La généalogie de la morale, II, 1, Nietzsche : l'extrait
Références : Folio Essais
(Traduction d’Isabelle Hildenbrand et Jean Gratien)
« Elever un animal qui puisse promettre,
n’est-ce pas là cette tâche paradoxale que la
nature s’est donnée à propos de
l’homme ? N’est-ce pas là le
problème véritable de l’homme ?…
Que ce problème soit résolu dans une large mesure,
voilà qui ne laissera pas d’étonner celui qui
sait bien quelle force s’y oppose : la force de
l’oubli. L’oubli n’est pas une simple vis
inertiae1, comme
le croient les esprits superficiels, c’est bien
plutôt une faculté d’inhibition active, une
faculté positive dans toute la force du terme ;
grâce à lui toutes nos expériences, tout ce
que nous ne faisons que vivre, qu’absorber, ne devient pas
plus conscient, pendant que nous le digérons (ce
qu’on pourrait appeler assimilation psychique), que le
processus multiple de la nutrition physique qui est une
assimilation par le corps. Fermer temporairement les portes et
les fenêtres de la conscience ; nous mettre à
l’écart du bruit et de la lutte que mène le
monde souterrain de nos organes, tantôt l’un pour
l’autre, tantôt l’un contre
l’autre ; faire un peu de silence, de table rase dans
notre conscience pour laisser la place à du nouveau
[…], voilà l’utilité de l’oubli,
actif, comme je l’ai dit, sorte d’huissier, gardien
de l’ordre psychique, de la tranquillité, de
l’étiquette : on voit aussitôt pourquoi
sans oubli il ne pourrait y avoir ni bonheur, ni
sérénité, ni espoir, ni fierté, ni
présent. L’individu chez qui cet appareil
d’inhibition est endommagé et ne fonctionne plus
peut être comparé à un
dyspeptique2 (et
non seulement comparé), il n’« en
finit » jamais avec rien… Eh bien cet animal
nécessairement oublieux, pour qui l’oubli
représente une force, la condition d’une
santé robuste, a fini par acquérir une
faculté contraire, la mémoire, à
l’aide de laquelle, dans des cas déterminés,
l’oubli est suspendu – à savoir dans les cas
où il s’agit de promettre : il ne s’agit
nullement là de l’impossibilité purement
passive de se délivrer d’une impression du
passé, nullement d’une indigestion causée par
une parole donnée, dont on n’arrive pas à se
débarrasser, mais bien d’une volonté active
de ne pas se délivrer, d’une volonté qui
persiste à vouloir ce qu’elle a une fois voulu,
à proprement parler d’une mémoire de la
volonté. […] Pour pouvoir à ce point
disposer à l’avance de l’avenir, […]
combien l’homme lui-même a-t-il dû
d’abord devenir prévisible, régulier,
nécessaire, y compris dans la représentation
qu’il se fait de lui-même, pour pouvoir finalement,
comme le fait quelqu’un qui promet, répondre de
lui-même comme avenir. »
Notes :
Vis
inertiae : en latin, force d’inertie.
Dyspeptique : personne qui souffre de dyspepsie,
c'est-à-dire d’une digestion difficile et
douloureuse.

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