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Eisenstein

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Objectif : préciser les enjeux du montage pratiqué par Eisenstein, définir son orientation générale (au-delà de chaque traitement particulier) ainsi que ses différentes modalités à partir d'exemples précis.

Le contexte culturel et politique dans lequel s'inscrit l'oeuvre d'Eisenstein est absolument déterminant.
Né en 1898, le cinéaste comme la plupart des artistes de sa génération (pour qui le poète Vladimir Maïakovski reste d'ailleurs une espèce de modèle, de père spirituel) est évidemment très marqué par la Révolution de 1917. Il fait partie pendant ces événements de l'Ecole des élèves-officiers ; il se joindra un peu après au camp des bolcheviks en s'engageant dans l'Armée Rouge jusqu'en 1920.

L'idéologie marxiste et léniniste occupe une place fondamentale dans l'ensemble de ses films, à la fois dans les oeuvres qui célèbrent très directement les grandes étapes historiques de la révolution de 1917 (« Octobre », 1928), et dans celles qui évoquent des événements d'avant 1917, ceux de 1905 par exemple (« Le Cuirassé Potemkine », 1925).

Dans d'autres plus pédagogiques encore, et moins situés historiquement, enseignent les fondements d'une vie soviétique non capitaliste (« La Ligne générale », 1929, récit de la naissance d'une coopérative, d'un kolkhoze) ; dans d'autres enfin, il trace le portrait de figures fortes de l'Histoire de la grande Russie (« Alexandre Nevski », 1938 et les deux épisodes d' « Ivan le Terrible », 1944 et 1946).

1. Un art intellectuel
a. L'art au service du réel
Après avoir été démobilisé en 1920, Eisenstein se voue entièrement à sa carrière artistique, sans perdre de vue toutefois, comme on vient de le dire, ses objectifs idéologiques.
Il choisit la voie de la culture prolétarienne, symbolisée par le groupe du Proletkoult dont il prend la direction du théâtre itinérant et où il commence à développer ses propres théories. Il emprunte ainsi le chemin de l'avant-garde (Il apprend beaucoup de Meyerhold), mais refuse le seul formalisme, l'art pur.

Selon lui, l'art doit servir un projet politique, social et pédagogique, il doit assurer l'enseignement destiné aux masses et leur faire comprendre le sens du réel. De ce point de vue, le cinéma est essentiel.
Chez Eisenstein, il ne doit pas reproduire le réel (il ne doit pas disparaître, se faire transparent), il doit au contraire décomposer ce même réel et le reconstruire en révélant son sens. Le cinéma d'Eisenstein ne cherche donc pas à décrire le réel, mais à le révéler...

La prise en charge d'une telle entreprise incombe au montage. Le destinataire en est évidemment le spectateur. Celui-ci doit comprendre le message qui lui est adressé en bouleversant sa propre conscience. Le sens de la réalité que propose Eisenstein ne tient pas en une image, ni en une suite d'images produite selon un principe de continuité.
Ce sens procède la plupart du temps d'une juxtaposition de plans créant un effet de rupture, seul le montage est donc en mesure de le diffuser. Le spectateur reçoit ce choc en même temps que le concept et l'idée qui l'accompagnent. Ainsi Eisenstein définit-il lui-même le fonctionnement de son montage intellectuel ou idéologique.

b. « Le Cuirassé Potemkine »
Dans Le Cuirassé Potemkine, la mutinerie des membres l'équipage est causée en partie au moins par la qualité de la viande qui leur est servie. On demande au médecin de venir constater que celle-ci est avariée, mais malgré l'évidence (un gros plan du lorgnon qui lui sert de loupe montre un nombre incalculable de vers qui grouillent sur la viande), il refuse de l'admettre.

Un peu plus tard, pendant la révolte des matelots, il sera jeté par-dessus bord. Sa chute sera alors suivie d'un même gros plan sur la viande pourrie, ainsi que d'un autre sur son lorgnon resté accroché aux cordages du bateau.
Ce montage permet à Eisenstein de rappeler la cause de la chute (la viande, le lorgnon qui avait bien montré qu'elle était pleine de vers), tout en l'informant du destin irréversible du Dr Smirnov (il est promis aux vers, à son tour, comme le confirme l'intertitre).

C'est bien le spectateur qui établit ce rapprochement, et qui éprouve le choc de ces images (accentué par la brièveté des plans) : il comprend ce qu'elles disent en éprouvant ce choc.
Le montage intellectuel mène à la signification à partir de l'émotion...

2. Un art dialectique
a. L'alternance de contraires...
La construction générale du Cuirassé Potemkine est d'une rigueur éblouissante. Elle repose sur l'alternance de moments contraires, sur des conflits (au sens le plus général) qui s'exposent, puis se résolvent et dont la résolution entre précisément dans un nouveau conflit (dont elle est le premier terme) qui lui-même va se résoudre, etc.

L'opposition des matelots aux officiers aboutit à une première répression (on va fusiller les mécontents), puis à la mutinerie (l'équipage prend possession du navire) : un nouvel état du monde se précise.
Un des membres de l'équipage (Vakoulintchouk) est mort pour sa cause pendant la révolte, son corps est déposé sur le port. Les habitants pleurent le martyr, puis l'enthousiasme de la révolution les gagne, ils se rangent du côté des matelots (nouvel état du monde).

