1. Maîtres et valets dans la tradition comique
a. Le modèle latin
Les auteurs latins de l'Antiquité ont
inventé le type du
servus currens, sorte de
valet-esclave courant afin de tromper tous ceux qui
possèdent pouvoir et argent, c'est-à-dire les
maîtres. Il est caractérisé par la ruse, le
goût du mensonge et l'art de la parole.
b. La tradition italienne
La comédie française du
XVIIIe siècle est influencée par la
commedia dell'arte,
théâtre comique italien d'origine
populaire. Ce genre, qui fait la part belle
à l'improvisation, met en scène des personnages aux
rôles prédéfinis et
stéréotypés tels que
les zanni ou serviteurs.
Arlequin, lui, est un valet à la fois
naïf, grossier et fourbe, mais il utilise toujours sa ruse
pour faire triompher l'amour.
c. La tradition de Molière
Scapin, le valet des Fourberies de
Scapin (1671), est le génie de l'action, spirituel et
vif ; il prend part à l'intrigue amoureuse et est
capable de tenir tête à son maître
Léandre. A côté, Sganarelle
que l'on retrouve dans de nombreuses farces Le Cocu
imaginaire, L'Amour médecin, mais aussi dans
Dom Juan apparaît comme un personnage plus
burlesque, car il fait rire le public à ses dépens,
mais sans être dépourvu de bon sens.
2. Les héritages dans la comédie
du XVIIIe siècle
a. Maîtres et valets chez Marivaux
Marivaux (1688-1763) reprend la figure
d'Arlequin de la
commedia dell'arte. A l'origine ce valet était
facilement reconnaissable grâce à son costume
coloré et son massque de cuir. Il se distinguait par ses
ruses, ses pirouettes et sa gourmandise. Sa simplicité
rustique fait rire par son décalage avec le raffinement de
la société mondaine.
Ce personnage évolue sous la plume de Marivaux : il
devient moins grossier et plus subtil. Le personnage ne se
cantonne plus au rôle de stratège
dans les intrigues amoureuses ; mais devient dans
La Double Inconstance (1723), le
défenseur des valeurs du monde paysan,
c'est-à-dire celles de la
simplicité et du
naturel, par opposition aux valeurs de la cour
fondées sur le jeu des apparences et des
préséances.
Dans L'Ile des esclaves (1725), les valets prennent
même la place des maîtres : ils veulent leur
donner une leçon pour les rendre
meilleurs.
Dans Le Jeu de l'amour et du hasard (1730), alors que
leurs maîtres, Silvia et Dorante, se sont
travestis en valets pour mieux éprouver
leur amour, Lisette
et Arlequin leur
montrent que l'aveu sincère vaut mieux que l'amour-propre
de leur condition qui répugne à une
mésalliance.
b. Maîtres et valets chez Beaumarchais
Chez Beaumarchais (1732-1799), le couple Figaro-le comte Almaviva domine dans Le Barbier
de Séville (1775) et Le Mariage de
Figaro (1784). Complice de son maître
dans la première pièce - puisqu'il aide le
comte à enlever Rosine, la jeune orpheline dont il est
tombé amoureux -, Figaro devient ensuite son
rival dans la seconde puisque son maître
convoite Suzanne que
Figaro doit épouser.
Dans L'Autre Tartuffe ou la Mère coupable (1792),
dernier volet de la trilogie, Figaro apparaît comme
l'adjuvant du comte Almaviva et de la comtesse. En effet, il
contribue à démasquer et à faire chasser
Bégearss, un
scélérat qui veut s'emparer de la fortune du comte
et éloigner la comtesse de son époux.
3. Les rapports maître-valet
a. Le valet confident
Le valet révèle les sentiments cachés de son
maître et l'aide, grâce à ses ruses, à
mener à bien sa conquête amoureuse.
Il est à la fois le complice et l'ami de
son maître. Le confident, c'est Trivelin, le valet du chevalier dans
La Fausse Suivante ou le Fourbe puni (1724), ou
encore Dubois,
l'ancien valet de Dorante passé au service d'Araminte,
dans Les Fausses Confidences (1737) de
Marivaux ; c'est aussi Figaro, l'ancien valet du comte
Almaviva, dans Le Barbier de Séville
de Beaumarchais.
b. La rivalité entre le maître et le valet
Dans les intrigues amoureuses, le maître
séducteur est parfois le rival du valet.
Par exemple, dans Le Mariage de Figaro, le comte
Almaviva convoite
Suzanne dont Figaro
est amoureux ; et inversement chez Lesage, dans Crispin,
rival de son maître (1707), Crispin veut voler la dot
d'Angélique, la femme que Valère, son maître, aime et
veut épouser.
c. Une opposition de classe
Au XVIIIe siècle, la condition du
maître et celle du valet reflètent une
réalité sociale. Ce couple incarne
l'inégalité de la
société de l'Ancien Régime,
dans laquelle le maître, représentant des puissants,
domine ; et le valet, considéré comme
inférieur, exprime l'impossibilité de se faire une
place dans un monde où la naissance prime sur le
mérite. Le valet, comme Figaro, devient un porte-parole
prérévolutionnaire : il
critique les ridicules, dénonce les travers du
maître et, parfois, essaie de le conduire vers la sagesse.
(Parce que vous êtes un grand seigneur, vous vous
croyez un grand génie...Noblesse, fortune, un rang, des
places, tout cela rend si fier ! Qu'avez-vous fait pour tant de
biens ? / Vous vous êtes donné la peine de
naître et rien de plus.) !
L'essentiel
Le 18e siècle reprend l’opposition
maître-valet héritée de la comédie
latine et italienne, tout en lui ajoutant une dimension
critique. La confrontation maître-valet
révèle ainsi les tensions qui règnent au
sein de la société inégalitaire de
l’Ancien Régime et qui est de plus en plus
contestée..