L'avant-garde française des années 1920
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Objectif :
Mettre en évidence l'intérêt que suscite
le rythme cinématographique en France dans les
années 1920 à partir des nouvelles conceptions
d'un montage de moins en moins soumis aux lois du
récit.
En 1919, Abel Gance visionne
« Intolérance » de
Griffith. Fasciné par une telle œuvre, il
est particulièrement sensible au rythme.
Néanmoins, il pense avec d'autres artistes qu'il faut
aller encore plus loin, que le rythme doit être affranchi
des limites du récit et suivre la voie de la musique
pour trouver une pureté. En effet, la musique reste le
seul véritable art du rythme et Gance considère
le cinéma comme « la musique de la
lumière ». Sur ce modèle, il
réalise « La Roue » en
1923, l'œuvre emblématique de l'Avant-Garde
française des années 1920.
1. Premiers éléments
Si Gance propose avec « La Roue » une
oeuvre tout à fait exemplaire du cinéma
d'avant-garde dont il est un chef de file, un extrait peut
illustrer à lui seul les objectifs que se sont
fixés les grands artistes de ce courant. Dans cette
séquence, Gance filme un train en pleine vitesse pour exprimer
les émotions qui se
bousculent, à toute allure, dans l'esprit
d'un personnage.
Il aurait été possible de filmer ce train en plan séquence (les frères Lumière l'avaient déjà fait), mais la vitesse aurait été celle de la machine, pas celle du montage. Gance décide au contraire de fragmenter la scène en plusieurs plans et d'accroître l'impression de discontinuité du découpage en donnant aux plans contigus des compositions différentes (les rails, par exemple, ne traversent jamais le cadre de la même façon, le train ne parcourt pas non plus l'espace dans le même sens).
L'événement filmé est ainsi déréalisé et tous les plans qui le composent deviennent la matière première d'un montage très rapide : le montage accéléré. La vitesse n'est plus vraiment celle du train, mais très nettement celle du montage lui-même. Le cinéma n'imite plus le réel, mais il donne la sensation du réel au spectateur. La frénésie qui envahit le personnage est communiquée par la nouvelle ivresse du montage.
D'autres cinéastes comme Germaine Dulac s'intéressent plus directement à la dimension musicale d'un tel rythme. Elle s'emploie notamment à mettre en scène des partitions musicales en établissant des correspondances entre les mouvements de la musique et ceux de l'image. Mais cette correspondance est encore illustrative. Un morceau intitulé « Arabesque » sera incarné à l'écran par l'image de jets d'eau dessinant une arabesque. La musique investit le cinéma, mais le moment du rythme pur n'est pas encore arrivé.
Il aurait été possible de filmer ce train en plan séquence (les frères Lumière l'avaient déjà fait), mais la vitesse aurait été celle de la machine, pas celle du montage. Gance décide au contraire de fragmenter la scène en plusieurs plans et d'accroître l'impression de discontinuité du découpage en donnant aux plans contigus des compositions différentes (les rails, par exemple, ne traversent jamais le cadre de la même façon, le train ne parcourt pas non plus l'espace dans le même sens).
L'événement filmé est ainsi déréalisé et tous les plans qui le composent deviennent la matière première d'un montage très rapide : le montage accéléré. La vitesse n'est plus vraiment celle du train, mais très nettement celle du montage lui-même. Le cinéma n'imite plus le réel, mais il donne la sensation du réel au spectateur. La frénésie qui envahit le personnage est communiquée par la nouvelle ivresse du montage.
D'autres cinéastes comme Germaine Dulac s'intéressent plus directement à la dimension musicale d'un tel rythme. Elle s'emploie notamment à mettre en scène des partitions musicales en établissant des correspondances entre les mouvements de la musique et ceux de l'image. Mais cette correspondance est encore illustrative. Un morceau intitulé « Arabesque » sera incarné à l'écran par l'image de jets d'eau dessinant une arabesque. La musique investit le cinéma, mais le moment du rythme pur n'est pas encore arrivé.
