La Chapelle du Rosaire des dominicaines de Vence
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Lorsqu'en 1946 soeur Jacques-Marie revient voir Matisse, il corrige la maquette qu'elle a conçue pour les vitraux, mais ne songe pas immédiatement à les faire lui-même. C'est à l'invitation du frère Rayssiguier, novice dominicain, que Matisse décide de travailler non seulement à l'élaboration des vitraux, mais à la réalisation de la chapelle toute entière. Il se lance dans cette entreprise fin 1947, pour y consacrer toute son énergie pendant trois ans. Il en concevra l'architecture, le décor, l'autel, les objets de cultes, les vêtements sacerdotaux.
Il y aura donc deux nefs qui se croisent, l'une plus longue que l'autre, l'autel étant disposé en oblique par rapport aux deux axes. La chapelle sera blanche à l'extérieur, en accord avec les habitations environnantes, comme à l'intérieur, où les murs de carrelage blanc, le plafond et le sol en marbre de Carrare reçoivent les jeux de lumière colorée émanant des vitraux.
Matisse explique ainsi vouloir « prendre un espace clos de proportions très réduites et lui donner par le seul jeu des couleurs et des lignes des dimensions infinies. » Les vitraux, mais aussi le décor de « dessins muraux » en noir sur blanc, auront donc une importance majeure dans le déploiement de cet espace infini, car ils réalisent, avec l'architecture, l'unité parfaite qu'a recherchée Matisse toute sa vie : unité des formes, de la lumière, des couleurs, de la ligne et du volume, qui crée un sentiment où l'on ne sent « pas plus les murs, que le poisson la mer ».
Il propose en 1948 une évocation de la Jérusalem céleste pour la fenêtre géminée du sanctuaire, ainsi que les Abeilles, dix-neuf hautes et étroites fenêtres ouvrant les murs Sud-Est ; ces deux compositions resteront à l'état de maquette.
En 1949, Matisse réalise une autre maquette, toujours de gouaches découpées, mais cette fois-ci en grandeur nature : le Vitrail bleu (Musée national d'art moderne, Paris), soit six fenêtres pour la nef, neuf pour le choeur et deux pour le sanctuaire. Dans les vitraux du sanctuaire, un fond de rectangles à dominantes bleues et vertes, plus quelques rouges, jaunes et violets, est animé de motifs de feuilles profondément échancrées dans les mêmes couleurs. Ces feuilles se retrouvent dans les autres vitraux, où elles occupent tout l'espace. Cette seconde mouture devra cependant être intégralement reprise car elle n'intègre pas un élément structurel indispensable à tout vitrail : les barlotières, des ferrures horizontales qui soutiennent l'ensemble et qui auraient rompu l'élan vertical du Vitrail bleu.
A son habitude, Matisse reprend intégralement la composition, en intégrant, dès le départ, la présence des barlotières. Cette ultime version sera l'Arbre de vie. Les rectangles y sont remplacés par les ramifications plates et ovales des cactus dit « à raquettes ». Dans les deux fenêtres du sanctuaire, les mêmes feuilles échancrées que dans le Vitrail bleu se découpent sur les raquettes. La nef et le choeur sont éclairés par quinze fenêtres étroites dans les vitraux desquelles des motifs de feuilles longues à deux pointes sont organisées en oblique et selon une apparente symétrie, ce qui confère à l'ensemble une grande sobriété.
La gamme des couleurs a également été réduite à trois : bleu outremer, vert bouteille et jaune citron, ce dernier ayant nécessité de nombreux essais avant que la nuance juste ne soit obtenue ; le jaune sera dépoli, tandis que le vert et le bleu resteront transparents. Matisse a mûrement réfléchi sur les rapports de proportions et de contrastes entre ces couleurs, afin d'obtenir des effets précis de coloration de la lumière. En effet, le mélange optique des couleurs des vitraux qui se fait sur les surfaces blanches de l'intérieur tend à un rose violacé inattendu.
Partant d'exemples glanés dans toute l'histoire de l'art, Matisse finit par dessiner la Vierge à l'Enfant à l'aide d'un contour unique ; le Saint Dominique est presque résumé au drapé de son habit ; leurs visages sont de simples ovales vides, et invitent immanquablement au recueillement. Le Chemin de Croix à fait l'objet de la même concentration, qui traduit cette fois-ci, avec un maximum d'intensité, la douleur et la passion. Sa disposition sur un seul mur, selon une composition ascendante, est apparue aux yeux de certains comme chaotique, parce que trop résumée. Mais un tel dépouillement recèle un ordre sous-jacent, qui culmine avec le Christ en croix, et fait de cette composition un des ultimes exemples de la synthèse expressive « matissienne ».
Matisse a aussi dessiné chaque élément de la chapelle, depuis la flèche (une croix en fer forgé qui monte à douze mètres de haut) jusqu'à l'autel de pierre ; crucifix de bronze, ciboire, chandelier, tabernacle, porte du confessionnal en bois ajouré, vêtements du culte (pale, étole et chasubles). Les cinq chasubles portent les couleurs respectives des moments de l'année liturgique : blanc, vert, violet, rouge, noir, sur lesquelles Matisse a ordonné ses propres accords de couleurs. Les vêtements joueront ainsi leur partition dans les jeux de couleurs de la chapelle. Leur conception, à partir de 1950 - quand la chapelle est à peu près achevée -, a demandé de nombreuses maquettes de gouaches découpées. Le 25 juin 1951, la chapelle est consacrée par l'évêque de Nice. Matisse, empêché par son état de santé, ne pourra y assister.
Son but avoué est de créer une oeuvre d'art totale, aboutissement de toute sa carrière, dans laquelle il s'investit corps et âme. Il en résultera une oeuvre parfaitement « matissienne », synthèse de tous les moyens d'expression dont dispose l'artiste : vitraux d'où naissent des harmonies colorées, dessins muraux aussi sobres qu'expressifs, disposition d'ensemble équilibrée qui invite au repos et au recueillement. Matisse dira de cette oeuvre : « j'ai fait cette chapelle avec le seul sentiment de m'exprimer à fond. J'ai eu là l'occasion de m'exprimer dans la totalité de la forme et de la couleur. »
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