Il est difficile de définir en peu de mots la
liberté. Toutefois, on constate sans difficulté
que les êtres humains, où qu’ils soient, la
posent comme étant une exigence
propre à l’homme. Aussi
l’aspiration à la liberté paraît
être un fait universel. Dans toutes les
sociétés humaines, la recherche de la
liberté entraîne une interrogation :
celle de l’individu, sur le plan privé et
psychologique, et celle de la collectivité, sur
le plan politique et économique. L’homme ne vit
pas isolé de ses semblables, il fait partie d’une
communauté ; les activités qu’il
effectue ont des conséquences sur les autres membres du
groupe : aussi la réalisation de la liberté
n’est pas seulement une question personnelle mais aussi
une question sociale, engageant le rapport à
autrui.
Si la liberté est une aspiration universelle cela ne
signifie pas qu’elle soit facile à
réaliser. De nombreux obstacles existent :
ils se rencontrent aussi bien du côté de
l’individu, en proie à des désirs sans
limites, que du côté de la société,
livrant ses membres à l’injustice politique. Aussi
la liberté est une conquête mettant en
évidence luttes et conflits.
L’homme est puissance de liberté. Les
obstacles à sa réalisation peuvent être
dépassés grâce à des actions
manifestant la puissance même du sujet humain :
puissance de maîtrise sur lui-même,
d’un point de vue personnel, puissance de
libération sociale, d’un point de vue
politique. La réalisation de la liberté montre
que l’être humain a la puissance de
dépasser et de modifier les situations
données : qui dit liberté dit
puissance de transformation des
conditions d’existence individuelle et
sociale.
1. Désir et raison
a. Liberté et réalisation des
désirs
Les êtres humains ont tendance à
confondre satisfaction des désirs et
réalisation de la liberté. Ainsi
Calliclès, personnage décrit par
Platon (Le
Gorgias) affirme que l’homme libre, puissant et
heureux, est celui qui parvient à réaliser
tous ses désirs par tous les moyens à sa
disposition. Cette conception radicale met au premier
plan affirmation de soi et refus des contraintes
morales, sociales et juridiques : ces
contraintes seraient des obstacles injustes
à la liberté.
b. Liberté et maîtrise des
désirs
Les philosophes, dès l’Antiquité
grecque, notamment avec Socrate et Platon, contestent cette position
centrée sur l’affirmation de soi :
ils ne cessent d’expliquer que
l’expérience du plaisir, liée
à la satisfaction des désirs, ne doit pas
être confondue celle de la liberté. Les
désirs doivent être triés et
hiérarchisés. L’homme, parce
qu’il est un être doué de raison
doit s’imposer des
limites et mettre en place des conventions
morales et sociales réglant la communauté.
Le sage doit dominer ses désirs et non pas
être dominé par ses désirs : il
est maître de soi car sa raison gouverne ses
désirs. Au contraire, l’homme tyrannique,
dans la vie privée et dans la vie publique, se
montre prisonnier de ses désirs : c’est
parce qu’il est toujours attaché
aveuglément à ses plaisirs personnels,
notamment matériels, qu’il agit avec
violence et injustice.
c. Liberté et sagesse philosophique
La philosophie s’oppose à toutes les
formes de violence : elle est apprentissage de la liberté de
l’âme, elle éduque
l’homme en l’incitant à la raison et
à la mesure. Elle a une fonction morale et
politique. Si la philosophie est désir de la
sagesse orientant la pensée et l’action,
elle est néanmoins apprentissage de la
limitation des désirs : elle nous demande
de différencier les désirs corporels et
matériels, entravant la liberté de
l’âme, et le désir de réflexion
et de connaissance, permettant la libération de
l’âme. Ce désir, qui est propre
à la raison humaine, met en mouvement la
curiosité intellectuelle et la recherche du
savoir.
