Considérons quatre sphères de
l'intégration : tout d'abord, le travail, le premier grand
intégrateur qui donne revenu, statut, identité,
relations sociales, puis l'État qui par le biais de
l'école et de la protection sociale (État
providence) permet la socialisation, la formation, l'assistance
et l'assurance, mais aussi la participation politique. Viennent
ensuite la famille qui est
l'instance de socialisation par excellence et qui tisse un
réseau de solidarités important, et enfin la
sphère des associations
d'entraide, des amitiés, les clubs...
Ces quatre sphères peuvent avoir plus ou moins, suivant
les périodes, de capacités à
intégrer, ou à exclure. Qu'en est-il
aujourd'hui ?
1. Le lien social issu du travail est-il en crise ?
a. Les transformations des emplois engendrent la
crise
Après 1945 était apparue une norme d'emploi
caractérisée par le plein emploi, des
emplois stables, des assurances sociales liées au
travail et par un salaire minimum. Mais avec le
développement du chômage, des
emplois précaires, des temps partiels
subis, on peut se demander si la cause des cas
d'exclusion actuels ne réside pas dans la
dégradation de la condition des
salariés. Le lien social en crise aurait alors
pour origine : le travail !
Un emploi précaire ne permet pas à
l'individu de consommer comme les autres. Il ne peut pas
faire de projets à long terme ou encore
prétendre à des positions
hiérarchiques élevées. Ses relations
sociales à l'intérieur de l'entreprise sont
limitées et il ne peut pas développer son
capital social. La multiplication des travailleurs
pauvres pose ainsi un problème
d'intégration.
b. Les mutations de l'emploi ne suffisent pas
à expliquer la crise du lien social
À l'opposé de cette thèse, on peut
dire toutefois que la population active n'est encore que
minoritairement touchée par la
précarité du travail et que le taux de
chômage élevé est accompagné
d'une protection sociale (indemnités chômage
par exemple) conséquente. La France est ainsi
moins exposée à l'exclusion sociale du fait
des problèmes d'emploi grâce à son
système de protection sociale efficace. Ce
n'est pas le cas de pays comme les États-Unis par
exemple.
2. L'État et le lien social
a. L'État dissout-il le lien social ?
Dans notre société, l'État a
joué un rôle important dans la construction
volontaire de la nation et du lien social. Les
contributions de l'État sont
nombreuses : l'école publique encadre
aujourd'hui 15 millions d'élèves et
d'étudiants, l'État est aussi patron et
emploie un grand nombre de fonctionnaires. De plus,
l'État protège par l'intermédiaire
de sa fonction d'État providence.
Il exerce une protection économique
(allocation chômage par exemple) mais aussi sociale
(accompagnement des chômeurs pour retrouver un
emploi avec le pôle emploi). Il combat l'exclusion
et crée une solidarité horizontale (des
bien-portants vers les malades par exemple) et
verticale (des plus
riches vers les plus démunis) entre tous les
citoyens.
b. L'État traverse-t-il une crise susceptible
d'engendrer la désagrégation du lien
social ?
La crise de l'État est manifeste si l'on observe
les difficultés de financement de la protection
sociale : les dépenses augmentent et les
recettes diminuent. L'efficacité des
dépenses est par ailleurs contestable, puisque
l'exclusion ou la pauvreté dans notre pays ne
diminuent pas, malgré les sommes allouées
toujours plus fortes en direction des plus
démunis. La crise de la dette des
États européens les pousse à devoir
faire des économies budgétaires qui se
répercutent sur la qualité de la protection
sociale.
L'État traverse sans doute une crise de
légitimité : les aides
sociales, les services sociaux intègrent
efficacement mais les actions de l'État continuent
de paraître insuffisantes car les objectifs
affichés (résorber l'exclusion) ne
parviennent pas à être pleinement atteints.
De plus en plus de discours s'élèvent
contre « l'assistanat » crée
par les aides publiques et des mesures comme une
contrepartie de 7 heures de travail pour les allocataires
du RSA illustrent cet état de fait.
3. La famille : dernier rempart ?
a. La famille fragilisée ?
Les mutations importantes de la famille (divorces,
concubinage, célibat, familles monoparentales...)
affaiblissent le lien social. Les ruptures familiales
semblent fragiliser l'individu et participer au processus
d'exclusion.
Robert Castel fait un
lien entre l'exclusion, l'emploi et la famille. Pour lui
l'exclusion est un processus. Un individu
touché par des problèmes d'emploi entre
dans une zone de vulnérabilité
où l'exclusion le guette si le lien familial est
lui aussi rompu. Malheureusement on ne peut que constater
un lien statistique entre le chômage et le divorce.
L'individu entre alors dans ce que Castel nomme la
zone de désafiliation où le lien
social est totalement rompu.
b. Une solidarité familiale encore
très forte
On note le maintien des formes de solidarité
entre les générations : les
échanges de services sont très nombreux
(garde des petits-enfants, cohabitation plus longue avec
les parents, aides financières...), les familles
forment des réseaux plus complexes aujourd'hui
mais pas forcément moins efficaces.
Les liens familiaux peuvent se renforcer après une
séparation car ils ne sont plus mécaniques
mais beaucoup plus électifs. Les individus
doivent alors faire des efforts pour maintenir ces liens
les plus forts possible. Les individus trouvent toujours
dans la famille un refuge moral et affectif dans
les périodes difficiles quelque soit la forme de
la famille.
4. Les nouvelles solidarités...
Les associations et les clubs forment des réseaux
importants qui tissent des relations entre les individus,
permettent à la socialisation de s'inscrire dans le
temps, en d'autres termes, au lien social de subsister.
Il semble que ces nouvelles formes de
solidarités jouent désormais le rôle
qu'ont pu jouer autrefois les solidarités de
classes, les syndicats, les partis politiques, et
l'apparition de nouvelles instances d'intégration
laisse penser que la société connaît
des capacités de réaction importantes face
aux crises.