Peut-on interpréter un fait de plusieurs manières ?
Nous rencontrons de surcroît quelques difficultés sémantiques, lorsque nous analysons tous ces termes. Établissant qu’il est communément admis qu’« explication » et « interprétation » relèvent de deux procédés distincts, nous devons toutefois admettre que ces procédés puissent être complémentaires.
On a donc tendance à identifier finalement la compréhension et l’interprétation d’une part (il faut interpréter certains faits pour les comprendre), et la compréhension et l’explication d’autre part (si nous voulons comprendre tel ou tel phénomène, c’est pour tenter de l’expliquer, d’en rendre compte). D’ailleurs, Max Weber montre que pour expliquer les phénomènes naturels, le chercheur à recours à la « compréhension » : mais il s’agit toutefois d’une compréhension « médiate », puisqu’elle passe par l’intermédiaire de concepts ou de relations (voir aussi Raymond Aron, Les étapes de la pensée sociologique). Pour ce qui concerne les faits sociaux en revanche, la compréhension est immédiate : le professeur comprend le comportement des étudiants qui suivent son cours, le voyageur comprend pourquoi le chauffeur de taxi s’arrête devant un feu rouge. Il n’a pas besoin de constater combien de chauffeurs s’arrêtent devant les feux rouges pour comprendre pourquoi ils le font.
Il est parfois nécessaire d’imaginer pour comprendre. C’est le rôle qu’on attribue parfois à l’intuition, qui permet de relier entre elles certaines données, de façon spontanée, sans que l’esprit suive obligatoirement une démarche rationnelle. Certes ces intuitions, qui sont celles des chercheurs, demandent ensuite à être expliquées, contrôlées, vérifiées. Nous avons parfois tendance à croire, en effet, aux vertus quelque peu « magiques » ou mystérieuses de l’intuition, qui s’apparenterait à une sorte d’instinct. Toutes les intuitions ne débouchent pas, cependant, sur des vérités.
Il faudrait, quoi qu’il en soit, formuler les bonnes hypothèses, ce qui finalement fait appel à l’imagination du chercheur. Inventer, c’est imaginer. Claude Bernard, médecin et physiologiste français (1813-1878), dans l’Introduction à la médecine expérimentale, rappelle que l’invention scientifique réside dans la création d’une hypothèse heureuse et féconde ; elle est donnée par le sentiment ou par le génie même du savant qui l’a créée (chapitre IV, Des obstacles philosophiques que rencontre la médecine expérimentale). Dans les dernières pages de l’ouvrage, Claude Bernard évoque l’« originalité créatrice » et la « spontanéité scientifique », pour dire qu’elles sont, dans la démarche scientifique, les qualités les plus précieuses pour un chercheur.
Mais si toutes les significations se valent, quel sens finalement donner au fait lui-même ? Valoriser l’interprétation reviendrait à valoriser le relativisme, d’après lequel toutes les vérités se valent. C’est pourquoi, d’ailleurs, Max Weber, finalement considéré comme le fondateur de la « sociologie compréhensive » (son Essai sur quelques catégories de la sociologie compréhensive paraît en 1913), s’est vu accusé de « relativisme », ou de « perspectivisme » (les différentes interprétations des faits rendent possibles entre elles plusieurs perspectives). Si l’objectif de la science historique est d’atteindre la vérité, comment l’histoire, si elle fait l’objet d’interprétations variées et changeantes, pourrait-elle conserver le statut de science ?
Il est donc difficile de trouver un moyen terme entre une compréhension qui requiert une interprétation, et donc se réfère inévitablement à la subjectivité de celui qui interprète un fait, et une compréhension qui puisse en faire l’économie, comme cela semble être le cas pour les sciences exactes (même si nous avons vu que ces sciences ont elles-mêmes recours à des éléments interprétatifs).
D’une manière plus générale, dès qu’il s’agit de « faits humains », au sens où Dilthey a pu les définir, nous sommes obligés de recourir à une interprétation pour les comprendre. Les interprétations sont multiples, mais pas uniquement parce qu’il y aurait, finalement, autant de phénomènes qu’il y aurait d’individus pour les transcrire (les interpréter).
Reste à savoir cette interdisciplinarité, que l’on prône à juste titre, et qui permet en outre qu’une discipline ne s’enferme pas dans ses propres conceptions en ignorant celles d’autres disciplines, profite à la vérité ou à l’objectivité elles-mêmes. Si la pluralité des interprétations nous donnent une approche plus globale d’un fait, d’un événement ou d’un phénomène, il n’est toutefois pas certain que cette complémentarité, si elle est forcée, soit féconde. L’hyperspécialisation des connaissances, qu’il s’agisse des disciplines relevant des « sciences de la nature » ou des « sciences de l’esprit », rend parfois incompatibles les points de vue, dans la mesure principalement où les uns et les autres ne peuvent pas toujours, justement, se « comprendre ».

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