Cronenberg, Egoyan
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Objectif :
Appréhender le travail de deux des plus grands
cinéastes canadiens actuels par l'intermédiaire
de leur imaginaire et du montage qu'ils pratiquent ;
Déterminer, par-delà des différences
incontestables, une démarche qui leur serait commune.
David Cronenberg a commencé sa carrière à
Toronto dans les années 1970 avec des films peu
onéreux du circuit underground. L'absence de
production canadienne, le goût du cinéaste pour
la liberté de l'avant-garde new-yorkaise
(Mekas par exemple),
son mépris du professionnalisme et
l'émulation artistique de son cercle
d'amis justifie ses débuts.
Cronenberg empruntera des voies plus commerciales par la suite, non pas pour se plier aux exigences de producteurs autoritaires (ce qu'il ne fera jamais, il refusera les projets lucratifs avec Hollywood), mais parce qu'il a toujours accordé au scénario une grande importance et parce qu'il est persuadé que le public, pour s'investir dans des œuvres difficiles, doit être séduit par des histoires divertissantes et captivantes.
Ses recherches esthétiques sur les transformations du corps (il est le cinéaste de la chair) ont inspiré nombre d'artistes contemporains (Atom Egoyan). Egoyan, réalisateur canadien d'origine arménienne, conçoit des œuvres vidéo, des installations, réservées à des musées ou à des expositions.
Ses films peuvent aussi faire l'objet d'expériences diverses sur l'image, ce qui ne les empêche pas d'être structurés par de riches histoires.
Egoyan et Cronenberg ont choisi la voie du récit pour en faire le territoire d'expériences esthétiques plus importantes. Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui reposent sur le montage.
Cronenberg empruntera des voies plus commerciales par la suite, non pas pour se plier aux exigences de producteurs autoritaires (ce qu'il ne fera jamais, il refusera les projets lucratifs avec Hollywood), mais parce qu'il a toujours accordé au scénario une grande importance et parce qu'il est persuadé que le public, pour s'investir dans des œuvres difficiles, doit être séduit par des histoires divertissantes et captivantes.
Ses recherches esthétiques sur les transformations du corps (il est le cinéaste de la chair) ont inspiré nombre d'artistes contemporains (Atom Egoyan). Egoyan, réalisateur canadien d'origine arménienne, conçoit des œuvres vidéo, des installations, réservées à des musées ou à des expositions.
Ses films peuvent aussi faire l'objet d'expériences diverses sur l'image, ce qui ne les empêche pas d'être structurés par de riches histoires.
Egoyan et Cronenberg ont choisi la voie du récit pour en faire le territoire d'expériences esthétiques plus importantes. Parmi celles-ci, nombreuses sont celles qui reposent sur le montage.
1. Transcender le réel chez Cronenberg
Cronenberg et Egoyan accordent beaucoup d'importance aux
scénarios. Si le premier apprécie
particulièrement les histoires en marge du
réel, dans l'horreur par exemple
(Frissons en 1975,
Rage en 1976,
La
mouche en 1986), ou dans le
fantastique (eXistenZ en 1999,
The Dead
zone en 1983), l'autre
préfère les récits
réalistes, les drames familiaux, parfois
à la limite du fait divers (De beaux lendemains
en 1997, Le voyage de
Felicia en 1999).
Pourtant, le même sentiment d'inquiétante étrangeté pèse sur leurs productions.
A l'examen des œuvres de Cronenberg, on remarque que la monstruosité est largement métaphorique et que les mondes dépeints ont une origine psychique. Ce ne sont pas des mondes strictement objectifs, ni des zones absolument mentales, mais des espaces ambigus où le réel et l'imaginaire se rejoignent. Le réel fournit et impose aux personnages des transformations drastiques qui affectent leur inconscient (la technologie dans Crash, les drogues dans Le Festin nu d'après Burroughs, les réseaux d'images dans Videodrome).
En retour, les sentiments de l'inconscient (désir, fantasme, angoisse) se projettent dans le monde pour le contaminer. C'est l'une des propriétés du cinéma de Cronenberg : l'angoisse ou le désir que suscite le monde le transforment à leur tour. Le désir de jouer dans le monde transforme le monde en jeu (eXistenZ, 1999), les fantasmes sur la nouvelle technologie muent le monde en fantasme (Crash, 1996).
C'est pourquoi le regard importe autant : il est le médiateur de ces transformations. Le réel est vu, il passe par le filtre d'une conscience qui, puisqu'elle projette sur lui désirs et angoisses, le transforme en retour (« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs », André Bazin).
