Le langage est-il le propre de l'homme ?
1. Position du problème
a. L'homme est un « animal doué de
langage »
Cette définition, formulée par Aristote, signifie que si l'homme
est un être vivant parmi tous les autres, il
s'en distingue cependant en ce que lui seul est
doué du langage ou de la parole. On dira que
le langage est la « différence
spécifique », qui définit
l'homme, ou qu'il est « le propre de
l'homme », c'est-à-dire cela que
l'homme seul possède.
Cette première définition ne saurait être comprise indépendamment d'une seconde, suivant laquelle : « l'homme est un animal politique », autrement dit un être qui ne saurait vivre qu'en communauté. C'est en effet seulement parce que les hommes disposent d'un langage commun, qu'ils sont capables de s'entendre et de vivre ensemble.
« Il est évident, écrit Aristote, que l'homme est un animal politique, bien plus que n'importe quelle abeille ou n'importe quel animal grégaire. Car [...] la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux l'homme a un langage. »
Cette première définition ne saurait être comprise indépendamment d'une seconde, suivant laquelle : « l'homme est un animal politique », autrement dit un être qui ne saurait vivre qu'en communauté. C'est en effet seulement parce que les hommes disposent d'un langage commun, qu'ils sont capables de s'entendre et de vivre ensemble.
« Il est évident, écrit Aristote, que l'homme est un animal politique, bien plus que n'importe quelle abeille ou n'importe quel animal grégaire. Car [...] la nature ne fait rien en vain. Et seul parmi les animaux l'homme a un langage. »
b. Deux objections
Tout d'abord, il existe des animaux qui, eux
aussi, vivent en communauté
organisée : ainsi des abeilles ou
des fourmis par exemple. Or ces
« animaux
grégaires » ne doivent-ils
pas eux aussi posséder un langage qui leur
permette de poursuivre des buts et des tâches
communs ?
Il nous faut en outre reconnaître que nous observons parmi les animaux des formes d'expression ou de communication : un chien par exemple sait fort clairement manifester, par divers sons et attitudes, sa joie ou son agressivité. Ne s'agit-il pas là d'une manière de langage, non verbal, mais néanmoins signifiant ?
Il nous faut en outre reconnaître que nous observons parmi les animaux des formes d'expression ou de communication : un chien par exemple sait fort clairement manifester, par divers sons et attitudes, sa joie ou son agressivité. Ne s'agit-il pas là d'une manière de langage, non verbal, mais néanmoins signifiant ?
c. Les animaux auraient eux aussi un langage
Telle est l'hypothèse que Montaigne envisage et défend
dans l'« Apologie de Raimond
Sebond ». Rappelons ici ses deux arguments
majeurs.
D'une part, il faut dire que, si nous supposons à tort être les seuls à disposer d'un langage, c'est seulement parce que nous sommes incapables de comprendre le langage des autres animaux (de même que nous ne comprenons pas certaines langues étrangères).
D'autre part, Montaigne remarque qu'il existe bien une certaine communication des animaux entre eux (ainsi un cheval reconnaît très bien qu'un chien est en colère, à son attitude et à ses aboiements), mais aussi des animaux avec nous. Ils ne s'expriment pas par des mots bien sûr (c'est-à-dire verbalement), mais par des sons, des cris, des gestes, et par là ils communiquent « tout aussi bien que nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes. ».
À l'idée classique que seul l'homme disposerait d'un langage, on peut opposer des données de l'expérience, qui montrent que les animaux peuvent communiquer. Mais cette « capacité de communiquer » est-elle vraiment un « langage » ?
D'une part, il faut dire que, si nous supposons à tort être les seuls à disposer d'un langage, c'est seulement parce que nous sommes incapables de comprendre le langage des autres animaux (de même que nous ne comprenons pas certaines langues étrangères).
D'autre part, Montaigne remarque qu'il existe bien une certaine communication des animaux entre eux (ainsi un cheval reconnaît très bien qu'un chien est en colère, à son attitude et à ses aboiements), mais aussi des animaux avec nous. Ils ne s'expriment pas par des mots bien sûr (c'est-à-dire verbalement), mais par des sons, des cris, des gestes, et par là ils communiquent « tout aussi bien que nos muets disputent, argumentent et content des histoires par signes. ».
