Le Vent nous emportera : le miroir
Le vent nous emportera est une œuvre qui possède une immense part de mystère, celle-ci frappe d’ailleurs aussi bien l’histoire développée (profondément marquée par le sceau du secret) que les personnages eux-mêmes (toujours très ambigus).
Dès la première séquence, on apprend par exemple que Behzad et ses collègues ont décidé de cacher les véritables motifs de leur présence aux habitants du village de Siah Dareh, mais nous n’entrons pas nous-mêmes dans la confidence à ce moment-là. Le spectateur n’en sait pas plus en effet que les villageois, il ne voit pas davantage les membres de l’équipe de Behzad quand la voiture s’approche du village (Kiarostami a pris le parti de ne pas nous montrer les étrangers dans la voiture). Tout semble alors très mystérieux.
Les collègues de Behzad resteront dans l’ombre pendant toute la durée du film, quant aux enjeux de l’histoire, ils resteront cachés un bon moment, jusqu’à la révélation de l’instituteur qui surviendra finalement assez tardivement (nous apprenons alors qu’il est question de filmer une cérémonie de deuil très rare et très impressionnante). Cela dit, le film conservera une immense ambiguïté jusqu’à la fin puisqu’on ne sait pas vraiment si Behzad a obtenu ce qu’il cherchait…
Il plane par ailleurs sur ce même Behzad une grande part d’incertitude. Le personnage est attachant, les liens qu’il entretient avec Farzad le rendent sympathique, mais l’empressement avec lequel il demande des nouvelles de la vieille malade à chaque fois qu’il rencontre le petit garçon le rend aussi très vite suspect et laisse deviner la nature de ses intentions.
La séquence du miroir occupe une place importante dans le film de Kiarostami, une place particulièrement éloquente du point de vue de l’ambiguïté qui caractérise Behzad.
On a déjà évoqué l’insistance suspecte avec laquelle ce même Behzad demande à Farzad des nouvelles de la vieille voisine. De plus, à chaque fois qu’il réitère sa question (« Comment va-t-elle ? »), le petit garçon, distrait, semble avoir oublié de qui il parle. Kiarostami souligne ainsi, en l’opposant à l’insouciance de l’enfant, que l’intérêt de Behzad pour la vieille dame devient une véritable idée fixe.
La scène du miroir survient après la rencontre des deux principaux protagonistes près de la rivière (où Behzad vient d’ailleurs de reposer la même sempiternelle question à Farzad). Le visage de Behzad apparaît en gros plan (il s’agit du seul véritable gros plan du film), ce qui crée une violente rupture dans la continuité du récit. La violence du surgissement de cette image produit un tel impact sur le spectateur que celui-ci sent immédiatement toute son importance.
Cette séquence s’inscrit de plus entre deux
scènes qui se ressemblent beaucoup (elles ont
lieu au même endroit, sur le pas de la porte d’une
villageoise) et qui se réfléchissent donc
l’une l’autre de chaque côté de la
scène du miroir :
- Dans la première, Behzad vient de procéder
à la distribution des pommes et traverse le village avec
Farzad. Un fruit tombe, Behzad en profite pour faire ses lacets
et demander des nouvelles de la mourante. Farzad lui
répond qu’il n’y a plus aucun espoir de
rémission selon le médecin.
- Dans l’autre, assis au même endroit, Behzad demande
à son jeune ami s’il le croit bon ou méchant.
La relation des deux scènes (même lieu,
même situation) nous fait penser que de
l’une à l’autre Behzad a pris
conscience de sa propre ambiguïté concernant
très précisément son attente de
l’événement.
En ce qui concerne l’ambiguïté de Behzad, le miroir est un instrument absolument essentiel. En effet, puisqu’il réfléchit l’image du personnage, il souligne sa probable duplicité (ce dont il est d’ailleurs un symbole).
Pourtant, si Behzad prend effectivement conscience de cette
duplicité dans le passage des deux scènes dont on a
parlé précédemment (les deux discussions
avec Farzad), ce n’est pas le cas lors de la
séquence du miroir proprement dite. Deux
éléments au moins en témoignent de
façon incontestable :
- D’abord, Behzad ne regarde pas le miroir dans le but
d’y lire ce que cache son reflet, c’est-à-dire
son intériorité, son âme. Il ne fait que se
raser d’une façon tout à fait
mécanique et méthodique.
- Ensuite le dispositif de mise en scène
est tellement singulier et surprenant qu’il soulève
d’autres questions qui dépassent nettement la simple
perplexité du personnage devant son double
réfléchi. En effet, nous ne voyons pas
Behzad et son reflet : la caméra nous donne le point de vue du
miroir, nous occupons donc très
précisément la position du reflet. Une telle mise
en scène est riche de conséquences et
d’effets.
Ainsi, il apparaît par exemple que si Kiarostami nous fait adopter le point de vue du reflet, c’est qu’il considère le spectateur comme un double possible de Behzad. Sa situation particulière acquiert ainsi une portée plus générale qui nous concerne tous (le cinéaste est familier de ce type d’élargissements même s’il le réalise le plus souvent par l’intermédiaire du conte allégorique).
Par ailleurs, le dispositif choisi par Kiarostami produit une image que l’on ne voit que très rarement au cinéma : le regard-caméra et l’extrême proximité du personnage. Le spectateur peut ainsi voir le visage de Behzad comme s’il était de l’autre côté d’une glace sans tain. Nous sommes donc dans des conditions idéales d’observation qui, précisément parce qu’elles sont idéales, mettent Behzad dans la situation de l’observé tout en nous suggérant qu’il y a ici quelque chose à lire derrière son visage. Behzad devient donc suspect à ce moment-là, non pas pour lui-même, de son point de vue, mais bien du nôtre…
La scène du miroir est absolument fondamentale dans Le Vent nous emportera. Elle pose très explicitement la question de la duplicité de Behzad et confirme les quelques doutes que nous avions jusque-là concernant son ambiguïté. Nous ne sommes pas en mesure de savoir si le personnage est animé de bonnes ou de mauvaises intentions mais nous sommes certains, à ce moment-là, parce que le surgissement et la spécificité du plan (un gros plan de regard-caméra) créent une rupture dans la continuité des images et du récit, que quelque chose d’important se joue. Incapables de savoir quoi, un sentiment de suspicion nous habite néanmoins.

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