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Les Confessions : lecture méthodique 2

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1. Présentation du passage

Ce que nous nommerons le second préambule précède immédiatement, dans le livre I des Confessions, le récit de la vie de Jean-Jacques et constitue donc un texte liminaire. L’incipit de cette autobiographie est original, dans le sens où elle ne s’ouvre pas sur les origines de l’auteur et ce depuis le préambule de 1850, le préambule de Neuchâtel de 1764 et ce texte que nous allons étudier dans cette perspective.

Dans cette première page célèbre, l’auteur présente la nature de son projet autobiographique : il s’agit d’en informer le lecteur de la deuxième édition tout autant que de le convaincre de la légitimité de cette entreprise. Ce préambule qui figure dans le manuscrit de Neuchâtel a été rédigé après le récit proprement dit des Confessions et publié en 1778 à une époque où la paranoïa et le sentiment de persécution de Rousseau avaient atteint leur paroxysme. C’est pourquoi le ton étonnant de ce préambule contraste avec le récit calme et posé des origines qui lui fait immédiatement suite.

Il s’agit d’un texte célèbre qui à la fois annonce et commente ce qui va suivre. Ce qui va surtout nous intéresser dans le premier axe c’est la manière qu’a Rousseau de dramatiser la présentation de son projet autobiographique ; dramatisation qui justifie la référence religieuse du titre de l’œuvre. Dans un deuxième temps, nous nous focaliserons sur la composition particulière de ce passage et en outre sur l’unité du dernier paragraphe. Le contenu du texte, à peine l’a-t-on lu, frappe par la vigueur du discours qui va jusqu’à la provocation et c’est pourquoi notre troisième axe consistera à examiner comment la volonté de se « confesser » publiquement conduit l’auteur à lancer un véritable défi au genre humain dans son intégralité à travers l’étude du destinataire de ce préambule.   

2. Le passage : Préambule « Intus, et in cute » p. 43-44

        

1 « A l'intérieur et sous la peau » 
3. Les axes de lecture
a. Présentation du projet
  • Restitution de la personnalité avec sincérité L’ « entreprise» que forme Rousseau se présente comme la restitution pure et simple de sa personnalité sans qu’il y ait le moindre doute de sa part sur la transparence de soi à soi-même. « Je sens mon cœur » écrit-il et cela semble lui suffire. La formule « Un homme dans toute la vérité de la nature » marque l’orgueil de son projet et en renforce la portée. Il est l’homme de la Nature parce qu’il a conservé la proximité ou du moins la conscience de nos origines perdues ou occultées. Rousseau s’offre le regard de Dieu lui-même : « j’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même » ; le livre étant la manifestation concrète de ce que Dieu a pu constater et de ce qu’il sait déjà sur lui. Il y a une sorte de glissement dans le texte qui fait passer de la sincérité à l’innocence, de l’aveu au pardon : le mécanisme reposant sur le fait que dire la vérité implique nécessairement l’innocence et que le fait d’avouer ses fautes constitue un pardon.
  • Egocentrisme et didactisme
     
    Pour se faire, c’est « je » qui parle et se montre comme le seul homme méritant le pardon. En trente lignes, le pronom personnel de la première personne est utilisé à 24 reprises sous la forme sujet, 8 sous la forme objet (« me, moi »), sans parler des nombreux possessifs (« mon, mes »). L’égocentrisme de l’auteur est significatif et apparaît dans des expressions telles « et cet homme, ce sera moi. » ou la mise en exergue, au deuxième chapitre, de la phrase nominale « Moi seul. ». Cependant, il faut noter que le projet autobiographique de Rousseau est doublé d’une visée didactique évidente. Les Confessions sont destinées à édifier ou à instruire les hommes et l’auteur entend montrer à ses « semblables » un homme « dans toute la vérité de la nature », c’est-à-dire un homme que la vie sociale n’a pas dégradé, qui a gardé la pureté originelle de la nature. De fait, dès les premières lignes, apparaissent les contradictions de ce projet : Rousseau se présente comme un homme exemplaire aux yeux de ses « semblables » et il se dit aussitôt « autre » c’est-à-dire radicalement différent, « fait comme aucun de ceux qui existent ». Est-ce à dire que les autres hommes et notamment ses lecteurs auraient dû, eux aussi, pour demeurer ses semblables, rester conforme à la « vérité de la nature » ?
  • Ambiguïté du moi L’autre ambiguïté du moi de Rousseau tient dans l’alternance et dans la confusion permanente qui existe dans le texte entre le moi du narrateur qui s’exprime dans des formules comme « je forme une entreprise […] j’ai dit le bien et le mal […] c’est ce dont on peut juger après m’avoir lu » et le moi de la personne. Or, il faut faire une distinction entre le moi de l’écrivain qui rédige ses confessions vers la fin de sa vie et le moi intemporel de l’homme Jean-Jacques. Bien entendu, il s’agit, en fait, du même être mais dans le déroulement de ce texte et plus généralement dans le récit des Confessions, l’auteur, l’artiste, l’écrivain ne cesse de défendre, par son talent, sa technique du discours, l’homme qui vient se confesser devant nous et devant Dieu (« je viendrai, ce livre à la main »). La question est alors de savoir si le narrateur adulte, maître en rhétorique, ne va pas reconstituer ou même inventer le moi biographique, ne serait-ce que pour lui donner une unité, une cohérence.

