Les utopies urbaines de le Corbusier
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Bien qu'il anticipe sur les futurs centres d'affaires du type La Défense, Le Corbusier s'inspire de Manhattan, mais aussi, d'ailleurs sans s'en cacher, des villes-tours d'Auguste Perret, dans lesquelles tout l'habitat est concentré verticalement. Autour du centre sont construites des unités d'habitation d'une douzaine d'étages, dotées de services collectifs, ainsi que des « immeubles-villas » renfermant des espaces verts, tous ces principes découlant, là encore, de propositions déjà formulées par d'autres avant lui.
C'est en 1925 que Le Corbusier reprend son projet pour en faire le « plan Voisin » pour Paris. Il y propose l'implantation de 18 tours de bureaux de 200 mètres de haut en plein coeur de Paris, face à l'île Saint-Louis, ce qui obligerait à raser une bonne partie du Marais et du quartier Saint-Paul, alors insalubres.
Le scandale ne manque pas d'éclater, consacrant Le Corbusier chantre du progressisme destructeur. Ce dernier n'abandonnera pourtant pas la partie, puisque tous ces travaux n'auront été que l'esquisse de son grand projet qu'il nommera « ville radieuse » en 1930.
Adversaire farouche de la banlieue et des maisons individuelles, il entend densifier le centre-ville au maximum en regroupant 1600 habitants par unité d'habitation, haute chacune de 50 mètres et séparée des autres par 150 mètres d'espaces verts. Le Corbusier détermine sept types de voies de circulation (« la règle des 7 V ») pour circulation motorisée ou piétonnière, rapide ou ralentie, etc.
L'architecte devenu théoricien classifie tout et voit en l'homme un être qui n'a que peu de besoins, toujours les mêmes quel qu'en soit le pays, « les hommes étant tous faits dans le même moule ». Ce qui explique qu'il resservira son projet de « ville radieuse » au gré de ses nombreux voyages, à Anvers, Barcelone ou Rio. Mais c'est avant tout en France qu'il tentera de faire accepter le projet, en totalité ou en partie.
De 1945 à sa mort en 1965, Le Corbusier proposera plusieurs fois sa « ville radieuse », suscitant à chaque fois rejet et incompréhension. En 1945, au lendemain de la guerre, deux chantiers de reconstruction lui sont proposés, mais à Saint-Dié (Vosges) comme à La Pallice (près de La Rochelle), ses projets de « ville radieuse » sont sévèrement repoussés. Le projet de Saint-Dié prévoyait quatre unités d'habitation avec services communs regroupant 6000 personnes, 4000 autres habitants se trouvant répartis dans une cité-jardin horizontale, le tout séparé des usines par la rivière.
Dans les années qui suivront, Le Corbusier devra se contenter d'unités d'habitations isolées, sorties de leur contexte et vouées à l'échec. L'unité d'habitation la plus fameuse sera celle de Marseille, proposée en 1947 et achevée en 1952, qui soulèvera des tempêtes d'indignation parmi les architectes, les journalistes relayant la polémique.
A l'origine, l'unité de Marseille comportait une allée commerçante intérieure à mi hauteur du bâtiment, une école maternelle sur le toit, un gymnase, des salles de réunions, un restaurant.
Mais l'idéal de vie communautaire est vite trahi quand en 1954 l'Etat, propriétaire des locaux, vend ceux-ci, appartements compris, à la seule exception de la maternelle. Les prolétaires, à qui Le Corbusier destinait l'unité d'habitation, cèdent alors la place à des cadres supérieurs et des professions libérales. Quant au parc au centre duquel l'unité d'habitation devait demeurer, il a disparu sous le béton.
D'autres unités d'habitation seront pourtant bâties, à Nantes (1952-1955), Berlin (1956-1957) ou Briey-la-Forêt (1957-1959), mais la « ville radieuse » elle-même ne verra jamais le jour.
Comme de nombreux utopistes, Le Corbusier restera incompris toute sa vie. Aussi audacieux que ses projets ont pu paraître, ils ont eu le mérite de proposer des solutions aux problèmes urbains. Le Corbusier a en effet pratiqué, dès ses premiers articles dans la revue L'Esprit nouveau, une synthèse des principales idées urbanistiques de ses prédécesseurs et contemporains. Il en tirera deux grands projets urbanistiques, s'inspirant notamment de Tony Garnier, mais aussi des maisons communes soviétiques : le « plan Voisin pour Paris » et la « ville radieuse ».
Son seul tort sera d'avoir été trop dogmatique, ce qui le fera passer pour un progressiste sans nuance, aveugle aux besoins réels de l'homme. Ses projets resteront donc à l'état de plan, seuls des unités d'habitation isolées, coupées de leur contexte, étant édifiées ça et là.
L'architecte Le Corbusier a cependant été aussi brillant qu'il a été rejeté, et l'urbaniste frustré a tout de même laissé quelques réalisations remarquables, comme la ville de Chandigarh, capitale du Penjab indien, dont il a reçu la commande en 1951, ville découpée en secteurs autonomes de 5000 personnes.
En fait, ce seront surtout les continuateurs de Le Corbusier, architectes sans inspiration, qui porteront préjudice à ses idées : l'interprétation réductrice qu'ils en feront les conduira à l'édification des cités-dortoirs de banlieues. L'urbaniste Marcel Poëte avait anticipé la catastrophe, prévenant, dans Introduction à l'urbanisme (1929) : « Il n'y a pas de pire danger, en urbanisme, que de vouloir mettre en pratique le Manuel du parfait urbaniste ».
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