L'Ingénu, Voltaire

En 1689, un jeune Huron, surnommé L’Ingénu, arrive en Bretagne. Accueilli par l’abbé de Kerkabon et sa sœur, il étonne toute la petite société provinciale (chap. 1). On découvre qu’il est le neveu du prieur (2). Après quelques péripéties, on réussit à le faire baptiser (3-4). L’Ingénu, amoureux de sa marraine Mlle de Saint-Yves, décide de l’épouser malgré l’interdiction religieuse (5-6).

Il repousse les Anglais attaquant la région. Il part pour Versailles pour y recevoir le prix de ses services (7). En route, il soupe avec des huguenots chassés par la révocation de l’édit de Nantes (8). Il se présente à la cour, mais on conclut qu’il n’a pas la tête saine. Dénoncé comme ami des protestants par un espion du père La Chaise, il est enfermé à la Bastille (9).

Dans sa cellule qu’il partage avec un janséniste, le bonhomme Gordon, l’Ingénu développe son génie (10-12). La belle Saint-Yves se rend à Versailles, s’adresse au jésuite le père Tout-à-tous. On lui conseille de demander la grâce du Huron au ministre Saint-Pouange. Éclairé par l’Ingénu, Gordon comprend qu’il s’agit d’une injustice (13-14).

Le ministre promet à Mlle de Saint-Yves de lui accorder ce qu’elle demande à condition qu’elle ait pour lui des bontés. Mlle de Saint-Yves refuse et consulte le père Tout-à-tous l’incitant à être «utile» à son futur mari. Elle succombe par vertu, délivre L’Ingénu et le bonhomme Gordon (15-18).

Mlle de Saint-Yves, minée par le remords, tombe gravement malade (19) et meurt. M. de Saint-Pouange essaie de réparer le mal qu’il a fait. L’Ingénu devient un bon officier, et Gordon prend pour devise: «Malheur est bon à quelque chose» (20).

L’Ingénu est un roman d’apprentissage. Le Huron, dont les incongruités de sauvage sont divertissantes, se transforme en homme raisonnable, capable d’éclairer un janséniste, puis devient un excellent officier et philosophe. Cet itinéraire du Huron s’achevant par un drame, a fait l’objet de nombreuses interprétations. Le lien entre les deux parties du roman a été mis en évidence : il est à chercher dans la destinée du héros. Le malheur de Mlle de Saint-Yves et de l’Ingénu est imputable à la corruption sociale, au formalisme religieux leur interdisant de se marier sans dispense.

Œuvre polémique, L’Ingénu s’en prend au règne du bon plaisir, aux emprisonnements arbitraires, aux faiblesses d’un pouvoir infiltré par un ordre religieux, miné par des intrigues de cour. Tous les éléments d’un pamphlet contre les jésuites, à une époque où Voltaire a fait imprimer à Genève l’histoire de leur Destruction par d’Alembert, sont réunis. Leur laxisme moral est dénoncé tout comme leur soif de pouvoir. Ils assurent leur puissance grâce au confessionnal et à des espions. Le tableau de la France de la révocation de l’édit de Nantes est sombre.

Comme tous les étrangers (les Persans de Montesquieu) des Lumières, le Huron démasque les abus d’une société. Avec son bon sauvage, Voltaire se rallierait-il aux thèses rousseauistes ? Homme naturel, l’Ingénu dénonce à juste titre une religion artificielle, une politique absolutiste, mais il doit être policé.

Après le drame, Voltaire laisse son lecteur s’interroger sur les deux aphorismes contradictoires des dernières lignes, celui de Gordon: « Malheur est bon à quelque chose », et celui de tant d’honnêtes gens: « Malheur n’est bon à rien. »