Sur les escaliers d'Odessa, ils sont ensuite massacrés par les soldats (la scène est mémorable). Puis le cuirassé, pour répondre à ce massacre, tire sur le théâtre, siège de l'Etat major. La nuit, sur le navire, on attend l'arrivée de l'escadre amirale tsariste et l'affrontement qui va suivre. La tension monte quand les bateaux se rapprochent, mais ceux-ci, au dernier moment, ne tirent pas et laissent passer le cuirassé (nouvel élan fraternel de la révolution, dernier ordre du monde).

b. ... ou le montage des oppositions
Il est important de bien voir le mouvement qui se dégage d'un tel montage : une situation (l'injustice devant les vers) provoque une situation contraire (la répression de l'autorité), leur opposition est à l'origine d'une nouvelle situation (on va fusiller les mécontents) qui elle-même va s'opposer à une autre situation (la mutinerie de l'équipage), dont le résultat, même si la révolution est en marche, est triste (la population est endeuillée), mais qui va provoquer l'élan révolutionnaire de la foule (enthousiaste et non plus triste), etc., jusqu'à la fin du film.

Le mouvement est tel (thèse, antithèse, synthèse qui de nouveau engendre thèse, antithèse, synthèse à partir de laquelle se développe thèse...) que l'on parle de montage d'opposition ou montage dialectique. Il épouse la logique de la réalité telle que l'envisage le matérialisme historique dialectique.

c. Révéler le réel
Par ailleurs, chaque changement, chaque passage d'un état à un autre (la soumission de quelques uns qui vont probablement être fusillés laisse place à la révolte ; le deuil se transforme en joie révolutionnaire, etc.) est décisif. Ces passages sont pris en charge par le montage (le renversement des évènements est aussi formel, radical).
selon Eisenstein, ils sont l'expression du pathétique, ils produisent un effet très efficace sur le spectateur (ils provoquent sa propre exaltation révolutionnaire et lui font prendre conscience du mouvement de l'Histoire).

Un exemple très célèbre de ce passage est proposé dans La ligne générale. Les membres du kolkhoze ont acheté une écrémeuse. Lors de sa première utilisation, l'attente mêlée de scepticisme de la plupart des paysans se fait d'abord sentir.
Puis le montage accélère le rythme, une première goutte de lait va apparaître et c'est alors l'euphorie la plus totale, des visages pleins de joie alternent avec des jets de liquides qui sont de véritables feux d'artifices : il ne s'agit pas d'imiter le réel mais d'exprimer son sens profond (le passage soudain de l'attente à la joie, assuré par le montage, justifie cette profusion débordante et spectaculaire de lait).

3. Rompre avec le théâtre et la littérature
a. Refuser l'imitation du réel
Le cinéma d'Eisenstein est ainsi particulièrement remarquable par les effets de rupture, par les conflits et les chocs que son montage provoque.
Le cinéaste soviétique combat la fluidité du cinéma narratif, il rejette en bloc ce que le cinéma emprunte au roman et au théâtre, il remplace le héros par les masses (sauf quand il s'agit de représenter un modèle de la puissance russe, mais c'est encore autre chose), les personnages par le typage (chacun vaut par ce qu'il représente, ce dont il est l'archétype physique - ce qui évacue évidemment toute forme de psychologie personnelle), le récit ou l'intrigue (l'argument) par l'Histoire.

Il raconte pourtant toujours quelque chose dans ses films, il ne s'interdit ni le scénario, ni les acteurs (il se distingue de Vertov de ce point de vue), mais ceux-ci ne commandent pas à la forme, c'est bien le contraire qui se passe.
Quand une idée doit être exprimée avec toute sa force et pénétrer ainsi la conscience du spectateur, il n'hésite pas à transgresser les limites de la seule représentation (imitation).

b. Refuser l'illusion cinématographique
Quand il veut montrer la violence du massacre de grévistes par les soldats (La Grève, 1924), il refuse l'interprétation d'acteur. Il sait qu'une agonie simulée, même avec une grande qualité, n'exprime pas la réalité d'une agonie.
Alors il insère dans son montage, avant l'image des grévistes morts, des plans d'un boeuf qu'on égorge véritablement dans un abattoir. C'est le montage des attractions.

Ce montage consiste plus généralement à introduire des plans qui sont plus de l'ordre du gag, du cirque, que du récit romanesque ou de la représentation théâtrale.
Le spectateur n'oublie pas qu'il est devant un film, il n'est pas victime de l'illusion cinématographique, de sa transparence. Des grimaces s'adressent directement à lui (pour signifier la laideur et le faire réagir spontanément), des gags sont réalisés grâce au montage. On est plus proche de Méliès que de Lumière... L'effet sur le spectateur doit être le plus efficace possible.

Eisenstein combat la même illusion du récit cinématographique grâce au montage vertical. Ce montage vise à donner au son une autre fonction que la seule illustration de l'image : le son est ainsi monté avec la même liberté que l'image pour pouvoir lui aussi déployer ses propres forces (montage qu'il utilise dans Alexandre Nevski, 1938).

L'essentiel

De 1924 à 1946, Sergueï Eisenstein réalise six films achevés qui lui donnent l'occasion d'expérimenter divers types de montage différents : certains sont complètement tournés vers le spectacle, l'attraction foraine, d'autres prennent en charge l'expression et la logique du matérialisme dialectique.
La richesse de ces différents montages vise toutefois à servir les mêmes objectifs : éduquer les masses, leur révéler la signification de la réalité et de l'Histoire.
Ils partagent la même méthode, celle du choc, du conflit ou de la rupture... L'émotion est leur instrument privilégié, l'efficacité leur principal objectif.

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