Peut-on interpréter un fait de plusieurs manières ?
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Il est d’emblée nécessaire de relier les
termes d’interprétation,
d’explication et de compréhension.
Pour expliquer ou comprendre un fait, nous avons
nécessairement recours à l’explication et
à la compréhension.
Nous rencontrons de surcroît quelques difficultés sémantiques, lorsque nous analysons tous ces termes. Établissant qu’il est communément admis qu’« explication » et « interprétation » relèvent de deux procédés distincts, nous devons toutefois admettre que ces procédés puissent être complémentaires.
Nous rencontrons de surcroît quelques difficultés sémantiques, lorsque nous analysons tous ces termes. Établissant qu’il est communément admis qu’« explication » et « interprétation » relèvent de deux procédés distincts, nous devons toutefois admettre que ces procédés puissent être complémentaires.
1. Les définitions en présence
a. La nature de l'interprétation
En effet, si, dans le domaine des sciences de l’homme, les
auteurs ont recours, par l’intermédiaire de
la compréhension, à
l’«interprétation» des faits
(faits historiques, faits sociaux, faits
psychologiques), c’est également dans
l’intention de pouvoir les expliquer et de
les rendre intelligibles
(c’est-à-dire saisissables par
l’intelligence).
On a donc tendance à identifier finalement la compréhension et l’interprétation d’une part (il faut interpréter certains faits pour les comprendre), et la compréhension et l’explication d’autre part (si nous voulons comprendre tel ou tel phénomène, c’est pour tenter de l’expliquer, d’en rendre compte). D’ailleurs, Max Weber montre que pour expliquer les phénomènes naturels, le chercheur à recours à la « compréhension » : mais il s’agit toutefois d’une compréhension « médiate », puisqu’elle passe par l’intermédiaire de concepts ou de relations (voir aussi Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique). Pour ce qui concerne les faits sociaux en revanche, la compréhension est immédiate : le professeur comprend le comportement des étudiants qui suivent son cours, le voyageur comprend pourquoi le chauffeur de taxi s’arrête devant un feu rouge. Il n’a pas besoin de constater combien de chauffeurs s’arrêtent devant les feux rouges pour comprendre pourquoi ils le font.
On a donc tendance à identifier finalement la compréhension et l’interprétation d’une part (il faut interpréter certains faits pour les comprendre), et la compréhension et l’explication d’autre part (si nous voulons comprendre tel ou tel phénomène, c’est pour tenter de l’expliquer, d’en rendre compte). D’ailleurs, Max Weber montre que pour expliquer les phénomènes naturels, le chercheur à recours à la « compréhension » : mais il s’agit toutefois d’une compréhension « médiate », puisqu’elle passe par l’intermédiaire de concepts ou de relations (voir aussi Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique). Pour ce qui concerne les faits sociaux en revanche, la compréhension est immédiate : le professeur comprend le comportement des étudiants qui suivent son cours, le voyageur comprend pourquoi le chauffeur de taxi s’arrête devant un feu rouge. Il n’a pas besoin de constater combien de chauffeurs s’arrêtent devant les feux rouges pour comprendre pourquoi ils le font.
b. Que signifie « comprendre » ?
En outre, dans le domaine des sciences exactes (auquel
s’applique la méthode explicative,
que nous avons distinguée de la méthode
compréhensive), il est parfois
nécessaire d’avoir recours à la
compréhension, donc à
l’interprétation, voire à
l’imagination. Un phénomène,
qu’il soit naturel ou qu’il se produise en
laboratoire au cours d’expérimentations,
demande parfois à être
interprété pour être compris puis
expliqué. De plus, il n’est pas certain
que l’imagination, dans son versant
créatif, ne joue pas un rôle dans les
découvertes que font certains chercheurs ;
l’esprit créatif n'est pas que
l’apanage des artistes ou des romanciers.
Il est parfois nécessaire d’imaginer pour comprendre. C’est le rôle qu’on attribue parfois à l’intuition, qui permet de relier entre elles certaines données, de façon spontanée, sans que l’esprit suive obligatoirement une démarche rationnelle. Certes ces intuitions, qui sont celles des chercheurs, demandent ensuite à être expliquées, contrôlées, vérifiées. Nous avons parfois tendance à croire, en effet, aux vertus quelque peu « magiques » ou mystérieuses de l’intuition, qui s’apparenterait à une sorte d’instinct. Toutes les intuitions ne débouchent pas, cependant, sur des vérités.
