On a coutume d'opposer la légalité
– simple conformité aux lois sans
préjuger de leur bien-fondé, de leur
éventuelle justesse – et la
légitimité qui renvoie, pour sa part, à la
question de la validité des lois. Sont-elles justes
ou injustes ? Ont-elles une raison d'être ? Mais
il faut comprendre que des lois dénuées de toute
légitimité sont appelées à
disparaître. Ainsi, plutôt que d'opposer
légalité et légitimité, faut-il
considérer que l'une fonde l'autre, que sans
légitimité aucune loi ne peut perdurer. Pour
autant, comment déterminer la légitimité
d'une loi ? A quels critères se
référer ? Et l'exigence de respect face aux
lois vaut-elle encore lorsque celles-ci sont
illégitimes ?
1. Légalité et justification
a. Les fondements de la légitimité
On parle de légitimité lorsque l'existence de la
légalité est justifiée. Sans justification,
les lois ne seraient pas observées. Trois principes
fondent l'autorité des lois, principes que Max
Weber met en avant dans Economie et
société. Il s'agit de la coutume, du
charisme et de la rationalité. Si la
légalité s'avère légitime c'est donc
parce que se crée une certaine habitude des lois de telle
sorte qu'elles semblent parfaitement valables. Mais la
légitimité d'une autorité procède
aussi du charisme qui accompagne son exercice comme elle
procède également d'une rationalité qui lui
est inhérente.
b. Fragile légalité
L'autorité des lois répond aux trois
impératifs évoqués
précédemment. Si l'un d'entre eux vient à
manquer, la légalité se trouve fragilisée.
Il est indispensable, en effet, que l'on perçoive la
raison d'être du système législatif
– sa rationalité – sans quoi toute
obéissance paraît absurde. De même qu'il est
difficile de respecter des lois qui ne sont pas ancrées
dans la tradition. Ainsi, la légalité peut
s'effondrer en l'absence de l'un des éléments
fondant sa légitimité. La remise en cause de
l'Ancien Régime montre bien que la coutume et le charisme
d'un roi élevé au rang de personne sacrée ne
suffisent pas à sauver des lois injustes dont on ne
perçoit pas la raison d'être.
c. Puissance et pouvoir
Seul le pouvoir peut perdurer dans la mesure où son
autorité est légitimée par le peuple. Une
distinction s'opère entre le pouvoir et la puissance.
La puissance fait référence à une
autorité qui s'exerce par la force tandis que le pouvoir
met en jeu une autorité entérinée par ceux
qui en sont l'objet. Dans ce contexte, la
légalité qu'institue le pouvoir fait sens. Le
citoyen consent à la respecter, il n'y est pas contraint.
2. L'égalité comme principe régulateur de la
légalité
a. Au nom de quoi respecter la légalité ?
Le citoyen ne reconnaît de légitimité
à la légalité que dans la mesure où
elle concorde avec des principes qu'il juge déterminants.
Quels sont-ils ? Et ces principes sont-ils relatifs ou
universels ?
Rawls explique dans la Théorie de la justice que
tout citoyen exige des lois qu'elles soient justes
c'est-à-dire qu'elles reconnaissent à chaque
citoyen des droits et des devoirs identiques. Il ne leur
obéit qu'à cette unique condition. C'est un calcul
de la raison qui conduit chaque citoyen, dit Rawls, à
exiger l'égalité. Sans l'adoption d'un tel
principe, les citoyens lésés par les lois ne
tarderaient pas à troubler l'ordre public et chacun en
pâtirait. Aussi est-il préférable pour tous
que la justice soit favorisée.
b. Un respect inconditionnel ?
Tout citoyen, pour peu qu'il soit raisonnable, se
réfère à la valeur de justice pour juger de
la légitimité des lois. Si le pouvoir
instauré reflète cette exigence, reflète ce
que Rousseau nomme la volonté générale,
alors le citoyen accepte de se soumettre à la
légalité.
Mais cette soumission ne vaut que si l'autorité en place
se révèle adéquate à la
volonté générale. C'est à cette seule
condition que le citoyen conserve son autonomie puisque
– par l'intermédiaire du système
représentatif – il obéit à ses
propres lois. Dans le cas contraire, le respect des lois n'a plus
lieu d'être. Il est impensable que le citoyen accepte
d'être asservi par des lois illégitimes.
c. Le droit à la désobéissance
Le peuple – par la médiation de la
représentation – est simultanément,
comme le souligne Rousseau, sujet et souverain quant aux lois.
C'est sur le fond de cette souveraineté que le contrat
social s'opère.
Si le citoyen n'est plus souverain parce que la
légalité ne renvoie plus à ses exigences, le
contrat est rompu. Et avec lui, l'obéissance qui
l'accompagne. C'est ce que souligne Locke dans le
Traité du gouvernement civil
(chapitre XIX) : « Quand les
législateurs s'efforcent de ravir et de détruire
les choses qui appartiennent en propre au peuple, ou de le
réduire en esclavage sous un pouvoir arbitraire ; ils
se mettent dans un état de guerre avec le peuple, qui,
dès lors, est absous et exempt de toute sorte
d'obéissance. » L'illégitimité
doit provoquer le refus d'une légalité arbitraire
parce qu'elle conduit à une servilité sans limites.