Le droit apparaît avec la nécessité de
régler les rapports entre les hommes. Il crée des
obligations et, partant, institue un ordre au sein de la
cité. Mais qu'en est-il de cet ordre ? Peut-on
envisager qu'il soit le reflet des rapports de forces
s'établissant spontanément entre les hommes et
qu'en ce sens il soit fondé sur la nature ? Cela
semble improbable dans la mesure où tout droit
fondé sur la force constitue en soi une contradiction.
Cependant, si les principes du droit se posent à distance
d'une nature brute, l'institution même du droit renvoie
à un mouvement instinctif de protection fondamentalement
naturel.
1. La violence de la nature
a. Difficile société
La sociabilité est pour l'homme naturelle,
spontanée, dans la mesure où c'est un être de
désir. L'homme cherche à attirer le regard de
l'Autre, il a besoin d'une reconnaissance qui confère du
sens à son existence. Aussi est-il porté vers ses
congénères.
Dans le même temps, il se révèle incapable de
s'imposer à lui-même les exigences
entraînées par la vie collective de telle sorte que
le mouvement premier vers l'Autre dégénère
rapidement en conflit.
C'est la raison pour laquelle Kant parlera
d'« insociable sociabilité » de
l'homme.
b. Désir et aliénation
L'homme est prêt à sacrifier sa vie pour obtenir de
son congénère une reconnaissance. Ce qu'il
désire, c'est le désir de l'Autre, un désir
susceptible de lui conférer une singularité sans
précédent dans la mesure où il le fait
apparaître comme personnalité unique. Le fait
d'être désiré sort l'homme de l'anonymat.
Mais parce que ce désir est essentiel il peut conduire
à l'aliénation. A trop chercher l'affirmation de ce
qu'il est, l'être humain peut sombrer dans la
volonté de puissance.
Dès lors une lutte s'engage puisqu'un désir
identique anime les hommes. Les volontés se confrontent
jusqu'à ce que l'un des protagonistes renonce à sa
liberté et que l'on aboutisse, comme l'explique Hegel,
à une relation opposant un maître et un esclave.
c. L'état de nature
Sans règles pour lui intimer le respect de son semblable,
la communauté humaine fonctionne sur des rapports de force
éminemment inégaux. Le désir du désir
conduit à la domination et à la violence quand
aucune institution n'est là pour l'endiguer.
Dans ce contexte, un droit fondé sur la nature conduirait
à fixer les inégalités, à
entériner la suprématie du plus fort. Tel est ce
que prône le personnage de Calliclès dans le
dialogue de Platon intitulé Gorgias. Dans la mesure
où la nature dévoile des rapports de force, ceux-ci
sont justes. En ce sens le droit peut les légitimer.
2. La disjonction de la force et du droit
a. Le droit du plus fort
Mais il semble intenable que le droit soit à l'image des
rapports de force naturels. En effet, dès l'instant
où le droit confère une légitimité
à la force, il autorise tous les renversements possibles.
A tout moment, le jeu des forces en présence peut
s'invertir et rien alors ne vient justifier que l'ordre
institué soit préservé. Chaque fluctuation
des rapports de force entraîne une modification
nécessaire du droit. De telle sorte que le principe
même du droit se voit contredit dans la mesure où le
droit a pour vocation de fixer des obligations, d'instaurer un
ordre social durable. C'est ce que souligne Rousseau dans Le
Contrat social.
b. Une élaboration naturelle du droit
Si le droit ne peut être fondé sur l'exercice de la
force puisque celui-ci s'avère fondamentalement
précaire, si donc le droit ne saurait être
– dans son principe – fondé sur la
nature, son institution est, pourtant, naturelle. En effet, la
violence qui caractérise l'état de nature et la
crainte des hommes pour leur vie les conduit à rechercher
la protection de lois.
Même les plus forts, explique Hobbes, risquent leur vie
puisque les faibles peuvent, à défaut de force,
recourir à la ruse. Il règne donc, dans
l'état de nature, une égalité face à
la mort. Dans un tel contexte, l'instinct de conservation incite
l'homme à assurer son existence et le mène
naturellement vers la constitution du droit.
c. Le calcul de la raison
La raison de l'homme le conduit à préférer
la soumission aux lois plutôt que la crainte sans cesse
renouvelée de perdre la vie dans l'état de nature.
La spontanéité de l'instinct est relayé par
la volonté qui décide d'instituer un droit qui
favorise l'égalité des citoyens. Si
l'égalité apparaît comme nécessaire,
c'est parce qu'aucun homme n'acceptera pas de participer au
contrat social s'il ne s'effectue pas dans les mêmes termes
pour tous. Ainsi, le droit n'est pas naturel, c'est une
convention instaurée en fonction de principes qui
satisfont l'intérêt de tous. Mais, comme le souligne
Hobbes, le passage de l'état de nature au droit constitue,
lui, une loi naturelle.
Pour aller plus loin
Hobbes, Le Citoyen, I, 3.
Platon, Gorgias, 483 b et sq.
Rousseau, Le Contrat social, I, 3.