L'existence humaine suppose-t-elle l'oubli ?
Or, il est impossible de tout retenir. La mémoire est forcément limitée et toujours menacée par l’oubli qui apparaît à première vue comme une perte de conscience. L’oubli semble donc être une caractéristique propre de l’existence humaine.
En quel sens l’oubli peut-il alors être propre à l’homme ? Quel est son rôle, et dans quelle mesure l'oubli peut-il être à la fois nécessaire et bénéfique ?
Le temps pour l’homme est une « distension de l’âme », comme le dit Saint Augustin : l’homme a la capacité de retenir le passé (grâce à la mémoire) et, inversement, d’envisager le futur (grâce à l'« attente »). L’existence humaine se forge donc selon une double tension : à la fois mémoire du passé et attente de l’avenir. La mémoire, qu’elle porte sur le passé (dans le souvenir) ou bien sur le futur (dans la promesse) est donc bien ce qui caractérise l'homme.
Mais nous retiendrons que pour saint Augustin, il n'existe, fondamentalement, qu'un seul temps : le présent. « Du moins est-il limpide et clair que ni le futur ni le passé ne sont rien et que l'expression : trois temps, passé, présent, futur, est impropre, mais que peut-être l'expression propre serait : trois temps, un présent où il s'agit du passé, un présent où il s'agit du présent, un présent où il s'agit du futur. » (Confessions).
Alors que tous les autres êtres vivants vivent dans l'immédiateté, l'homme, lui, garde une trace de ce qu'il fait et son existence est orientée selon le sens qu'il donne au temps.
Par conséquent, l’oubli est une perte pour la conscience. Les absences de la mémoire sont considérées comme des lacunes. Ce sentiment de manque est redoublé par le fait que nous ne savons pas ce que nous oublions (puisque justement nous l’avons oublié). Ce qui nous manque nous échappe donc d’autant plus que nous ne pouvons pas même le nommer. Par conséquent, la mémoire semble davantage caractériser l’existence humaine que l’oubli. Cependant, si la mémoire nous constitue, ne peut-elle pas parfois nous détruire, au point que l’oubli puisse sembler nécessaire ?
Cet « oubli » imposé par l’inconscient est nécessaire à notre stabilité psychique. Pour que le « moi » parvienne à un certain équilibre, il est indispensable qu’il ne satisfasse pas tous ses désirs inconscients, notamment lorsqu'il s'agit de pulsions sexuelles. Tout ce qui est jugé insupportable, pénible ou bien simplement contraire à la morale, est expulsé hors du champ de la conscience. La conscience fait semblant d’oublier ce qui lui est difficile à supporter. Le refoulement se fait inconsciemment et involontairement, mais cet oubli est primordial.
Les lapsus, les rêves, mais aussi les symptômes névrotiques (angoisses, obsessions, phobies) révèlent le « retour du refoulé ». L’inconscient, en vérité, n’a rien oublié et cherche par tous les moyens à exprimer ce qu’il a gardé en lui. Cette forme d’oubli qu’est le refoulement est donc plus une fuite qu’une véritable libération. Notre conscience oublie ce qui la fait souffrir ou ce qu’elle n’ose retenir, mais l’inconscient, lui, n’oublie rien.
L’oubli libérateur ne peut donc pas correspondre au refoulement. L'oubli peut néanmoins avoir une influence salvatrice.
Dans l’Antiquité grecque, la divinité Léthé (l’Oubli) portait le nom d'un fleuve des Enfers. On raconte que les âmes des morts buvaient les eaux du fleuve pour oublier leur vie terrestre. Ayant complètement effacé leur passé, elles étaient ainsi prêtes à entamer une nouvelle vie en se réincarnant dans un autre corps. Les eaux du Léthé permettaient alors de mieux appréhender le passage de la mort à la vie : elles évitaient que le souvenir de la vie passée ne vienne toujours hanter les morts, et, inversement, que le souvenir de la mort ne bouleverse la vie.
Telle est la conception que Nietzsche a de l’oubli : l’assimilant à un processus physique analogue à la digestion, il explique que c’est une force active garantissant notre tranquillité. Sans oubli, il ne pourrait y avoir « ni bonheur, ni sérénité, ni espoir, ni fierté, ni présent », affirme-t-il dans La Généalogie de la morale (1887). Pour pouvoir vivre le présent et envisager l’avenir, il faut savoir passer le passé sous silence et « fermer temporairement les portes de la conscience ».
L’existence humaine suppose à la fois la mémoire et l’oubli : l'homme en effet sait à la fois apprendre du passé ce dont il a besoin pour vivre aujourd’hui et effacer au contraire tout ce qui pourrait continuer à le faire souffrir.
Freud, L’Interprétation des rêves (chapitre VII, § 1 : « L’oubli des rêves »), 1900.
Nietzsche, La Généalogie de la morale (II, § 1).
Seconde considération inactuelle (« De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie »), 1887.

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