La perception est-elle trompeuse ?
« Le soleil se couche », « la
terre est immobile », « une étoile
est minuscule » : ce type de jugement
correspond, croyons-nous, à la manière dont
nous percevons les phénomènes ou le monde
extérieur. Même si la science a pu
démentir ces affirmations, si nous nous fions à
nos sens, nous pouvons continuer de dire que « cette
étoile est minuscule » - dans la mesure
où nous la percevons comme telle.
Faut-il alors considérer comme fondamentalement trompeuse la perception et construire la connaissance en rupture par rapport à celle-ci ? Ou bien doit-on lui attribuer un autre rôle, permettant de l’inclure dans le domaine de la connaissance ? Ne témoigne-t-elle pas en effet de notre présence dans le monde, et de notre manière de l'habiter ?
Faut-il alors considérer comme fondamentalement trompeuse la perception et construire la connaissance en rupture par rapport à celle-ci ? Ou bien doit-on lui attribuer un autre rôle, permettant de l’inclure dans le domaine de la connaissance ? Ne témoigne-t-elle pas en effet de notre présence dans le monde, et de notre manière de l'habiter ?
1. Perception et évidence sensible
Si je vois par exemple un autobus s’arrêter au
feu rouge, je peux difficilement douter de la
réalité de ma perception. Ce n’est pas
un rêve, ni une simple impression subjective et
d’ailleurs, si une personne m’accompagne dans
la rue à ce moment-là, elle constatera
également le même fait. Autrement dit, la
perception qui se rapporte dans cet exemple à la
vision, me donne accès à la
réalité sensible extérieure,
c’est-à-dire au monde. En ce sens, elle est
primordiale et source de vérité. Quand
quelqu’un dit « cela saute aux
yeux ! » ou encore qu’« il
faut le voir pour y croire ! », il atteste
d’ailleurs que la perception
est gage de vérité.
Dans le dialogue intitulé Théétète, Platon envisage la perception en fonction de sa « valeur de vérité » et se demande si, aux objets que nous percevons, peut correspondre une connaissance : « Nous ne concédons pas que l'homme soit la mesure de toutes choses, à moins qu'il ne soit intelligent. Nous ne lui concédons pas non plus que la sensation soit la science (183 c). Car ce n'est pas, dans les impressions que réside la science, mais dans le raisonnement sur les impressions ; car c'est par cette voie que l'on peut atteindre l'essence et la vérité, tandis qu'on ne le peut pas par l'autre voie (186 d). »
Pourtant chacun de nous a déjà fait l’expérience de se tromper, par exemple en jugeant qu'un bâton plongé dans l'eau semble brisé, donc en se basant uniquement sur la perception qu'il a du phénomène. Le témoignage de nos sens peut donc être trompeur.
Dans le dialogue intitulé Théétète, Platon envisage la perception en fonction de sa « valeur de vérité » et se demande si, aux objets que nous percevons, peut correspondre une connaissance : « Nous ne concédons pas que l'homme soit la mesure de toutes choses, à moins qu'il ne soit intelligent. Nous ne lui concédons pas non plus que la sensation soit la science (183 c). Car ce n'est pas, dans les impressions que réside la science, mais dans le raisonnement sur les impressions ; car c'est par cette voie que l'on peut atteindre l'essence et la vérité, tandis qu'on ne le peut pas par l'autre voie (186 d). »
Pourtant chacun de nous a déjà fait l’expérience de se tromper, par exemple en jugeant qu'un bâton plongé dans l'eau semble brisé, donc en se basant uniquement sur la perception qu'il a du phénomène. Le témoignage de nos sens peut donc être trompeur.
2. Perception et illusion
Si l’on se fie à nos sens, une même
chose dans la réalité apparaît
changeante et multiple, à moins de considérer
que la vérité sur un même objet peut
changer d’un instant à l’autre, il
est nécessaire de se méfier de la perception,
dans la mesure où elle peut nous induire en
erreur. La perception est, d’une part,
subjective : on perçoit
nécessairement à partir d’un point de
vue - mais ce point de vue ne peut rendre compte de la
totalité d’un phénomène.
D’autre part, elle ne nous donne accès
qu’à ce qui apparaît de la chose et non
à ce que cette chose est du point de vue de sa
totalité. C’est parce que la perception est en rapport avec les
apparences (changeantes et multiples)
et non avec la
vérité (une et immuable)
qu’elle doit être dépassée.