Il faudrait, quoi qu’il en soit, formuler les bonnes hypothèses, ce qui finalement fait appel à l’imagination du chercheur. Inventer, c’est imaginer. Claude Bernard, médecin et physiologiste français (1813-1878), dans l’Introduction à la médecine expérimentale, rappelle que l’invention scientifique réside dans la création d’une hypothèse heureuse et féconde ; elle est donnée par le sentiment ou par le génie même du savant qui l’a créée (chapitre IV, Des obstacles philosophiques que rencontre la médecine expérimentale). Dans les dernières pages de l’ouvrage, Claude Bernard évoque l’« originalité créatrice » et la « spontanéité scientifique », pour dire qu’elles sont, dans la démarche scientifique, les qualités les plus précieuses pour un chercheur.
Il est parfois nécessaire d’imaginer pour comprendre. C’est le rôle qu’on attribue parfois à l’intuition, qui permet de relier entre elles certaines données, de façon spontanée, sans que l’esprit suive obligatoirement une démarche rationnelle. Certes ces intuitions, qui sont celles des chercheurs, demandent ensuite à être expliquées, contrôlées, vérifiées. Nous avons parfois tendance à croire, en effet, aux vertus quelque peu « magiques » ou mystérieuses de l’intuition, qui s’apparenterait à une sorte d’instinct. Toutes les intuitions ne débouchent pas, cependant, sur des vérités.
Il faudrait, quoi qu’il en soit, formuler les bonnes hypothèses, ce qui finalement fait appel à l’imagination du chercheur. Inventer, c’est imaginer. Claude Bernard, médecin et physiologiste français (1813-1878), dans l’Introduction à la médecine expérimentale, rappelle que l’invention scientifique réside dans la création d’une hypothèse heureuse et féconde ; elle est donnée par le sentiment ou par le génie même du savant qui l’a créée (chapitre IV, Des obstacles philosophiques que rencontre la médecine expérimentale). Dans les dernières pages de l’ouvrage, Claude Bernard évoque l’« originalité créatrice » et la « spontanéité scientifique », pour dire qu’elles sont, dans la démarche scientifique, les qualités les plus précieuses pour un chercheur.
2. L'aporie de l'interprétation
a. L'interprétation conduit souvent à
une impasse
Il faut considérer en quoi, maintenant,
l’interprétation débouche le plus
souvent, selon les philosophes, sur des apories, c'est à dire sur
une impossibilité de trouver une issue
positivement favorable à un raisonnement. Si,
en effet, le sens d’un phénomène
n’est pas donné, nous devons nous en
enquérir, en interprétant ce
phénomène afin de lui conférer un
sens. Se pose alors la multiplicité de sens
en présence, résultant de
l’activité interprétative. Toute
interprétation est en effet nécessairement
subjective, et nous interprétons un fait en
fonction de nos croyances, de nos idées, de nos
désirs, du milieu social duquel nous sommes issus,
de pensées inconscientes etc. Il faudrait ainsi se
poser la question de savoir qui
interprète, lorsqu’un individu
– fût-il historien –
s’empare d’un fait précis, pour lui
apporter une certaine signification.
Mais si toutes les significations se valent, quel sens finalement donner au fait lui-même ? Valoriser l’interprétation reviendrait à valoriser le relativisme, d’après lequel toutes les vérités se valent. C’est pourquoi, d’ailleurs, Max Weber, finalement considéré comme le fondateur de la « sociologie compréhensive » (son Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive paraît en 1913), s’est vu accusé de « relativisme », ou de « perspectivisme » (les différentes interprétations des faits rendent possibles entre elles plusieurs perspectives). Si l’objectif de la science historique est d’atteindre la vérité, comment l’histoire, si elle fait l’objet d’interprétations variées et changeantes, pourrait-elle conserver le statut de science ?
Mais si toutes les significations se valent, quel sens finalement donner au fait lui-même ? Valoriser l’interprétation reviendrait à valoriser le relativisme, d’après lequel toutes les vérités se valent. C’est pourquoi, d’ailleurs, Max Weber, finalement considéré comme le fondateur de la « sociologie compréhensive » (son Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive paraît en 1913), s’est vu accusé de « relativisme », ou de « perspectivisme » (les différentes interprétations des faits rendent possibles entre elles plusieurs perspectives). Si l’objectif de la science historique est d’atteindre la vérité, comment l’histoire, si elle fait l’objet d’interprétations variées et changeantes, pourrait-elle conserver le statut de science ?
b. La pluralité des interprétations
conduit-elle au relativisme ?