     Mais Rousseau affirme sa transparence comme un postulat, et la cohérence et l’unité qu’il essaie de donner à son œuvre se retrouvent dans la composition de ce préambule et notamment dans celle du troisième paragraphe.  

b. Composition du passage
  • Amplification progressive Le texte est construit selon une amplification progressive marquée visuellement par l’importance croissante des paragraphes depuis la présentation du projet dans le premier jusqu’à l’épanouissement de la vision apocalyptique. Il semble y avoir une progression parallèle entre la radicalité des propos et la paranoïa de l’auteur qui s’exprime pleinement en 1778. Le rythme est donné par des constructions en parallèle telle « je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon » qui insiste sur la sincérité de Jean-Jacques Rousseau même si, au sein de ce texte, il ne s’interroge pas sur les rapports qui peuvent exister entre sincérité et vérité. On peut, de fait, être sincère et tromper tout le monde, à commencer par soi. L’expression « j’ai supposé vrai ce que je savais avoir pu l’être, jamais ce que je savais être faux » explique que son travail d’écrivain va consister à dévoiler avec franchise la totalité de son moi : dès lors apparaîtront sa bonté foncière, son innocence d’homme vivant selon la nature. Il lui suffira alors de dire « Voilà ce que j’ai fait, ce que j’ai pensé, ce que je fus » pour être cru. Sa crédibilité est martelée et renforcée par l’anaphore « ce que ».
  • Unité du dernier paragraphe L’unité du dernier paragraphe vient du fait qu’il est tout entier bâti sur l’image du Jugement dernier qui l’ouvre et le ferme. L’expression « que la trompette du Jugement dernier sonne » fonctionne davantage comme un ordre que comme une possibilité. Le « Jugement dernier » n’est donc pas redouté et subi mais attendu et provoqué. L’emphase qui résulte de cette mise en scène dramatique est à la fois irritante car orgueilleuse et émouvante puisqu’elle traduit les obsessions profondes de Rousseau : l’authenticité absolue et la restauration de la communication avec autrui. C’est encore Rousseau qui organise la mise en scène finale : après avoir provoqué le « Jugement », il s’adresse à Dieu, auquel il n’hésite pas à donner un ordre en le tutoyant ( « rassemble autour de moi » ) tandis que les trois autres propositions juxtaposées sont autant d’ordres qui s’adressent à l’humanité : « qu’ils écoutent mes confessions, qu’ils gémissent de mes indignités, qu’ils rougissent de mes misères ».
  • Infériorité et supériorité Toute la gamme des émotions est suggérée ici et Rousseau apparaît, dans un premier temps, en position d’infériorité avec l’emploi d’expression péjoratives comme par exemple « indignités, misères ». Il semble d’autant plus inférieur à ses « semblables » que ses travers les font rougir et gémir. Cependant, s’il s’abaisse de la sorte, c’est pour se relever aussitôt et l’expression « qu’un seul te dise, s’il l’ose : Je fus meilleur que cet homme-là » constitue l’image finale et rétablit Rousseau dans sa supériorité.

