Chaque individu reçoit un héritage
biologique, qui correspond à son patrimoine
génétique, et un héritage culturel,
qui correspond au milieu dans lequel il évolue, mais
également à l'éducation qui lui est
transmise. Mais qu'en est-il de son identité personnelle ?
Peut-on la distinguer de ce double apport ? Chacun se sent
unique et singulier mais, dans le même temps, alors que
les identités biologique et sociale peuvent être
saisies objectivement, l'identité personnelle semble
insaisissable. S'agit-il donc d'un mythe ou bien cela
recouvre-t-il une réalité consistante ?
1. La constitution de l'identité personnelle
a. Etre soi, c'est pouvoir dire
« je »
L'accès au langage est une étape
décisive dans la constitution de l'identité
personnelle. En particulier, au moment où l'enfant
acquiert la possibilité de dire
« je », il s'affirme comme
un être singulier et se sépare du
milieu ambiant dans lequel il évoluait
jusqu'alors sans s'en distinguer. Ainsi, Kant écrit : « Il
semble que [pour l'enfant] une lumière vienne se
lever quand il commence à dire Je [...]
Auparavant il ne faisait que se sentir ; maintenant il se
pense. » (Anthropologie du point de vue
pragmatique, L.1, 1798).
b. Etre soi, c'est se souvenir
Il va de soi que la
mémoire est la faculté qui
permet d'introduire une continuité dans ce que
chacun vit. Sans cela, la vie serait une suite
d'instants détachés les uns des autres,
sans unité et sans cohérence.
L'identité personnelle repose sur le travail de la
mémoire qui lie entre elles les
expériences vécues et qui me permet de
savoir qui je suis.
c. L'identité personnelle émerge avec
la conscience de soi comme sujet
La conscience de soi,
enracinée dans le langage et la mémoire,
constitue chacun en sujet, c'est-à-dire en
un individu singulier. La capacité de rapporter
ses actes et ses discours à une volonté et
à une pensée distinctes de celles des
autres et distinctes du monde alentour fonde la certitude
de posséder une identité
personnelle.
2. À travers la conscience de soi, nous ne nous
découvrons que de façon partielle
a. La conscience offre une image de soi
superficielle
Telle que nous l'avons définie,
l'identité personnelle se confond avec la
représentation que l'on se fait de soi.
Cependant, le langage et la mémoire ne livrent de
soi qu'une représentation consciente et
dès lors partielle, ainsi que l'a
montré Freud. Par
le langage et la mémoire, ce n'est pas une
identité personnelle qui se dévoilerait
mais au contraire une part superficielle et
impersonnelle de l'identité du sujet. Seule
l'ignorance des mécanismes inconscients
permettrait de la confondre avec l'être même
de la personne.
b. Le rêve ou l'apprentissage de soi comme un
autre
Le rêve
manifeste bien ce décalage qui existe entre
notre identité supposée et notre
identité profonde. Il souligne en effet que
les désirs et les pulsions qui
constituent notre être sont de nature inconsciente,
refoulés
hors du champ de notre conscience parce
qu'inconciliables avec le principe de
réalité et le système de valeurs qui
le structurent.
c. La mémoire, imparfait témoin de
notre identité
Freud montre ainsi que
ceux qui souffrent de troubles psychiques ont
vécu des événements traumatisants
dont ils conservent une trace
psychique inconsciente. Autrement dit, ces
expériences traumatiques se dérobent
à la conscience mais continuent d'agir sur la
personnalité de celui qui les a vécues.
Par conséquent, on ne peut pas affirmer que la
mémoire donne véritablement accès
à soi-même.
3. Etre sujet, c'est s'engager dans un processus jamais
achevé de constitution de soi
a. Les leçons de la psychanalyse
Nous sommes d'abord enclins à nourrir des
illusions sur notre propre compte. La psychanalyse nous aide à
lever ces préjugés sur ce que nous
sommes. Elle élabore une connaissance de la vie
psychique non pour condamner toute entreprise de se
connaître ou de se constituer en sujet libre mais
au contraire pour nous donner les moyens d'accomplir
cette tâche avec lucidité.
b. On est soi avec les autres
C'est dans la relation aux
autres que notre identité prend forme.
En effet, nous n'accédons à nous-même
que par le détour des autres. L'identité
personnelle n'est donc pas un champ clos, où
l'on se retrouverait soi-même dans
l'intimité d'une intériorité
soustraite à la visibilité. Elle est cette
conscience de soi que l'on acquiert par la
rencontre, l'échange et souvent le
conflit avec l'autre. « Pour obtenir
une vérité quelconque sur moi, il faut que
je passe par l'autre » (Sartre).
c. Etre soi, c'est s'inventer
Notre identité ne nous est pas
donnée, elle est construite au fil de
l'existence. Autrement dit, ainsi que l'écrit
Eric Weil,
« l'homme n'est pas ce qu'il est ».
L'existence nous met perpétuellement en demeure
d'agir et de choisir de sorte que notre identité s'invente
sans répit et sans assurance à travers
nos actes et nos choix.
Pour aller plus loin
Freud, Le rêve et son
interprétation (1901) : le psychanalyste
explique les mécanismes du rêve et
dévoile un sujet masqué à
lui-même.
Sartre, L'existentialisme est un humanisme
(« L'existence d'autrui », 1946) :
le philosophe montre qu'on ne peut se penser soi-même
sans les autres.
Eric Weil, Logique de la philosophie
(Introduction, A, I : « L'homme comme
raison », 1950) : le penseur met en
évidence qu'un homme se définit par sa
capacité d'échapper à toute forme
d'identification objective.