À l'idée classique que seul l'homme disposerait d'un langage, on peut opposer des données de l'expérience, qui montrent que les animaux peuvent communiquer. Mais cette « capacité de communiquer » est-elle vraiment un « langage » ?
2. La communication animale n'est pas un
véritable langage
a. Deux exemples de communication animale
La communication des abeilles a été
étudiée au début du
20e siècle par le zoologue
allemand Karl Von Frisch, dont les recherches ont
montré qu'une abeille, ayant découvert une
source de nourriture, était capable de
signaler son emplacement à ses compagnes de
façon très précise. Ainsi une
« danse en rond » indique que la
source de nourriture se situe à moins de cent
mètres de la ruche ; une « danse
en huit » indique une distance
supérieure, précisée grâce au
nombre de « huit »
effectués, tandis que la direction est
indiquée par l'axe du mouvement.
Des éthologues ont mené diverses expériences avec des chimpanzés, afin de savoir s'ils sauraient apprendre un langage, soit gestuel, soit par la manipulation de jetons portant des symboles correspondant à des mots. Or il semble que ces animaux soient capables de se mettre ainsi à communiquer : de demander par exemple à manger et de préciser l'aliment dont ils ont envie.
Des éthologues ont mené diverses expériences avec des chimpanzés, afin de savoir s'ils sauraient apprendre un langage, soit gestuel, soit par la manipulation de jetons portant des symboles correspondant à des mots. Or il semble que ces animaux soient capables de se mettre ainsi à communiquer : de demander par exemple à manger et de préciser l'aliment dont ils ont envie.
b. Ces expériences ne prouvent cependant pas
l'existence d'un langage animal
Il convient en effet de distinguer
« communication » et
« langage », comme le montre
Émile
Benvéniste dans ses Problèmes
de linguistique générale.
Tout d'abord, le message transmis par une abeille n'induit aucune réponse, mais seulement une réaction ; de même, les chimpanzés font ce que l'on appelle un usage simplement « injonctif » du langage, c'est-à-dire uniquement pour demander ou ordonner quelque chose. Ils ne dialoguent pas à proprement parler, ce qui est pourtant le propre d'un langage authentique.
Par suite, on peut dire que les codes dont ils font usage (danses, gestes, symboles dessinés sur des jetons) ne sont pas vraiment des codes constitués de signes linguistiques, mais plutôt de signaux (on dira ainsi qu'un mot est un signe linguistique, mais qu'un feu rouge est un signal qui enjoint à l'automobiliste de s'arrêter).
Enfin, on remarquera le caractère relativement pauvre du contenu de ces « messages » animaux : ceux des abeilles n'ont pas d'autre objet que la nourriture ; les singes disposent d'un vocabulaire limité aux objets et actions concrets et n'usent que d'un nombre d'énoncés limités, sans jamais innover : aucun singe ne saurait raconter une histoire inventée par exemple, ni faire de l'humour.
Tout d'abord, le message transmis par une abeille n'induit aucune réponse, mais seulement une réaction ; de même, les chimpanzés font ce que l'on appelle un usage simplement « injonctif » du langage, c'est-à-dire uniquement pour demander ou ordonner quelque chose. Ils ne dialoguent pas à proprement parler, ce qui est pourtant le propre d'un langage authentique.
Par suite, on peut dire que les codes dont ils font usage (danses, gestes, symboles dessinés sur des jetons) ne sont pas vraiment des codes constitués de signes linguistiques, mais plutôt de signaux (on dira ainsi qu'un mot est un signe linguistique, mais qu'un feu rouge est un signal qui enjoint à l'automobiliste de s'arrêter).
Enfin, on remarquera le caractère relativement pauvre du contenu de ces « messages » animaux : ceux des abeilles n'ont pas d'autre objet que la nourriture ; les singes disposent d'un vocabulaire limité aux objets et actions concrets et n'usent que d'un nombre d'énoncés limités, sans jamais innover : aucun singe ne saurait raconter une histoire inventée par exemple, ni faire de l'humour.