     Ainsi rétabli dans sa dignité, il peut lancer un défi au genre humain qu’il considère comme un ennemi potentiel et le provoquer à loisir.

c. Un défi lancé au destinataire
  • Le thème de la provocation Ce texte est très fortement structuré par le thème de la provocation. Chaque paragraphe, variant les figures de style, débute par un défi : une hyperbole au premier « Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et qui n’aura point d’imitateurs », le deuxième débute par une phrase nominale « Moi seul. » tandis que le troisième est introduit par une proposition hypothétique « Que la trompette du Jugement dernier sonne quand elle voudra ». La syntaxe est emblématique de l’absolue certitude de l’auteur que ce soit dans l’affirmation : « je sens mon cœur et je connais les hommes » ou dans la négation : « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ». Aussi, chaque étape du texte présente-t-elle un degré supplémentaire dans le grand défi que Rousseau lance à ses semblables. On peut également voir dans ce défi une façon de jouer avec son lecteur dans le sens où comme il transforme son propre aveu d’innocence en pardon ( j’ai avoué donc je suis pardonné) et en acte d’accusation (je dis tout donc je suis innocent et les autres sont coupables) contre l’ensemble du genre humain, ce dernier, en le lisant est son complice et relève le défi qui lui est lancé. Ce n’est pas pour autant que l’auteur s’estime semblable à lui.
  • Une différence radicale
     
    Avec l’expression « je connais les hommes […] j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent » Rousseau érige en postulat sa différence irréductible d’avec l’humanité. Ce sentiment reviendra dans l’œuvre à travers le temps et l’espace de façon obsédante. Toujours à grand renfort de rhétorique via l’utilisation de parallélismes et d’antithèses, il se pose comme unique et revendique cette qualité  : « Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre ». La netteté de l’architecture des phrases fait croire à l’évidence de la “réalité” qu’elles traduisent de façon mimétique. Cette extraordinaire affirmation de sa singularité porte en germe et légitime toute la littérature autobiographique des écrivains de l’époque romantique marquée par l’exaltation du moi. Ce n’est donc pas seulement l’œuvre que constitue Les Confessions qui est unique mais son auteur lui-même ; plus exactement, c’est parce que le personnage des Confessions est unique que l’œuvre l’est. La valeur même de cet individu réside dans sa singularité irréductible et revendiquée comme telle : Jean-Jacques Rousseau ne cherche pas à se présenter comme valant « mieux » que ses « semblables » mais comme étant « autre » ; c’est-à-dire, qu’en étant lui-même, personne ne pourra prétendre être « meilleur ». Sa différence vaut justification de sa vie et de son récit. Le défi lancé à chaque être humain pris isolément est donc fort et l’est d’autant plus qu’il est ensuite lancé à l’espèce humaine toute entière.
  • Entre provocation et accusation Le troisième paragraphe pousse le défi jusqu’à la provocation. Lors d’une dramatisation surprenante, Rousseau convoque Dieu et lui ordonne de rassembler ses semblables autour de lui. Il organise ensuite une sorte de procès triomphal où d’accusé il se transforme en accusateur. La mise en scène de ce triomphal procès a pour objet de prouver l’innocence de Rousseau. Pour ce faire, le narrateur emploie le style direct et devient le propre avocat de son moi, c’est-à-dire, de l’accusé Jean-Jacques qu’il va défendre « hautement », « ce livre à la main ». Ce que nous lisons est donc un plaidoyer même si celui-ci se donne le ton de l’objectivité puisqu’il dit le bien comme le mal : « J’ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n’ai rien tu de mauvais, rien ajouté de bon […]». Mais déjà, le parallèle entre bonnes et mauvaises actions est faussé, déséquilibré avec un avantage net pour les bonnes actions : il y a deux adjectifs concernant les conduites répréhensibles « méprisable et vil » mais trois adjectifs se suivent dans une gradation savamment étudiées pour qualifier les conduites positives : « bon, généreux, sublime ». La provocation apparaît comme une ultime tentative de convaincre ses adversaires en les réduisant au silence.
Conclusion

Un tel début pour un livre intitulé Les Confessions a naturellement un caractère surprenant, extraordinaire voire pathologique. Il n’en demeure pas moins que Jean-Jacques Rousseau manifeste ici, à la fois, son grand art, toute la complexité de sa personne tout autant que l’originalité de son projet autobiographique qui aura beaucoup d’imitateurs malgré le défi lancé aux écrivains à venir. Convaincre semble également sous-tendre ce projet et le défi lancé avec emphase par l’auteur à l’humanité lui confère une force qui intimide et dissuade de le contester. Par ailleurs, de l’importance de la survie d’un manuscrit à l’affirmation d’une identité de fait entre auteur et objet de la narration, ce préambule procède d’une même volonté de créer un pacte avec le lecteur et d’éliminer toute possibilité de recours à la fiction.
L’originalité de Rousseau qui, quoi qu’il en dise, s’inscrit dans une entreprise autobiographique fondatrice instaurée dès Saint Augustin ou Montaigne, est de devancer les recherches de la psychologie et de la psychanalyse contemporaine sur l’irréductible unicité de l’individu en postulant avant Rimbaud « Je est un autre ». 

 

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