« La division du psychique en un psychique
conscient et un psychique inconscient constitue la
prémisse fondamentale de la psychanalyse, sans laquelle elle serait
incapable de comprendre les processus pathologiques […]
», écrit Freud
(Essais de psychanalyse, 1927).
Cette prémisse bouleverse la thèse
traditionnelle selon laquelle nous sommes nécessairement
conscients de tout ce qui se passe dans notre esprit.
Descartes avait ainsi soutenu
qu'il ne peut y avoir aucune pensée de laquelle,
« dans le moment qu'elle est en nous, nous n'ayons
une actuelle connaissance » (Méditations
métaphysiques, Réponses aux
Quatrièmes objections, 1641).
Au contraire, selon Freud, certains processus psychologiques
sont cachés à notre conscience et ont une
influence déterminante sur notre personnalité et
sur notre comportement. Sur quels faits et sur quels arguments
une telle hypothèse peut-elle alors être
fondée ?
1. L'activité psychique semble se confondre avec
l'activité de la conscience
a. Notre esprit est transparent à
lui-même
Pour chacun, il paraît évident que ce qui se
passe dans l'esprit est nécessairement conscient.
Les idées, les désirs, les souvenirs ne
semblent pas avoir d'autre existence que celle qu'on leur
donne en les concevant, en les formulant ou en les
rappelant sur le plan de la conscience (par exemple, en
les racontant à quelqu'un). On doute que
désir, idée ou souvenir puissent être
inconscients.
b. L'inconscient est de nature organique
L'inconscient n'a de réalité que sur le
plan organique.
Autrement dit, certains phénomènes
physiologiques se déroulent au sein du corps
sans qu'on en ait conscience. Par exemple, un
enfant grandit sans avoir conscience de la multitude des
processus organiques qui rendent possible cette
croissance. L'inconscient désigne alors ce qui
n'appartient pas aux activités de l'esprit ;
il se rapporterait, en ce sens, aux activités
du corps.
c. Conscience et inconscient appartiennent à
deux ordres distincts
Longtemps, on a cru qu'il y avait identité de
l'esprit et de la conscience. L'esprit est ce par quoi
l'homme pense et donne du sens à la
réalité, or le sens advient
nécessairement par le moyen d'une réflexion
consciente. On associe donc le conscient au
psychique et l'inconscient à
l'organique – ce qui continue
d’accréditer la thèse de la
séparation de l'esprit et du corps (le
« dualisme »).
2. La conscience n'est qu'un élément de
notre vie psychique
a. La découverte de l'inconscient psychique
C'est un médecin autrichien, Sigmund Freud (1856-1939), qui va
détruire cette représentation classique de
la vie psychique de l'homme. Il s'est en effet
intéressé à des malades qui
présentaient des troubles physiques et
psychologiques auxquels ne correspondait aucune
lésion physique. Il va montrer que ces troubles
sont en fait liés à des réalités psychiques
(souvenirs, pulsions, désirs) dont le malade n'a
pas conscience.
b. Une hypothèse nécessaire pour
comprendre les maladies psychiques
Ces réalités
psychiques inconscientes sont à
l'origine des troubles qui affectent les malades. En
effet, Freud observe que
lorsque le malade parvient à prendre conscience de
ces réalités et à exprimer la charge
affective qui leur est associée, les
symptômes disparaissent. Freud en induit
logiquement : « Il se produit
fréquemment des actes psychiques qui, pour
être expliqués, présupposent d'autres
actes qui, eux, ne bénéficient pas du
témoignage de la conscience »
(Métapsychologie).
c. L'inconscient est l'essence du psychisme humain
Cette découverte ne concerne pas seulement l'homme
malade mais aussi bien l'homme sain. Freud observe qu'un certain
nombre de phénomènes psychiques sont
inexplicables sans le recours à la notion
d'inconscient psychique. C'est le cas des
rêves, mais
aussi des actes
manqués, c'est-à-dire des actes
qui ne répondent pas à l'intention
consciente qui les a motivés : les
lapsus, les oublis ou les
maladresses. « Les données de la
conscience sont lacunaires »
(Métapsychologie) : la conscience ne
suffit pas à rendre compte de ce qui se passe dans
notre vie psychique.
3. L'inconscient psychique éclaire la psychologie
de l'homme
a. L'interprétation des rêves
Freud montre qu'il
existe des désirs
inconscients. Rejetés hors de la
conscience, ils n'en continuent pas moins d'agir et c'est
ainsi qu'ils réapparaissent sous une forme
déguisée dans le rêve. Il s'agit
donc pour comprendre les rêves de
déchiffrer le désir inconscient qui
s'y exprime. C'est le postulat d'un inconscient psychique
qui a rendu possible la mise à jour de cette
logique des rêves.
b. La mise au point d'une thérapeutique
D'autre part, Freud est
parvenu à élaborer une thérapie
des troubles psychologiques désignés
sous le nom de névroses. Cette
méthode de soins a rendu possible le traitement de
malades jusqu'alors condamnés à la
souffrance sans espoir de guérison. Ces
succès médicaux témoignent de la
valeur pratique de l'hypothèse de
l'inconscient.
c. L'hypothèse de l'inconscient est une
nécessité
Ainsi, l'hypothèse de l'inconscient
psychique reçoit une confirmation à
la fois théorique et pratique. Sur le plan
théorique, l’hypothèse de
l’inconscient permet désormais
d’expliquer certains phénomènes
psychologiques jusqu’alors
incompréhensibles. C’est en particulier le
cas des rêves : Freud considère qu’ils
sont « la voie royale » qui
mène à l’inconscient.
Sur le plan pratique, l’hypothèse de
l’inconscient permet une prise en charge
radicalement nouvelle de malades dont les troubles
n’avaient pas pu être identifiés
auparavant. L’ambition de Freud était de
faire accéder la psychanalyse au statut de
« science » ; or il
n’est pas certain que la psychanalyse puisse
être considérée aujourd’hui
comme une science – même si elle permet
incontestablement d’améliorer la
qualité de vie de certains malades. Les
traitements médicamenteux, ou physico-chimiques,
semblent aujourd’hui plus efficaces que les
psychothérapies pour traiter les pathologies les
plus sérieuses. Les médecins sont toutefois
les premiers à reconnaître que les deux
démarches thérapeutiques sont
complémentaires.