Le couple Auge/Cidrolin dans Les Fleurs bleues

Cidrolin représente l'antihéros car, d'une part, le personnage a un passé trouble : dix-huit mois de prison, des graffiti qui le désignent comme un assassin... D'autre part, c'est un être qui a ses habitudes et qui mène apparemment une existence paisible sur sa péniche amarrée en banlieue parisienne. La sieste est sa principale activité. Comme le fait remarquer sa fille Lamélie : « Il trouve toujours quelque chose à ne rien faire. » Il a des préoccupations qui révèlent une certaine médiocrité. Aussi déplore-t-il le mariage de sa fille parce qu'elle ne pourra plus s'occuper de lui comme avant, « cirer [s]es chaussures, préparer la bouffe, et tout le reste ». Seul le rêve est une échappatoire à cette vie monotone.

La vie du duc est une suite de rebondissements et de péripéties car il se confronte constamment à l'Histoire : croisade, guerre de Cent Ans, Etats généraux, Révolution...
A chaque fois, Auge se montre rebelle et indépendant. En cela, il a quelque chose du héros épique. Cependant, Auge est un chevalier de parodie. Il rappelle, par sa malchance et par sa passion, Don Quichotte, héros picaresque dont il dit d'ailleurs qu'il est son modèle. Il possède une dimension rabelaisienne par sa truculence et son goût de la bonne chère. Il fait également penser à Matamore en raison de son agitation permanente.
Sa violence épique devient complètement burlesque dans le monde contemporain, car il continue à agir en féodal qui aurait droit de « haute et basse justice » sur le petit peuple.

Le duc d'Auge est aussi un esprit curieux qui se préoccupe de théologie, d'histoire, d'alchimie, d'architecture. Mais son attitude ou ses prises de position sont parfois douteuses puisqu'il soutient Gilles de Rais, fait référence à son « excellent ami » Sade, et aime à tapoter le derrière de la fille d'auberge : « j'ai une fessée rentrée dans le creux de la main ».
Auge déborde de vie : il est un héros excessif et passionné.

Auge et Cidrolin sont antithétiques. On a alors le sentiment que chacun rêve d'être le contraire de lui-même ; ou bien que les deux personnages sont les deux faces dissociées d'une même personne (n'ont-ils pas les mêmes prénoms ?).

Il se joue, dans le roman, un conflit entre deux instances du moi, symbolisées par les deux personnages : l'une active et l'autre passive, celle qui se laisse aller à la paresse et celle qui aspire à l'action, la violente et la contemplative. Cette dualité intérieure peut se résoudre à partir du moment où les deux personnages finissent par se rencontrer : ils vivent ensemble sur la péniche et cessent alors de rêver l'un à l'autre.