3. Spécificité du langage humain
a. La double articulation du langage humain
Le langage est constitué d'une
« double
articulation », totalement absente
de toute communication animale :
1) chaque mot est composé de multiples unités vocales ou « morphèmes » (consonnes, voyelles, diphtongues) qui, diversement combinés ou « articulés », constituent l'ensemble de notre vocabulaire ;
2) les mots eux-mêmes constituent des unités de sens qui peuvent être combinés ou « articulés » de façon multiple, donnant lieu ainsi à un nombre d'énoncés quasi infini.
1) chaque mot est composé de multiples unités vocales ou « morphèmes » (consonnes, voyelles, diphtongues) qui, diversement combinés ou « articulés », constituent l'ensemble de notre vocabulaire ;
2) les mots eux-mêmes constituent des unités de sens qui peuvent être combinés ou « articulés » de façon multiple, donnant lieu ainsi à un nombre d'énoncés quasi infini.
b. Cette multiplicité inhérente au
langage autorise qu'on puisse en user de façon
libre et innovante
Ayant en effet à notre disposition une
infinité d'énoncés possibles,
chacun de nous peut en user librement suivant les
circonstances et sa volonté propre, de
façon éventuellement créative et
originale.
C'est ce que montre Noam Chomsky, linguiste contemporain, pour lequel le langage humain se caractérise par son « aspect créateur », par cette « faculté spécifiquement humaine d'exprimer des pensées nouvelles et de comprendre des expressions de pensées nouvelles dans le cadre d'un langage institué ». Ainsi un langage véritable suppose qu'en soit possible un usage « novateur », créateur et libre, c'est-à-dire indépendant de toute réaction à des stimulations internes ou externes – ce qui est loin d'être le cas des modes de communications animaux que nous avons évoqués.
Il nous faut donc finalement distinguer clairement ce que l'on appellera les divers modes de communication animale et ce qui est à proprement parler un langage, spécifique ou propre à l'homme. De sorte qu'il faudrait dire en effet avec Benvéniste que, « appliquée au monde animal, la notion de langage n'a cours que par abus de terme. »
C'est ce que montre Noam Chomsky, linguiste contemporain, pour lequel le langage humain se caractérise par son « aspect créateur », par cette « faculté spécifiquement humaine d'exprimer des pensées nouvelles et de comprendre des expressions de pensées nouvelles dans le cadre d'un langage institué ». Ainsi un langage véritable suppose qu'en soit possible un usage « novateur », créateur et libre, c'est-à-dire indépendant de toute réaction à des stimulations internes ou externes – ce qui est loin d'être le cas des modes de communications animaux que nous avons évoqués.
Il nous faut donc finalement distinguer clairement ce que l'on appellera les divers modes de communication animale et ce qui est à proprement parler un langage, spécifique ou propre à l'homme. De sorte qu'il faudrait dire en effet avec Benvéniste que, « appliquée au monde animal, la notion de langage n'a cours que par abus de terme. »
Pour aller plus loin
Aristote, Les Politiques (I, 2).
Montaigne, Essais (II, 12 : « Apologie de Raimond Sebond »).
E. Benvéniste, Problèmes de linguistique générale (vol. I, chap. 5 : « Communication animale et langage humain », et chap. 2 : « Transformations de la linguistique ») : à propos de la notion de « signal ».
Descartes, Discours de la méthode (sixième partie).
Lettre du 23 novembre 1646 au marquis de Newcastle (Œuvres et Lettres, Pléiade, pp. 1255-56).
Montaigne, Essais (II, 12 : « Apologie de Raimond Sebond »).
E. Benvéniste, Problèmes de linguistique générale (vol. I, chap. 5 : « Communication animale et langage humain », et chap. 2 : « Transformations de la linguistique ») : à propos de la notion de « signal ».
Descartes, Discours de la méthode (sixième partie).
Lettre du 23 novembre 1646 au marquis de Newcastle (Œuvres et Lettres, Pléiade, pp. 1255-56).

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