Si l'application de la loi s'avère nécessaire pour
que règne la justice au sein d'un Etat, pour que les
citoyens dispose d'une égalité formelle, elle se
révèle insuffisante pour instaurer une
réelle équité. L'ensemble des lois
– si nécessaire qu'il soit pour rendre possible
la vie communautaire – ne propose jamais qu'un
schéma de justice imparfait au regard d'une justice plus
achevée soucieuse, au-delà du
général, des situations particulières.
1. L'application de la loi, condition nécessaire pour
créer l'égalité au sein de l'Etat
a. La justice comme égalité formelle
L'égalité formelle correspond à une exigence
du citoyen. En effet, celui-ci refuse de se soumettre à la
loi d'un Etat qui favorise impunément certains de ces
membres au détriment des autres. Il faut que l'Etat assure
l'équilibre des droits, sinon l'ordre social se trouve
menacé puisque rien ne justifie que l'Etat soit seulement
au profit de quelques-uns de ses membres.
La loi a donc vocation à créer une espace de
liberté partagé par tous de manière
identique. Elle veille à ce que chacun demeure dans les
limites qui lui sont imparties et n'empiète pas sur les
libertés des autres.
b. L'égalité comme principe né de
l'ignorance
L'exigence d'égalité naît d'une situation
d'ignorance, parce qu'il est impossible d'évaluer le
mérite individuel pour fonder une justice équitable
qui répartisse droits et devoirs en fonction du
mérite de chacun – c'est là le sens de
la justice distributive aristotélicienne –, on
opte pour un principe égalitaire.
Platon souligne dans son Politique (294 a) que la
loi constitue un pis-aller au regard d'une justice plus haute
incarnée par le philosophe-roi. Disposant d'une science
véritable, celui-ci serait à même de sonder
le mérite de chacun et d'instaurer une justice
équitable. En l'absence d'une telle figure, il faut se
résoudre à adopter des lois égalitaires.
c. La vertu de justice
En quoi consisterait ce mérite
célébré par l'équité ?
Sans doute dans une attitude vertueuse. Par là, on
désigne un comportement moral soucieux des lois et qui
veillerait à les respecter non par crainte d'une
quelconque punition mais parce qu'il en reconnaît la
valeur. Il ne s'agit pas tant d'accomplir des actes justes,
c'est-à-dire conformes à la loi, mais d'être
juste. En d'autres termes, l'action
– comme le souligne Kant dans les Fondements de la
métaphysiques des mœurs –
doit être faite par devoir plutôt que faite
conformément au devoir. L'intention n'est
pas la même. D'un côté, c'est la loi morale
qui dicte la conduite à tenir, de l'autre, c'est
l'intérêt.
2. L'équité excède la simple application de
la loi
a. La généralité de la loi
La loi parce qu'elle s'applique au plus grand nombre ne peut
embrasser l'infinité des situations particulières.
A cet égard, le rôle du juge s'avère capital
puisque c'est à lui que revient la charge d'adapter la loi
à une situation donnée - Aristote parle en ce
sens d'une attitude de prudence favorisant
l'équité. Le juge doit s'efforcer autant que
possible de mesurer l'intention qui a accompagné l'acte
délictueux. Aussi voit-on apparaître
plusieurs degrés d'application d'une loi.
Dans la Rhétorique (1374 a), Aristote
distingue entre la malchance qui ne renvoie à aucune
intention ni calcul, l'erreur qui fait référence
à un acte volontaire départi de toute intention
nuisible et le délit qui, lui, renvoie à une
intention clairement malveillante.
b. L'équité, une prudence nécessaire
Le juge doit incarner l'équité, cette vertu qui
conduit à considérer, non pas seulement l'acte
lui-même, mais encore les circonstances qui l'entourent.
Seule cette vertu peut conférer de la souplesse à
une loi qui ne constitue jamais qu'un cadre au sein duquel doit
se dessiner la décision du juge.
Jankélévitch insiste dans Les Vertus et
l'Amour sur la nécessité de
privilégier, quant à la loi, l'esprit
plutôt que la lettre :
« L'équité est totalisante,
c'est-à-dire tient compte de toutes les circonstances d'un
cas concret pour obtenir sur ce cas la vérité la
plus générale et la plus humaine, dût-elle
sacrifier la rigueur à cette
vérité » (tome II,
chapitre 7).
c. L'équité comme valeur
S'il est impensable qu'un jugement s'opère
indépendamment de toute considération
concrète, c'est bien parce que l'équité
apparaît comme une valeur primordiale. Sans elle, le
criminel serait identifié à son acte, il ne serait
plus envisagé comme personne mais cristallisé dans
son action. L'équité met en avant la liberté
humaine, cette possibilité indéfinie de faire
mieux. Mais pourquoi exiger de l'équité qu'elle
accompagne la loi ? Sans doute parce que le respect de
l'autre comme personne se donne comme impératif moral.
Ainsi affirme Kant, l'impératif catégorique nous
invite à toujours considérer l'autre comme une fin,
à faire valoir sa liberté, c'est-à-dire sa
dignité de sujet conscient.