De ce point de vue, le premier accident de voiture dans Crash est éloquent. Après la collision, James Ballard est dans sa voiture, il regarde la jeune femme dans l'autre véhicule. Des plans de son visage alternent, grâce au champ-contrechamp, avec des images très précises : la chair du corps (gros plan sur sa main) qui a traversé les deux pare-brises et se trouve désormais près de lui, le sigle métallique de sa propre voiture et un sein découvert par la jeune femme quand elle enlève sa ceinture de sécurité. A partir de l'accident, son regard impose une nouvelle logique du désir (le sein découvert) fondée sur l'association de la chair et du métal (logique qui réapparaîtra dans le film). Il voit le monde et le recrée.
Cette recréation du monde est prise en charge par le montage (champs-contrechamps, essentiellement).
Chez Cronenberg, le montage permet au réel de se transcender, d'aller au-delà de lui-même. Il tisse un lien étroit entre deux états (le réel d'un côté et le fantasme, l'hallucination, ou la vision prophétique de l'autre) en favorisant leur confusion dans un troisième état inédit, ni proprement réel, ni complètement irréel (il tient des deux à la fois). Le raccord est à la base de ce troisième état, il établit une continuité entre des mondes prétendus différents, hétérogènes, amplifiant les liens entre eux : ainsi s'impose la première vision de Johnny Smith dans le réel de The Dead zone (le raccord contamine le réel par la vision). Dans eXistenZ, c'est toujours par le raccord qu'Allegra Geller et Ted Pikul franchissent les mondes d'eXistenZ, Max Renn intègre le monde cathodique de Videodromme (1982) de la même façon.
Pourtant, le même sentiment d'inquiétante étrangeté pèse sur leurs productions.
A l'examen des œuvres de Cronenberg, on remarque que la monstruosité est largement métaphorique et que les mondes dépeints ont une origine psychique. Ce ne sont pas des mondes strictement objectifs, ni des zones absolument mentales, mais des espaces ambigus où le réel et l'imaginaire se rejoignent. Le réel fournit et impose aux personnages des transformations drastiques qui affectent leur inconscient (la technologie dans Crash, les drogues dans Le Festin nu d'après Burroughs, les réseaux d'images dans Videodrome).
En retour, les sentiments de l'inconscient (désir, fantasme, angoisse) se projettent dans le monde pour le contaminer. C'est l'une des propriétés du cinéma de Cronenberg : l'angoisse ou le désir que suscite le monde le transforment à leur tour. Le désir de jouer dans le monde transforme le monde en jeu (eXistenZ, 1999), les fantasmes sur la nouvelle technologie muent le monde en fantasme (Crash, 1996).
C'est pourquoi le regard importe autant : il est le médiateur de ces transformations. Le réel est vu, il passe par le filtre d'une conscience qui, puisqu'elle projette sur lui désirs et angoisses, le transforme en retour (« Le cinéma substitue à notre regard un monde qui s'accorde à nos désirs », André Bazin).
De ce point de vue, le premier accident de voiture dans Crash est éloquent. Après la collision, James Ballard est dans sa voiture, il regarde la jeune femme dans l'autre véhicule. Des plans de son visage alternent, grâce au champ-contrechamp, avec des images très précises : la chair du corps (gros plan sur sa main) qui a traversé les deux pare-brises et se trouve désormais près de lui, le sigle métallique de sa propre voiture et un sein découvert par la jeune femme quand elle enlève sa ceinture de sécurité. A partir de l'accident, son regard impose une nouvelle logique du désir (le sein découvert) fondée sur l'association de la chair et du métal (logique qui réapparaîtra dans le film). Il voit le monde et le recrée.
Cette recréation du monde est prise en charge par le montage (champs-contrechamps, essentiellement).
Chez Cronenberg, le montage permet au réel de se transcender, d'aller au-delà de lui-même. Il tisse un lien étroit entre deux états (le réel d'un côté et le fantasme, l'hallucination, ou la vision prophétique de l'autre) en favorisant leur confusion dans un troisième état inédit, ni proprement réel, ni complètement irréel (il tient des deux à la fois). Le raccord est à la base de ce troisième état, il établit une continuité entre des mondes prétendus différents, hétérogènes, amplifiant les liens entre eux : ainsi s'impose la première vision de Johnny Smith dans le réel de The Dead zone (le raccord contamine le réel par la vision). Dans eXistenZ, c'est toujours par le raccord qu'Allegra Geller et Ted Pikul franchissent les mondes d'eXistenZ, Max Renn intègre le monde cathodique de Videodromme (1982) de la même façon.
2. La mémoire
Chez d'Atom Egoyan comme chez Cronenberg, une place
fondamentale est accordée à
l'intériorité des personnages. Ni
l'un ni l'autre ne sont toutefois spécialistes du
portrait psychologique.
L'intérêt d'Egoyan pour le mystérieux apporte une atmosphère fantastique au sein de son oeuvre, où le montage est décisif. Ici, ce n'est plus l'image irréelle qui contamine le réel, c'est plutôt l'image du passé qui court-circuite l'image actuelle.