Gaston Bachelard (1884-1962) montre que l’esprit scientifique doit progresser à partir d’une rupture épistémologique avec la perception et l’expérience ordinaire. La perception devient un obstacle à la démarche rationnelle : « Une marche vers l’objet n’est pas initialement objective. Il faut donc accepter une véritable rupture entre la connaissance sensible et la connaissance scientifique. (…) En particulier, l’adhésion immédiate à un objet concret, saisi comme un bien, utilisé comme une valeur, engage trop fortement l’être sensible ; c’est la satisfaction intime. Ce n’est pas l’évidence rationnelle. » (La formation de l’esprit scientifique, 1938).
Il est donc nécessaire, pour parvenir à se défaire de ce que la perception a de trompeur, d’opérer un « revirement », pour employer l’expression de revirement qui consiste à ne plus regarder avec « les yeux du corps » mais avec « les yeux de l’esprit », autrement dit avec la raison (La République, Livre VI). Platon a recours à une analogie pour montrer que les choses sensibles sont perçues avec les yeux du corps (ainsi en est-il de la lumière que diffuse le soleil), tandis que les choses intelligibles (les « Idées ») sont perçues avec les yeux de l’intelligence : « Ce qu’est le Bien dans le lieu intelligible par rapport à l’intellect et aux intelligibles, le soleil l’est dans le lieu visible par rapport à la vue et aux choses visibles. » (508 b-c). La raison est seule capable de parvenir à restituer à la réalité sa cohérence et son unité en envisageant cette réalité non plus dans sa particularité (comme c’est le cas avec la perception) mais dans son universalité.
Gaston Bachelard (1884-1962) montre que l’esprit scientifique doit progresser à partir d’une rupture épistémologique avec la perception et l’expérience ordinaire. La perception devient un obstacle à la démarche rationnelle : « Une marche vers l’objet n’est pas initialement objective. Il faut donc accepter une véritable rupture entre la connaissance sensible et la connaissance scientifique. (…) En particulier, l’adhésion immédiate à un objet concret, saisi comme un bien, utilisé comme une valeur, engage trop fortement l’être sensible ; c’est la satisfaction intime. Ce n’est pas l’évidence rationnelle. » (La formation de l’esprit scientifique, 1938).
Il est donc nécessaire, pour parvenir à se défaire de ce que la perception a de trompeur, d’opérer un « revirement », pour employer l’expression de revirement qui consiste à ne plus regarder avec « les yeux du corps » mais avec « les yeux de l’esprit », autrement dit avec la raison (La République, Livre VI). Platon a recours à une analogie pour montrer que les choses sensibles sont perçues avec les yeux du corps (ainsi en est-il de la lumière que diffuse le soleil), tandis que les choses intelligibles (les « Idées ») sont perçues avec les yeux de l’intelligence : « Ce qu’est le Bien dans le lieu intelligible par rapport à l’intellect et aux intelligibles, le soleil l’est dans le lieu visible par rapport à la vue et aux choses visibles. » (508 b-c). La raison est seule capable de parvenir à restituer à la réalité sa cohérence et son unité en envisageant cette réalité non plus dans sa particularité (comme c’est le cas avec la perception) mais dans son universalité.
3. Innocence de la perception
Descartes (1596-1650),
à partir de l’exemple du morceau de
cire, (Seconde méditation, Méditations
métaphysiques), montre que n’appartient
pas véritablement à l’objet tout ce
qui, en lui, est soumis à une
« infinité de
changements ». Un morceau de cire,
« tout fraîchement tiré de la
ruche », présente certaines
qualités. Mais si on l’approche du feu, sa
couleur se change, sa figure se perd, sa grandeur augmente,
il devient liquide, il s’échauffe, à
peine peut-on le manier, et quoique l’on frappe
dessus il ne rendra plus aucun son. Il serait toutefois
hâtif de penser que Descartes bannit la perception
du registre de la connaissance : il y aurait,
après tout, deux manières de savoir ce
qu’est, en lui-même, le morceau de cire. Bien
sûr, lorsque nous contemplons, d’une
fenêtre, le spectacle de la rue, nous savons bien que
les « manteaux et les chapeaux »
auxquels se résume notre perception ne sont pas des
« spectres ou des hommes feints ».
Nous jugeons que ce sont de vrais hommes. Par cet autre
exemple de la Seconde méditation, Descartes montre
que la perception a besoin du
jugement. Néanmoins, le jugement ne peut se passer
complètement de la perception ;
celle-ci ne se réduit pas à une illusion.
Nous pouvons en effet « imaginer »
qu’il y a deux morceaux de cire différents -
même si évidemment il ne s’agit de la
même cire, qui a changé d’aspect.
