L'été et le fauvisme
Les deux peintres semblent presque surpris de ce qu'ils trouvent et de ce qu'ils font. Ils voient aussi chez Daniel de Monfreid sa collection d'œuvres de Gauguin, dont l'utilisation de l'aplat de couleur trouve peut-être en eux, à ce moment précis, un écho particulier.
Quoi qu'il en soit, de nombreux éléments, glanés par Matisse au fil de son apprentissage, paraissent devoir converger vers Collioure et se cristalliser, incitant le peintre à sauter le pas définitivement.
Matisse n'a, en effet, pas renoncé à tout ce qu'il a appris de Signac. Pour exprimer ce qu'il ressent, il sait devoir construire un tableau par la couleur plutôt que de copier telle quelle la réalité. Cela dit, il veut utiliser la logique et la rationalité du divisionnisme non pour son application purement optique mais au service de l'expression du sentiment et de la sensation.
Il y a donc une solution de continuité entre ce qu'a fait Matisse en compagnie de Signac un an auparavant et ce qu'il s'apprête à faire à Collioure à l'été 1905.
Matisse l'encourage aussi à laisser apparaître par endroits la sous-couche d'enduit blanc pour suggérer les reflets du soleil sur la mer ou son éclat sur les quais ; le tableau se trouve ainsi unifié et la toile, en tant que matière, devient facteur de luminosité.
L'émulation qui se produit entre les deux hommes fera dire à Derain, en parlant de Matisse : « C'est un type beaucoup plus extraordinaire que je ne pensais au point de vue logique et spéculations psychologiques ».
Les trois œuvres témoignent d'une évolution radicale dans la manière de peindre de Matisse.
Vue de trois quarts, le visage tourné vers le spectateur, la femme richement coiffée et vêtue s'efface en tant que sujet derrière la touche brossée et la force, pour ne pas dire la violence, des couleurs pures et de leur opposition les unes aux autres : reflets verts et orangés sur le visage et le cou, cheveux vermillon, chapeau multicolore, le tout encadré de vert, de jaune et de violet.
Et pourtant, ces couleurs qui se côtoient et parfois se superposent en transparence sans jamais se mélanger créent une tonalité d'ensemble juste et équilibrée, rythmée par la ligne noire des épaules, ligne que l'on retrouve dans le Portrait à la raie verte.
Ainsi la raie verte proprement dite, qui coupe le visage en deux, permet justement d'en délimiter les deux pans, vert d'un côté, rose de l'autre, chaque couleur irradiant d'une lumière différente et se trouvant complétée par une couleur de fond qui la rehausse et confère au tout un certain relief. L'ensemble est assourdi et équilibré par la coiffure noire aux reflets bleus et violets.
La touche sur le visage et les cheveux est à peine étalée, très visible, mais elle en suit les contours, suggère les volumes et contribue à leur construction ; la touche du fond est plus brossée, sauf dans une petite partie comprise entre l'épaule et l'oreille droite, où une touche plus épaisse et irrégulière de vert et de noir évoque une ombre. Le même procédé, poussé plus loin encore, se retrouve sur le Portrait de Derain.
Il apparaît alors que Matisse est parvenu à obtenir ce qu'il cherchait : faire en sorte que chaque partie d'un tableau soit d'une importance égale aux autres ; chaque touche de couleur, en termes de tonalité et de matière, a sa raison d'être.
Aux critiques acerbes que soulèveront ces trois toiles au Salon d'automne de 1905, Matisse rétorquera : « Avant tout je ne crée pas une femme, je fais un tableau ».
L'été 1905 à Collioure a inspiré à Matisse et à son ami Derain, qu'il a rejoint là-bas, la tentation d'un saut vers l'inconnu. Cet événement est la cristallisation en même temps que l'apogée de ce qui sera appelé arbitrairement « fauvisme ».
A la « déconstruction » initiale des formes du passé succède une reconstruction par la couleur qui exprime le sentiment et « remue le fond sensuel des hommes », ainsi que le dira Matisse.
Cependant, lors du Salon d'automne, le critique Camille Mauclaire déclare : « On a jeté un pot de peinture à la face du public ». Matisse souffre d'être au cœur de la polémique car il estime que ses toiles expriment de façon très pure, mieux qu'elles ne l'ont jamais fait, ses sensations.
Le scandale a pourtant le mérite d'attirer l'attention sur son œuvre, qui séduit les Stein (Gertrude et Léo, puis Michael et Sarah), collectionneurs d'art américains établis à Paris. Michael achètera le Portrait de la femme au chapeau, faisant ainsi remonter la cote de Matisse et adoucissant son amertume.
Matisse est fermement décidé à tourner la page. Si le fauvisme a été un moment décisif de son évolution, il n'a été qu'un moment, qu'il décide de clore en peignant Le Bonheur de vivre, synthèse de toutes ses recherches, « tableau racine » auquel il reviendra souvent.
Quant au fauvisme, il a vécu. Chacun de ses représentants devra désormais choisir entre évolution ou stagnation.

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