Peut-on fonder le droit sur la nature ?
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Savoir si on peut fonder le droit sur la nature
- L'homme est par nature un être sociable, mais des règles doivent être fixées afin de ne pas tomber naturellement dans le rapport de force et l'aliénation.
- Le droit n'est pas naturel : c'est une convention censée garantir l'intérêt de tous.
Le droit apparaît avec la nécessité de
régler les rapports entre les hommes. Il crée
des obligations et, partant, institue un ordre au sein de la
cité. Mais qu'en est-il de cet ordre ? Peut-on
envisager qu'il soit le reflet des rapports de forces
s'établissant spontanément entre les hommes et
qu'en ce sens il soit fondé sur la nature ? Cela
semble improbable dans la mesure où tout droit
fondé sur la force constitue en soi une
contradiction.
Cependant, si les principes du droit se posent à
distance d'une nature brute, l'institution même du
droit renvoie à un mouvement instinctif de protection
fondamentalement naturel.
La sociabilité est pour l'homme naturelle,
spontanée, dans la mesure où c'est
un être de désir. L'homme cherche
à attirer le regard de l'Autre, il a besoin
d'une reconnaissance qui confère du sens
à son existence. Aussi est-il porté vers
ses congénères.
Dans le même temps, il se révèle
incapable de s'imposer à lui-même les
exigences entraînées par la vie collective
de telle sorte que le mouvement premier vers l'Autre
dégénère rapidement en
conflit. C'est la raison pour laquelle Kant
parlera d'« insociable
sociabilité » de l'homme.
L'homme est prêt à sacrifier sa vie pour
obtenir de son congénère une
reconnaissance. Ce qu'il désire, c'est le
désir de l'Autre, un désir susceptible de
lui conférer une singularité sans
précédent dans la mesure où il le
fait apparaître comme personnalité unique.
Le fait d'être désiré sort l'homme
de l'anonymat.
Mais parce que ce désir est essentiel il peut
conduire à l'aliénation. À
trop chercher l'affirmation de ce qu'il est,
l'être humain peut sombrer dans la volonté
de puissance.
Dès lors une lutte s'engage puisqu'un
désir identique anime les hommes. Les
volontés se confrontent jusqu'à ce que
l'un des protagonistes renonce à sa
liberté et que l'on aboutisse, comme l'explique
Hegel, à une relation opposant un maître
et un esclave.
Sans règles pour lui intimer le respect de son
semblable, la communauté humaine fonctionne sur
des rapports de force éminemment
inégaux. Le désir du désir conduit
à la domination et à la violence quand
aucune institution n'est là pour l'endiguer.
Dans ce contexte, un droit fondé sur la nature
conduirait à fixer les inégalités,
à entériner la suprématie du plus
fort. Tel est ce que prône le personnage de
Calliclès dans le dialogue de Platon
intitulé Gorgias. Dans la mesure
où la nature dévoile des rapports de
force, ceux-ci sont justes. En ce sens le droit peut
les légitimer.
Mais il semble intenable que le droit soit à l'image des rapports de force naturels. En effet, dès l'instant où le droit confère une légitimité à la force, il autorise tous les renversements possibles. À tout moment, le jeu des forces en présence peut s'invertir et rien alors ne vient justifier que l'ordre institué soit préservé. Chaque fluctuation des rapports de force entraîne une modification nécessaire du droit. De telle sorte que le principe même du droit se voit contredit dans la mesure où le droit a pour vocation de fixer des obligations, d'instaurer un ordre social durable. C'est ce que souligne Rousseau dans Le Contrat social.
Si le droit ne peut être fondé sur
l'exercice de la force puisque celui-ci s'avère
fondamentalement précaire, si donc le droit ne
saurait être – dans son
principe – fondé sur la nature, son
institution est, pourtant, naturelle. En effet,
la violence qui caractérise l'état de
nature et la crainte des hommes pour leur vie les
conduit à rechercher la protection de
lois.
Même les plus forts, explique Hobbes, risquent
leur vie puisque les faibles peuvent, à
défaut de force, recourir à la ruse. Il
règne donc, dans l'état de nature, une
égalité face à la mort. Dans un
tel contexte, l'instinct de conservation incite l'homme
à assurer son existence et le mène
naturellement vers la constitution du droit.
La raison de l'homme le conduit à préférer la soumission aux lois plutôt que la crainte sans cesse renouvelée de perdre la vie dans l'état de nature. La spontanéité de l'instinct est relayé par la volonté qui décide d'instituer un droit qui favorise l'égalité des citoyens. Si l'égalité apparaît comme nécessaire, c'est parce qu'aucun homme n'acceptera pas de participer au contrat social s'il ne s'effectue pas dans les mêmes termes pour tous. Ainsi, le droit n'est pas naturel, c'est une convention instaurée en fonction de principes qui satisfont l'intérêt de tous. Mais, comme le souligne Hobbes, le passage de l'état de nature au droit constitue, lui, une loi naturelle.
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