avec la salle de concert des Sainte Colombe qui se produisent dans une pièce vaste, sombre et démeublée.

L’entrée dans l’histoire, l’entrée dans la musique se fait par la petite porte : la lutte entre le faste et le dépouillement, entre la musique de cérémonie et la musique intimiste.

b. Respect de la trame narrative et des dialogues
Le film suit la progression chronologique narrative du roman. Presque tous les éléments de chaque chapitre sont mis en scène et le scénario témoigne d’une reprise textuelle surprenante, notamment la quasi-totalité des dialogues. Corneau utilise le roman tel un scénario et la voix off assume une grande partie du texte : les traits de caractère des personnages, les ellipses temporelles (qui permettent de passer d'une séquence à une autre en ne montrant volontairement pas les événements qui se passent), le discours intérieur de Marais. Alain Corneau confère ainsi une qualité littéraire indéniable à son film.

Exemple
:
De nombreux chapitres suivent exactement le déroulement du récit et le dialogue est exactement reproduit.
L’épisode de la viole brisée en est un exemple frappant. Si l’on compare le récit et le film, on peut considérer le roman comme le scénario scrupuleux du film dans le sens où toutes les circonstances sont respectées : le temps pluvieux, le vacarme que les musiciens font en entrant, l’intense colère retenue du professeur, la tension de Madeleine qui apprend que Marin s’est produit devant le Roi, l’instrument brisé, la réaction des trois spectateurs de la fureur…

Ainsi donc, le film de Corneau tisse un lien étroit avec le roman dont il est extrait, ce que revendique le réalisateur lorsqu’il évoque une écriture à trois entre Quignard, Savall, et Corneau.

2. L'adaptation du cinéaste
a. Adaptation du lieu, le décor : la cour fastueuse et la campagne isolée
Lorsqu’il cherche le décor de Tous les Matins du monde, Corneau part dans une esthétique tout à fait classique du « lieu unique » qui permettrait un enregistrement quasi chronologique, comme dans le genre théâtral. Le réalisateur choisit un coin reculé de la Creuse qui s’adapte parfaitement au film pour le tourner « en entier et dans l’ordre » : une ferme fortifiée présentant toutes les qualités requises (l’isolement, la façade morne, la grande salle démeublée qui accueille les concerts, la campagne vaste et austère alentour, l’étendue d’eau, la cabane à laquelle on accède par une porte étroite…). Il s’agit alors pour lui d’exploiter chaque endroit correspondant au récit en insistant sur la tonalité sauvage, simple et rudimentaire du lieu.
L’objectif est de créer un lieu symbolique qui représente le retranchement, la solitude qui ne manque pas de s’imposer au long du film.

Les séquences liées à la vie retirée en campagne contrastent avec le long plan séquence de Marais vieilli. Alors, le cinéma permet d’accentuer visuellement le contraste entre la luxuriance de la cour et la sobriété excessive des Sainte Colombe.
Dans la salle de réception, le plan d’ensemble insiste sur le dépouillement. Le cinéaste a recherché un lieu dépouillé et un autre exubérant, d’apparat, lieu de l’ostentation vaniteuse. Son choix se porte vers la grande galerie d’apparat de la Banque de France qui met en exergue la dorure et le rouge, l’ornement baroque…
Force est de constater que l’adaptation cinématographique suit la simplicité du récit : une opposition très nette entre deux univers emblématiques.
b. Incarnation des personnes, la réalité des personnes
Le casting s’appuie sur antithèse et complémentarité : c’est ainsi que Corneau pense le casting parfait dans une relation de complémentarité et d’opposition.

Le cinéaste recherche l’opposition

Une opposition entre le musicien marchand et le musicien qui cultive le mystère, le mondain et le janséniste
: (le jansénisme est un mouvement religieux qui se fonde sur un principe de respect austère de la religion, une position mystique de retranchement grave. ) La progression de Marin Marais se devine dans les costumes que les acteurs investissent : d’un ensemble simple, à l’extravagance d’un costume forçant sur les rubans et la plume, la hauteur des chausses, la largeur des culottes… À chaque apparition, le costume s’enrichit et se raffine, s’amplifie, telle la perruque volumineuse qu’il arbore lorsqu’il se rend au chevet de Madeleine. « Il arriva embarrassé avec ses dentelles, ses talons à torsades d’or et de rouge » (chapitre XXIII, page 97). Le cinéaste respecte les données du romancier dans le sens où il impose la dominante noire au costume de Sainte Colombe sur lequel se détache la fraise et calotte jansénistes.

Exemple :
Ainsi, Marielle est pressenti pour se couler dans la gravité, la rétention et la fureur de Sainte Colombe. Il se doit de travailler l’austérité janséniste. En revanche, Gérard Depardieu s’adapte à la rondeur du faux courtisan et fait vivre des dialogues très écrits et littéraires avec une aisance paysanne qui lui est propre.

Le fonctionnement en duos sur l’antithèse et la complicité
Ce fonctionnement est illustré avec les deux filles de Sainte Colombe aussi complémentaires que contradictoires.
Anne Brochet est choisie pour son « regard bleu », dit Corneau aussi assuré que fragile et la grâce de son corps décharné ; Carole Richert pour « sa rondeur, sa sensualité immédiate ». L’une est appelée à la vie et à la sensualité d’où l’ajout de scènes où la jeune femme se nourrit, se montre, invite à la concupiscence, vêtue de couleurs vives alors que l’autre demoiselle est toujours vêtue de robes et corsets sombres et prend des postures fixes et contemplatives, en demi-teinte.
Le contraste n’est autre que la vie, la vie qui se déroule ou s’éteint, lorsqu’elle n’est plus possible.
c. Ajouts de scènes et invention du cinéaste
Le film reprend la structure narrative du roman mais en ajoutant quelques scènes : des plans d’ensemble sur des scènes de jardinage (les filles bêchent et plantent) ; la scène durant laquelle les filles entendent leur père réinterpréter l’improvisation du jeune Marais ; les scènes dans la buanderie avec un reproche sur une tisane trop parfumée et un regard sur Toinette pleine de vie revenant de la pêche… Le cinéaste semble emplir les vides des ellipses temporelles en ajoutant des plans d’ensemble et semi ensemble qui ajoutent au réalisme.