L'efficacité du montage repose sur le fait que l'image passée ne se présente jamais comme telle. Dans Exotica (1994), l'histoire est parasitée par des images étranges et imprécises : des espaces verts sont parcourus par des personnages vus de loin. Elles sont fragmentaires et se précisent au cours de leurs apparitions, les personnages sont de plus en plus reconnaissables par le spectateur.
Parallèlement, le récit principal révèle ses enjeux. Les protagonistes sont instaurés : une strip-teaseuse et l'homme qui anime son show jouent de toute évidence un rôle important. On comprend progressivement que les images furtives appartiennent au passé (on les resitue peu à peu), elles présentent la rencontre de ces deux personnages survenue lors de la recherche d'une jeune fille disparue.
C'est le montage de ces images étrangères à la diégèse initiale qui leur donne un caractère onirique.
De beaux lendemains met à l'oeuvre le même procédé : les plans du couple allongé sur le lit sont incompréhensibles (et donc troublants) jusqu'à ce que l'on comprenne qu'il s'agit d'un événement passé décisif pour le héros (un moment de plénitude menacé par un danger : il devra sauver la vie de sa fille en réalisant une trachéotomie.
Au contraire, avec Family viewing (1987), les images se distribuent selon deux régimes : la vidéo et le film pelliculaire. La première est réservée aux scènes familiales (le fils, le père et la belle-mère, à leur domicile) et aux souvenirs filmés par le père (la famille, autrefois), la seconde aux autres séquences (péripéties du fils).
Le montage mêle habilement ces types d'images afin que le passé hante le présent. Comme chez Cronenberg, des champs-contrechamp s'imposent entre deux images, et c'est bien le passé qui se réintroduit activement dans le présent et qui interfère sur lui.
L'intérêt d'Egoyan pour le mystérieux apporte une atmosphère fantastique au sein de son oeuvre, où le montage est décisif. Ici, ce n'est plus l'image irréelle qui contamine le réel, c'est plutôt l'image du passé qui court-circuite l'image actuelle.
L'efficacité du montage repose sur le fait que l'image passée ne se présente jamais comme telle. Dans Exotica (1994), l'histoire est parasitée par des images étranges et imprécises : des espaces verts sont parcourus par des personnages vus de loin. Elles sont fragmentaires et se précisent au cours de leurs apparitions, les personnages sont de plus en plus reconnaissables par le spectateur.
Parallèlement, le récit principal révèle ses enjeux. Les protagonistes sont instaurés : une strip-teaseuse et l'homme qui anime son show jouent de toute évidence un rôle important. On comprend progressivement que les images furtives appartiennent au passé (on les resitue peu à peu), elles présentent la rencontre de ces deux personnages survenue lors de la recherche d'une jeune fille disparue.
C'est le montage de ces images étrangères à la diégèse initiale qui leur donne un caractère onirique.
De beaux lendemains met à l'oeuvre le même procédé : les plans du couple allongé sur le lit sont incompréhensibles (et donc troublants) jusqu'à ce que l'on comprenne qu'il s'agit d'un événement passé décisif pour le héros (un moment de plénitude menacé par un danger : il devra sauver la vie de sa fille en réalisant une trachéotomie.
Au contraire, avec Family viewing (1987), les images se distribuent selon deux régimes : la vidéo et le film pelliculaire. La première est réservée aux scènes familiales (le fils, le père et la belle-mère, à leur domicile) et aux souvenirs filmés par le père (la famille, autrefois), la seconde aux autres séquences (péripéties du fils).
Le montage mêle habilement ces types d'images afin que le passé hante le présent. Comme chez Cronenberg, des champs-contrechamp s'imposent entre deux images, et c'est bien le passé qui se réintroduit activement dans le présent et qui interfère sur lui.
L'essentiel
Malgré des différences incontestables, David
Cronenberg et Atom Egoyan partagent des objectifs communs
(révéler quelque chose de l'intime :
l'inconscient ou le secret) et leurs films diffusent la
même atmosphère
étrange.
Celle-ci naît chez l'un et chez l'autre de la rencontre de deux dimensions, de deux mondes hétérogènes : le réel et le fantasme (dans son sens le plus large) ou bien le présent et le passé.
Le montage assure ces rencontres, mais il fait bien plus que cela. Il encourage la construction d'un espace intangible (le film lui-même) mais très troublant où réel et fantasme se confondent, où présent et passé cohabitent.
Celle-ci naît chez l'un et chez l'autre de la rencontre de deux dimensions, de deux mondes hétérogènes : le réel et le fantasme (dans son sens le plus large) ou bien le présent et le passé.
Le montage assure ces rencontres, mais il fait bien plus que cela. Il encourage la construction d'un espace intangible (le film lui-même) mais très troublant où réel et fantasme se confondent, où présent et passé cohabitent.
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