Nietzsche semblait le
prédire : « L’esprit de
l’homme, au cours de ses analyses, ne peut
s’empêcher de se voir selon sa propre
perspective et ne peut se voir que selon
elle ». Il ajoute : « Le
monde, pour nous, est devenu infini, en ce sens que nous
ne pouvons pas lui refuser la possibilité de
prêter à une infinité
d’interprétations »
(Le Gai Savoir, § 374).
D’où un certain scepticisme, inhérent au
« perspectivisme »
lui-même : « Le discours
scientifique [de l’historien] ne dépasse
jamais totalement la perspective particulière de
ce lui qui le construit, et l’établissement
des faits est lui-même commandé par
le rapport aux valeurs de celui qui
interprète l’histoire »,
commente Philippe
Raynaud (Max Weber et les dilemmes de la
raison moderne, 1987). Ce dernier montre ensuite que
Weber n’est pas précisément
relativiste, dans la mesure où il cherche
précisément à concilier la prise
en compte du point de vue propre à chaque
interprétation et l’affirmation de la
validité de la
science, qui est incluse elle-même dans
la prétention de chaque historien à la
vérité. Il s’agit bien pour
Weber de voir à
quelles conditions un discours historique peut être
universellement valide.
Il est donc difficile de trouver un moyen terme entre une compréhension qui requiert une interprétation, et donc se réfère inévitablement à la subjectivité de celui qui interprète un fait, et une compréhension qui puisse en faire l’économie, comme cela semble être le cas pour les sciences exactes (même si nous avons vu que ces sciences ont elles-mêmes recours à des éléments interprétatifs).
D’une manière plus générale, dès qu’il s’agit de « faits humains », au sens où Dilthey a pu les définir, nous sommes obligés de recourir à une interprétation pour les comprendre. Les interprétations sont multiples, mais pas uniquement parce qu’il y aurait, finalement, autant de phénomènes qu’il y aurait d’individus pour les transcrire (les interpréter).
Il est donc difficile de trouver un moyen terme entre une compréhension qui requiert une interprétation, et donc se réfère inévitablement à la subjectivité de celui qui interprète un fait, et une compréhension qui puisse en faire l’économie, comme cela semble être le cas pour les sciences exactes (même si nous avons vu que ces sciences ont elles-mêmes recours à des éléments interprétatifs).
D’une manière plus générale, dès qu’il s’agit de « faits humains », au sens où Dilthey a pu les définir, nous sommes obligés de recourir à une interprétation pour les comprendre. Les interprétations sont multiples, mais pas uniquement parce qu’il y aurait, finalement, autant de phénomènes qu’il y aurait d’individus pour les transcrire (les interpréter).
Conclusion
Ces interprétations seront en effet
différentes suivant qu’elles émanent de
la philosophie, de la sociologie, de la psychologie ou de
l’histoire. Le regard de l’historien, par
exemple, n’est pas celui du psychanalyste. En
effectuant des passages d’une discipline à
l’autre, on pourrait espérer avoir une
compréhension plus totale d’un
phénomène donné. C’est ce que nous
nommons aujourd’hui la
« transversalité des
savoirs ».
Reste à savoir cette interdisciplinarité, que l’on prône à juste titre, et qui permet en outre qu’une discipline ne s’enferme pas dans ses propres conceptions en ignorant celles d’autres disciplines, profite à la vérité ou à l’objectivité elles-mêmes. Si la pluralité des interprétations nous donnent une approche plus globale d’un fait, d’un événement ou d’un phénomène, il n’est toutefois pas certain que cette complémentarité, si elle est forcée, soit féconde. L’hyperspécialisation des connaissances, qu’il s’agisse des disciplines relevant des « sciences de la nature » ou des « sciences de l’esprit », rend parfois incompatibles les points de vue, dans la mesure principalement où les uns et les autres ne peuvent pas toujours, justement, se « comprendre ».
Reste à savoir cette interdisciplinarité, que l’on prône à juste titre, et qui permet en outre qu’une discipline ne s’enferme pas dans ses propres conceptions en ignorant celles d’autres disciplines, profite à la vérité ou à l’objectivité elles-mêmes. Si la pluralité des interprétations nous donnent une approche plus globale d’un fait, d’un événement ou d’un phénomène, il n’est toutefois pas certain que cette complémentarité, si elle est forcée, soit féconde. L’hyperspécialisation des connaissances, qu’il s’agisse des disciplines relevant des « sciences de la nature » ou des « sciences de l’esprit », rend parfois incompatibles les points de vue, dans la mesure principalement où les uns et les autres ne peuvent pas toujours, justement, se « comprendre ».
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