De même un plan séquence encadre le flash back : Marin Marais vieilli rend hommage à Sainte Colombe. S’impose alors sa voix off pour assumer le rôle du narrateur. Le narrateur multiplie les remarques concernant le caractère du maître de viole, qui sont les citations exactes du roman de Quignard.
3. La re-création
a. Donner à entendre : « toute parole est incomplète »
Le roman invite à entendre : « sa chair » est musique 
Il ouvre la voie à la musique qui « est simplement là pour parler de ce dont la parole ne peut parler. En ce sens, elle n’est pas tout à fait humaine. » (chapitre XXVII, page 113) Il confie à Jordi Savall l’écriture d’un scénario musical qui manquait au récit. Il lui reste à combler le manque, trouver le pleur et les regrets, l’espace sonore. En effet, le film rend audible la souffrance du jeune Marais qui perd sa voix, la douleur du veuf qui perd sa femme puis sa fille, la quête d’une résurrection par la musique…

Exemples :
le violiste propose la pièce de Marais, La Rêveuse « pour marquer le personnage de Madeleine », pièce qu’il a maintes fois joué à la perfection, lors de multiples enregistrements. Mais il se plait à dire, qu’il découvre des accents déchirants qu’il n’avait jamais connus auparavant. En tant qu’acteur du film, il produit des intonations différentes, en intériorisant un personnage, qui joue pour une mourante. Il s’imagine devant une femme mourant d’amour, il habite l’émotion inhérente à l’état d’âme du personnage.

De même, il propose l’Arabesque interprété allégrement par le jeune Marais qui se présente devant un maître et suggère de le reprendre plus loin dans le film par Sainte Colombe avec plus de gravité. La reprise et la différence marquée instaure une complémentarité entre les deux musiciens pourtant si opposés.

Le silence est omniprésent et crée une tension qui laisse la part belle à la musique.
Exemple :
Sainte Colombe est un personnage de silence qui laisse la musique dire à sa place : les scènes dans la cabane créent une tension dramatique liée au non dit. Le silence permet l’exploitation d’un regard, d’une écoute. Ainsi le spectateur s’interroge-t-il sur le fantasme de Madame de Sainte Colombe qui est filmée du point de vue interne du veuf. Il y a intériorisation de la vision dont on ne sait si elle est folie ou non et proposition d’un regard d’une expressivité sans pareille.
L’art du non-dit ouvre des dimensions insoupçonnées sur une sensation indicible. Elle ouvre des horizons et des questionnements en suspens.
b. Donner à voir
Le cinéaste exploite le texte dans sa dimension picturale : il joue avec les tableaux, des natures mortes (plans fixes sur l’image à partir du tableau de Baughin), les scènes de genre, domestiques ou encore les portraits comme Madeleine en pénitente, rappelant les peintures de La Tour…

Exemple :
Corneau demande un travail à partir de la nature morte de Baughin, ses couleurs peu saturées et ternes. Son technicien avec lequel il collabore étroitement explique comment il a joué avec la lumière dans les scènes qui se déroulent dans la cabane du musicien… Il s’agissait d’emprunter dans la palette du peintre les couleurs brunes adéquates et jouer avec le clair-obscur lors des apparitions fantasmées de Madame de Sainte Colombe. Il demande de retrouver la beauté d’une certaine austérité.
Le travail du cinéaste passe par un travail de documentation sur les techniques picturales pour donner à voir et suggérer, ouvrir sur une œuvre artistique complète.
c. Donner à penser : « voir par la petite porte »
Au-delà d’une volonté de faire vrai et de ressusciter des musiciens peu connus, une partie de l’histoire du grand siècle, on peut tout à fait évoquer le symbolisme du lieu et des silences : les lenteurs du film ouvrent la voie à une réflexion intime. La solitude de soi même face au monde lorsque la communication n’est plus possible.
Il y a la recherche d’un équilibre entre ce qui est montré et ce qui est suggéré, figuré.

Exemple
:
Corneau multiplie les cadres fixes pour suggérer l’ineffable (ce qui est impossible de décrire avec des mots). Sa vision impose une distance contraignante, accentuée par la lenteur. Le cinéaste cherche le rythme qui correspond à la narration : l’expression d’un manque qui empêche la réalisation de soi. Le personnage est en quête de quelque chose qu’il ne formule pas et qui le dépasse, une quête un peu originelle qui est recherche d’une part manquante : la défunte pour le veuf ; l’expression d’une souffrance pour l’autre qui ne se réalise que dans le deuil ; la quête d’un père perdu puis retrouvé dans le maître, la transmission de soi dans le cours du professeur.
Finalement, le film résout toute souffrance en mêlant les temporalités : passé et présent ; vie et mort, amour et souffrance…

Doc. 2 : Nature morte de B. Bettera 17e siècle


L'essentiel
Le film est la mise en scène du roman depuis son déroulement chronologique jusqu’aux sens cachés, profonds qui sont suggérés par des moyens autres et complémentaires : des plans, des couleurs, des ombres, et des sons.

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