1. A l'origine : des marionnettes qui nous font rire
Les personnages de la comédie sont, à
l’origine, des marionnettes sans individualité
propre, c’est-à-dire des types qui
obéissent à un comportement caricatural et
attendu.
a. Dès l'Antiquité
On trouve ainsi, dès l’Antiquité,
et en particulier dans les comédies latines de
Plaute (254-184), une série de
personnages stéréotypés, parmi
lesquels : l’esclave rusé, le marchand
d’esclaves malhonnête ou le père
autoritaire et borné qui ne veut rien entendre
des projets de mariage de sa fille.
Ces personnages font rire par leurs ruses ou
leur aveuglement, les quiproquos ou les
grossièretés de leur langage et
répondent aux attentes du public de
l’époque.
b. La commedia dell'arte
La commedia dell’arte, qui se développe en
Italie à partir du XVIe siècle
et influence le théâtre français du
XVIIesiècle, met également en
scène une série de types comiques :
derrière son masque ou son déguisement,
chaque acteur incarne un stéréotype
et improvise à partir d’un canevas
donné. Les valets (appelés aussi
zanni) ont remplacé les esclaves et
s’appellent Arlequin (reconnaissable
à son habit bariolé) Brighella ou
Mascarille.
Ils s’opposent à Pantalon, vieillard
amoureux et jaloux, accompagné du Docteur et du
Capitan, soldat fanfaron dont la vantardise est à
la hauteur de sa lâcheté (comme Le Matamore
de L'Illusion comique).
Le comique de ces personnages repose essentiellement sur
un comique de gestes, de coups de bâton et la
répétition de situations
identiques.
c. Molière
Molière, très proche des comédiens
italiens, s’inspire, dans un grand nombre de
comédies, des modèles de la commedia
dell’arte : Scapin est
l’héritier d’Arlequin,
Géronte est l’avatar de Pantalon,
Mascarille apparaît dans L’Etourdi,
Pulcinella au masque noir et au nez crochu dans Le
Malade imaginaire.
2. Un personnage qui progressivement s'individualise et
se complexifie.
Le personnage comique quitte progressivement son statut de
marionnette stéréotypée pour
acquérir une identité, un passé et un
caractère. Sa fonction n’est plus seulement de
faire rire mais aussi de faire réfléchir ou
d’exprimer une critique.
a. Vers une dimension morale
Si les premières comédies de Molière
s’inspirent de la farce et mettent en scène
des personnages stéréotypés et
intemporels, celles-ci vont revêtir par la suite
une dimension morale. Il s’agit en effet,
pour l’auteur de corriger les vices et les
ridicules de son temps par le rire.
Dans Les précieuses ridicules,
Molière dénonce ainsi la
préciosité, dans Le Misanthrope,
l’hypocrisie de la cour ; avec Tartuffe il
s’en prend aux dévots, avec Don Juan,
aux libertins.
Ses personnages ne sont plus des marionnettes
intemporelles mais gagnent en complexité et en
individualité. Ainsi, Don Juan ou Alceste (Le
Misanthrope) ne se laissent pas enfermer dans une
explication caricaturale comme le montrent les nombreuses
interprétations auxquelles ont donné lieu
ces rôles. Ces personnages sont aussi
inquiétants que ridicules et leur attitude parfois
comique n’est souvent que l’envers
d’une dimension tragique.
b. Les personnages de Marivaux
De même, si Marivaux, au XVIIIe
siècle, reprend les personnages de la commedia
dell’arte, il les intègre dans une
comédie fondée sur les subtilités du
langage et du sentiment. Dans ses pièces, les
coups de bâton et les grossièretés
des valets passent au second plan, comme dans Le Jeu
de l’amour et du hasard où le couple des
valets (Arlequin et Lisette) s’efface devant celui
des maîtres (Silvia et Dorante).
c. Les personnages de Beaumarchais
Chez Beaumarchais, le valet revient sur le devant de la
scène avec le personnage de Figaro (Le
Barbier de Séville et Le Mariage de
Figaro). Mais Figaro tout en étant
l’ancêtre des zanni, devient un individu
doté d’une biographie. Son rire et sa
gaieté ne sont plus liés au ridicule de son
personnage, mais à un optimisme conscient et
revendiqué (« je me presse de rire de
tout de peur d’être obligé d’en
pleurer »). Figaro c’est aussi, quelques
années avant la Révolution, le symbole
du triomphe de la bourgeoisie sur la noblesse.
3. Au 20e siècle : des clowns tragiques
Le 20e siècle renoue avec les
marionnettes et la pantomime des origines, mais en leur
donnant une dimension nouvelle. Ces pantins
dérisoires ne sont plus destinés à
nous faire rire, tout au plus sourire par leur attitude
grotesque, mais plutôt à nous faire
réfléchir sur le tragique de notre condition
humaine.
a. Marionnettes et pantins
Avec Ubu Roi d’Alfred Jarry, le
personnage redevient une marionnette mais une
marionnette burlesque qui se comporte comme un guignol
monstrueux.
Dans En attendant Godot, Beckett met aussi
en scène des pantins dérisoires et
grotesques, comme ces deux clochards qui attendent en
vain un personnage mystérieux qui donnerait un
sens à leur existence.
b. Les « farces tragiques » de Ionesco
Quant à Ionesco, il met sur scène
des personnages interchangeables qui déroulent un
langage absurde et renvoient à notre
solitude (La Cantatrice chauve). Dès
lors, la frontière entre comique et tragique tend
à disparaître, comme le souligne
l’appellation de « farces tragiques »,
choisie par Ionesco pour certaines de ses
pièces.