2. L’expérience politique
a. La communauté politique : lieu de la
liberté
Hannah Arendt
(1906-1975) dans son ouvrage intitulé La crise
de la culture (chapitre « Qu’est-ce
que la liberté ? »), insiste sur
la dimension politique de la question : la
liberté ne s’éprouve
réellement que dans le cadre concret des
communautés humaines, elle est l’affaire
quotidienne de l’homme en rapport avec les autres
hommes. C’est à partir de cette expérience sociale que
l’homme prend conscience de lui-même, comme
sujet pensant et parlant, capable d’actions
imprévues et constructrices, donnant sens à
son existence. Exister en tant qu’homme
c’est exister avec d’autres hommes,
c’est-à-dire établir avec eux des
liens de parole, exprimant aussi bien accords que
désaccords, et déterminant des
activités créatrices.
b. b. L’homme : « animal politique
»
Cette dimension politique intéresse la
réflexion philosophique depuis les premiers
grands penseurs grecs. L’homme, comme le disait
déjà Aristote au 4e siècle
avant J.-C., est « un
animal politique » (La
Politique, Livre I, 1) : il ne développe
pleinement sa nature que dans des
communautés lui permettant d’exercer
ses aptitudes physiques et intellectuelles. La politique,
dans cette perspective, est partie intégrante de
la philosophie : elle considère la
question du bonheur (cette question n’est
indifférente à aucun être humain) et
réfléchit sur le mode de vie favorisant
l’épanouissement des hommes réunis en
communautés. Cet épanouissement va
au-delà de la satisfaction des besoins vitaux et
matériels.
c. Oppression politique et lutte pour la
liberté
Certains régimes politiques favorisent
l’esclavage et l’oppression, d’autres
favorisent la liberté et la douceur de vivre. La
question du régime politique le plus propice
à la fois à l’épanouissement
de l’homme et à l’avènement de
la liberté (grâce à la mise en
place d’institutions juridiques) n’a pas
cessé d’être abordée par les
philosophes : Platon et Aristote dès les 4e
et 5e siècles avant J.-C. inaugurent la
pensée politique ; Jean-Jacques Rousseau, au
18e siècle s’inscrit
également dans cette tradition lorsqu’il met
en place une théorie politique axée sur
l’égalité et la liberté
(Le Contrat Social). La liberté humaine
s’expérimente dans le cadre social et juridique d’une
communauté politique fondée
sur des lois communes et justes. La liberté
personnelle s’intègre à un cadre
collectif dépassant l’ordre des simples
désirs et intérêts individuels.
3. La liberté : combat et conquête
a. La lutte contre les déterminismes
Les êtres humains vivent dans des conditions
psychologiques, sociales, économiques, historiques
et politiques déterminées. Ils ne
peuvent supprimer les déterminations qui forment
le cadre de leur existence, mais ils sont en
mesure de les « transcender »,
c’est-à-dire de les
dépasser :
- ils sont en mesure de les modifier, en utilisant
la puissance de la volonté et la puissance
de l’action (par exemple : un peuple
peut se révolter contre un pouvoir politique
oppressif et susciter, grâce à cette
révolte, des changements sociaux et
économiques) ;
- ils sont en mesure de les comprendre et de les
dominer, en utilisant la puissance lucide de la
réflexion, le travail de la raison, la force
de la connaissance (par exemple : un être
humain en situation psychologique difficile peut,
grâce à la prise de conscience approfondie
de ses difficultés personnelles, apprendre
à se vaincre soi-même).
b. La puissance de la volonté
Aussi il serait faux de dire que l’homme, parce
qu’il est déterminé, n’est pas
en mesure d’être libre et qu’il est
condamné à subir des situations qu’il
n’a pas choisies : la liberté est
une puissance de détermination de la volonté et
de la raison montrant qu’il y a toujours
possibilité d’affronter les
obstacles, les empêchements et les limites que
les situations d’existence personnelles et
historiques ne cessent de présenter.
c. La liberté totale de l’homme
C’est en ce sens que le philosophe français
Jean-Paul Sartre
(1905-1980), fidèle héritier du philosophe
allemand Emmanuel Kant
(1724-1804), déclare que l’homme, bien que
déterminé, est
« entièrement
libre » : il a la puissance
de réagir contre les déterminations qui
pèsent sur lui, en refusant de les subir, en
s’efforçant de les comprendre et de les
surmonter (à défaut de pouvoir les
supprimer immédiatement ou radicalement). Ainsi la
liberté, sans cesse à
conquérir, montre non seulement le pouvoir
de l’homme sur lui-même et sur le monde
mais aussi le savoir de l’homme sur
lui-même et sur le monde.