4. « Les petites perceptions »
La lecture « dualiste » de la
perception (Platon, Descartes), lecture selon laquelle
s’opposent les sensations et les perceptions,
d’une part, et la raison et l’entendement,
d’autre part, est remise en cause par Leibniz (1646-1716). Dans l’un de
ses textes les plus célèbres, qu’on a
pris l’habitude d’intituler « Les
petites perceptions », (Nouveaux essais sur
l’entendement humain, 1765), il explique que
nous ne percevons pas tout ce que
nous croyons percevoir. Ainsi, lorsque nous
percevons le bruit de la mer, ce n’est pas le bruit
de la mer que nous percevons réellement, mais
beaucoup de petits bruits ensemble que nous prenons pour un
seul bruit : pour entendre le bruit de la mer,
il faut bien qu’on entende le bruit qui compose ce
tout, c’est-à-dire le bruit de chaque vague,
quoique chacun de ces petits bruits ne se fasse
connaître que dans l’assemblage confus de tous
les autres ensemble, et qu’il ne se remarquerait pas
si cette vague qui le fait était seule.
Si nous ne sommes pas conscients de tout ce que nous percevons par l’intermédiaire des sens, nous ne sommes donc pas conscients de tout, de la même manière, du point de vue de la pensée. Pour Leibniz, avant d’être une manière de connaître les choses, la perception est une activité vitale ; elle est une modalité d’être du corps. L’âme, elle, ne « perçoit » pas ; elle permet de porter des jugements, ou de raisonner sur ce que notre corps perçoit ; sans les perceptions du corps, l’esprit ne pourrait pas « penser ». L’âme et le corps doivent donc être compris sous l’angle d’une complémentarité, et non sous celui d’un dualisme ou d’une opposition : en un mot, c'est une grande source d'erreurs de croire qu'il n'y a aucune perception dans l'âme que celles dont on s'aperçoit.
Si nous ne sommes pas conscients de tout ce que nous percevons par l’intermédiaire des sens, nous ne sommes donc pas conscients de tout, de la même manière, du point de vue de la pensée. Pour Leibniz, avant d’être une manière de connaître les choses, la perception est une activité vitale ; elle est une modalité d’être du corps. L’âme, elle, ne « perçoit » pas ; elle permet de porter des jugements, ou de raisonner sur ce que notre corps perçoit ; sans les perceptions du corps, l’esprit ne pourrait pas « penser ». L’âme et le corps doivent donc être compris sous l’angle d’une complémentarité, et non sous celui d’un dualisme ou d’une opposition : en un mot, c'est une grande source d'erreurs de croire qu'il n'y a aucune perception dans l'âme que celles dont on s'aperçoit.
5. Le corps est au centre de la perception
Percevoir, comme l’avait pressenti Leibniz,
c’est en quelque sorte penser avec le
corps ; la perception s’apparente, selon
l’expression de Merleau-Ponty (1908-1961), à un
« accouplement de notre corps avec les
choses ». Le corps est ainsi le
médiateur entre un sujet (qui perçoit) et un
objet (le monde perçu par ce sujet). Il
n’existe donc pas d’un côté le
sujet, et de l’autre l’objet, mais
principalement une interaction entre les deux.
C’est ce que signifie le concept
d’intentionnalité, terme
initialement utilisé par Husserl (1859-1938) pour
désigner le mouvement, ou l’action, par
lequel la conscience d’un sujet se rapporte à
l’objet qu’elle perçoit.
« La conscience », dit Husserl,
« est toujours conscience de quelque
chose ». Comme le précise
encore Merleau-Ponty dans L’œil et
l’esprit (1961), persiste
« l’indivision du sentant et du
senti ». La notion de
« perception » se trouve donc au
centre de la réflexion de Merleau-Ponty
(Phénoménologie de la perception,
1945).
L'essentiel
Si l’évidence sensible, qui nous semble,
à première vue, procéder de la
perception, ne peut correspondre à une source
indubitable de connaissance, elle demeure, en tant que
rapport originaire au monde, ce qui nous permet de prendre
connaissance de l’existence de la réalité
extérieure. Le fait que l’esprit ne puisse
prendre pour vraies les perceptions sans discernement ne
signifie pas qu’elles soient à exclure du
processus de connaissance. Au contraire, les sensations
doivent être utilisées et
réfléchies par la raison. En
résumé, la perception est une source de
connaissance, à la condition que la raison
explique ce que les sensations ont d’intelligible.

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