2. La voie de l'abstraction
Marcel L'Herbier réalise
« El Dorado » avec les
mêmes objectifs rythmiques. Il filme notamment des
individus qui dansent : une idée du
rythme est donc déjà donnée par
le sujet de la séquence. Il utilise alors le flou,
les contours des personnages se troublent, ils perdent leur
individualité et disparaissent dans un nouvel
ensemble : la danse elle-même
représentée par un seul danseur, chaque
élément étant absorbé et
emporté dans un immense flux rythmique
général.
Le metteur en scène ira encore plus loin dans « L'Inhumaine ». C'est le montage seul qui prend alors en charge la totalité du rythme de plusieurs séquences. Certaines vitesses sont en effet exprimées par un montage rapide de plans complètement abstraits, entièrement noirs et entièrement blancs. On assiste alors au rejet du moindre motif capable de représenter la vitesse.
Le metteur en scène ira encore plus loin dans « L'Inhumaine ». C'est le montage seul qui prend alors en charge la totalité du rythme de plusieurs séquences. Certaines vitesses sont en effet exprimées par un montage rapide de plans complètement abstraits, entièrement noirs et entièrement blancs. On assiste alors au rejet du moindre motif capable de représenter la vitesse.
3. Élargissements
Les cinéastes de l'avant-garde française des
années 1920 exploitent donc largement les
ressources rythmiques du montage. Abel Gance,
toujours en quête de nouvelles expériences,
tentera même d'en repousser les limites pour donner
un nouveau souffle à cette musique de la
lumière. Son
« Napoléon » sera le
lieu privilégié de ces recherches. L'objectif
reste le même : donner au spectateur le
sentiment de vitesse en refusant le simple cinéma de
narration, de la continuité et de la
représentation (on n'exprime pas la vitesse en
filmant un objet qui va vite dans sa continuité et
en respectant l'unité de son mouvement).
Il explorera notamment les possibilités de la surimpression : l'écran reçoit jusqu'à 12 images en même temps. Le spectateur se retrouve alors dans l'incapacité d'identifier ce qui se passe précisément dans chaque image, mais il éprouve l'agitation générale qui caractérise la séquence. C'est le montage des surfaces.
Dans ce film, lors de certaines projections, un autre dispositif inédit est mis en place. Trois écrans montrent les points de vue différents d'une même scène (idée de simultanéité). C'est là aussi une forme de montage qui renouvelle le rythme.
Il explorera notamment les possibilités de la surimpression : l'écran reçoit jusqu'à 12 images en même temps. Le spectateur se retrouve alors dans l'incapacité d'identifier ce qui se passe précisément dans chaque image, mais il éprouve l'agitation générale qui caractérise la séquence. C'est le montage des surfaces.
Dans ce film, lors de certaines projections, un autre dispositif inédit est mis en place. Trois écrans montrent les points de vue différents d'une même scène (idée de simultanéité). C'est là aussi une forme de montage qui renouvelle le rythme.
L'essentiel
Avec le cinéma d'avant-garde des années 1920,
en France, le montage acquiert une nouvelle dimension,
rythmique et musicale. Ce courant a donné lieu
à de nombreuses expérimentations et a
rapidement visé une certaine pureté du rythme
cinématographique. L'époque
préfère l'abstraction au récit et au
motif. Cependant, les découvertes liées
à ce courant ont aussi avoué leurs limites et
le rythme pur n'était peut-être qu'une
illusion.
Ce courant a néanmoins révélé ou confirmé de nombreux artistes (Gance, Dulac, L'Herbier, Epstein, Grémillon) qui ont su approfondir les objectifs élémentaires de cette avant-garde. On peut retrouver certains échos de leur travail dans certaines des oeuvres expérimentales qui ont jalonné tout le XXe siècle (de Fischinger à Brakhage) et qui partagent pour la plupart un grand sens du rythme et de profondes qualités plastiques.
Ce courant a néanmoins révélé ou confirmé de nombreux artistes (Gance, Dulac, L'Herbier, Epstein, Grémillon) qui ont su approfondir les objectifs élémentaires de cette avant-garde. On peut retrouver certains échos de leur travail dans certaines des oeuvres expérimentales qui ont jalonné tout le XXe siècle (de Fischinger à Brakhage) et qui partagent pour la plupart un grand sens du rythme et de profondes qualités plastiques.
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