1. Un homme retranché
De son vrai prénom Etienne, Stéphane
Mallarmé naît en 1842 à Paris. Très
tôt attiré par les lettres – il
écrit des poèmes dès son
enfance –, il devient
professeur d'anglais
en 1863, métier qu'il exerce sans grand enthousiasme
ni réussite à Tournon, Besançon, Avignon
puis enfin à Paris.
Sa passion pour l'écriture naît de sa lecture
bouleversante du recueil Les Fleurs du mal
(1857) de Charles Baudelaire et des œuvres
d'Edgar Poe dont la noirceur fascine ce jeune homme
profondément marqué par la mort de sa mère
et de sa sœur.
Dès 1863, il se met à écrire et,
jusqu'à sa mort en 1898, seule l'écriture
donne un peu d'éclat à son existence
médiocre, professionnellement monotone et
sentimentalement peu troublée.
2. Un poète et une œuvre discrets
a. Ses premières œuvres
Les premières œuvres poétiques de
Mallarmé, publiées dans des revues parnassiennes,
sont largement
influencées par l'esthétique
baudelairienne : il y reprend les thèmes de la
laideur du réel, de la fuite par le voyage et surtout
celui de l'aspiration vers un idéal porteur de
sérénité.
Mais c'est en 1863-1864, à la faveur d'une crise
spirituelle, que Mallarmé se lance dans une autre
quête poétique qui, exigeante, sera souvent
menacée par le doute et l'impuissance. Il écrit
L'Après-midi
d'un faune (1876), long poème
lyrique, et commence la rédaction de l'œuvre de sa
vie, Hérodiade
(publié inachevé dans Le Parnasse
contemporain en 1869), drame lyrique inspiré de
la légende biblique de Salomé
– déjà reprise dans le conte
intitulé Hérodias (publié
en revue en 1877) de Gustave Flaubert et par le
peintre Gustave Moreau dans ses tableaux L'Apparition et
Salomé (1876) – qui symbolise le refus
de la vie et le désir de pureté.
b. Le chef de file du symbolisme
Hérodiade et
L'Après-midi d'un faune
ne trouvent pas beaucoup d'écho auprès du grand
public, mais suscitent l'admiration des artistes de
l'époque comme le peintre Edouard Manet ou le compositeur
Claude Debussy et surtout celle de poètes
symbolistes comme Henri de Régnier, ou celle encore de
jeunes écrivains et poètes comme Paul
Valéry, André Gide ou Paul Claudel. Se
réunissant les mardis, chez Mallarmé, ils font de
lui leur chef de file et trouvent en son esthétique un
nouveau souffle poétique. Enfin, lorsque Joris-Karl
Huysmans fait de lui le poète préféré
du héros Des Esseintes, dans son œuvre
À Rebours (1884), et lorsque Paul Verlaine le
cite dans ses Poètes maudits (1883-1884),
toute l'attention du monde littéraire se porte sur lui.
c. La maturité poétique
La conception poétique de Mallarmé est si
contraignante et si exigeante en termes de perfection que la
production du poète est faible : entre 1887
et 1897, il écrit le recueil Poésies (1887 et 1899) composé
de 35 poèmes, Album
de vers et de prose (1887),
Divagations (1897) et
« Un coup
de dés jamais n'abolira
le hasard » (poème paru dans
la revue Cosmopolis en 1897), puis traduit des
poèmes d'Edgar Poe (1888). Avant de mourir, il
présente son œuvre comme des
« études en vue de mieux, comme on essaie les
becs de sa plume avant de se mettre à
l'œuvre ».
3. La poésie de Mallarmé
L'œuvre poétique de Mallarmé apparaît
profondément originale ; à la croisée
des mouvements du Parnasse et du symbolisme, l'écrivain
développe une conception nouvelle du vers et du mot.
a. L'influence parnassienne
Mallarmé est un poète qui recherche la
perfection et cette perfection est tout d'abord
formelle : ainsi, il adopte souvent la forme contraignante
du sonnet et pense que le rôle de la poésie n'est
pas de signifier quelque chose mais d'exister comme un objet
idéal, un fragment de perfection tranchant dans
l'impureté du monde.
Ainsi, le travail qu'il s'assigne est de créer un
nouveau langage qui échappe à toutes ses
fonctions triviales, comme « narrer, enseigner,
même décrire » (« Crise
de vers », Divagations, 1897), et de « donner
un sens plus pur aux mots de la tribu »
(« Le Tombeau d'Edgar Poe »,
1877).
Au risque de devenir obscur, voire hermétique,
Mallarmé conçoit le vers non plus comme une
juxtaposition de termes, mais comme un tout absolu :
« Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot
total, neuf, étranger à la langue et comme
incantatoire. » (« Crise
de vers ».)
b. Le symbolisme de Mallarmé
Refusant que le langage poétique soit une description
particulière du réel, il souhaite que la
poésie soit suggestion et symbole. Il affirme qu'il
faut : « Peindre, non la chose, mais l'effet
qu'elle produit. » (Lettre à Cazalis du
30 octobre 1864.) Ainsi, c'est non seulement par le jeu de
sonorités, de sens et de rythmes, mais aussi par la
substance même du vers que la réalité est
évoquée.
Mais cette réalité doit être une chose
abstraite. Il explique sa démarche dans « Crise
de vers » : il dit qu'il veut
« transposer un fait de nature en sa presque
disparition vibratoire selon le jeu de la parole [...] pour
qu'en émane, sans la gêne d'un proche ou concret
rappel, la notion pure » et prend l'exemple de
la fleur : « Je dis : une fleur ! et,
hors de l'oubli où ma voix relègue aucun contour,
en tant que quelque chose d'autre que les calices sus,
musicalement se lève, idée même et suave,
l'absente de tous bouquets. »
L'essentiel
Mallarmé est un poète exigeant mais
difficile de la fin du
XIXe siècle : peu productif, il
laisse une œuvre poétique à la fois
restreinte et inachevée dans laquelle se
développe une conception parnassienne et
symboliste du vers.