La conscience est la faculté par laquelle
l'homme est capable de penser ce qu'il vit et dès lors
de se penser lui-même. On pourrait donc admettre que
la conscience que l'on prend de soi-même équivaut
à une connaissance de soi. Or, s'il ne fait pas
de doute que la conscience permet de savoir que l'on est, il n'est pas
assuré qu'elle favorise nécessairement la
connaissance de ce que l'on
est. Autrement dit, le fait d'être conscient
de soi induit-il le fait de se connaître
soi-même ?
1. La conscience rend possible la connaissance de soi
a. Se connaître soi-même est le principe
de toute sagesse
Chacun aspire à savoir qui il est. Il semble que
ce soit la condition essentielle pour mener une
existence sensée et cohérente. En
l'absence de cette connaissance, je cours le risque de
m'égarer, d'entreprendre des projets ou de tenir
des discours dans lesquels demain je ne me
reconnaîtrai plus. Ne pas se connaître ou
se faire des illusions sur soi conduit
inévitablement à l'échec.
b. La conscience est équivalente à la
pensée
C'est parce que je ne coïncide pas parfaitement avec
moi-même à la façon d'un objet que je
peux me connaître. Or Descartes a fait la
démonstration que ce pouvoir de penser et de se penser est
fondé sur une certitude inébranlable.
Autrement dit, la conscience de soi en tant
qu'être pensant est le socle sur lequel
repose toute recherche de la vérité.
c. L'introspection comme outil de connaissance de
soi
Cela ne suffit pas à me faire connaître
qui je suis mais seulement à savoir que je
suis. Pourtant, la conscience
est aussi perception de que je vis et de ce
que cela suscite en moi, des pensées, des
désirs, des émotions... Il suffirait donc
que je m'observe moi-même pour pouvoir
m'analyser et me comprendre.
2. La conscience ne favorise pas une connaissance de soi
objective
a. Les limites de l'introspection
L'introspection n'est pas
un instrument de connaissance de soi satisfaisant. En
effet, il est toujours possible que lorsque
j'interprète mes actes ou mes sentiments,
je me trompe. Je peux voir du courage là
où ne réside que de la vanité, ou
bien de la générosité où ne
se trouve que le souci de reconnaissance.
b. Les illusions de l'amour-propre
Cette absence
d'objectivité lorsque je m'examine
moi-même s'explique en partie par le fait que je
suis à la fois juge et partie. Je me juge
moi-même et dans cette situation l'amour-propre
interfère. Comment dès lors acquérir
suffisamment de distance pour me considérer
comme je suis et non comme je souhaiterais
être ?
c. Le conditionnement social de la conscience
De plus, Marx a
montré que la conscience n'est pas
« pure » et première. Ce
qui est premier et qui détermine notre
conscience ce sont les conditions matérielles de notre
existence. Dès lors, parvenir à
la connaissance de soi ne repose pas sur la conscience de
soi mais sur la mise au jour des rapports
déterminés qui constituent notre être
social. « Ce n'est pas la conscience des
hommes qui détermine leur existence, c'est au
contraire leur existence
sociale qui détermine leur
conscience » (Avant-propos à la
Critique de l'économie politique).
3. La découverte de l'inconscient rend possible
l'émergence d'une conscience plus lucide
a. La conscience est déterminée par
l'inconscient
Freud a
été plus loin encore dans ce travail de
destitution de la conscience comme instrument de
connaissance de soi. Il a montré que la
conscience est déterminée par le
jeu de forces inconscientes
qu'elle ignore. La psychanalyse, écrit Freud,
peut dire au moi : « Il n'y a rien
d'étranger qui se soit introduit en toi, c'est
une part de ta propre vie psychique qui s'est
soustraite à ta connaissance et à la
maîtrise de ton vouloir. » (Essais de
psychanalyse appliquée, « Une
difficulté de la psychanalyse », 1917).
b. La démarche de Freud nous donne les moyens
de mieux nous connaître
Il reste que même si « le moi n'est plus
maître dans sa propre maison », selon
l'expression de Freud,
le travail de celui-ci a contribué à
porter à la conscience cet état de
fait. Autrement dit, nous sommes conscients de subir les déterminations
de notre inconscient. Cela ne suffit pas
à délivrer une connaissance de soi, mais
cela ouvre la voie à un travail sur soi
sans cela impossible.
c. La conscience réformée introduit
à une connaissance de soi partielle mais lucide
Nous devenons plus lucides sur nous-mêmes
parce que nous parvenons à mettre à jour
les déterminations qui pèsent sur nous,
y compris sur notre conscience. Ce faisant, même si
nous découvrons que la
transparence à soi est impossible, nous
parvenons à réformer notre conscience et
à la libérer partiellement des illusions
qu'elle nourrit. « Là où le
ça est, le je doit
advenir », écrit Freud. Autrement dit, il s'agit de
permettre à un sujet lucide de se
constituer à la place d'un être
déterminé par des pulsions qui le
gouvernent sans qu'il le sache.