L'essentiel
Si le Japon ne demeure pas à l'abri des crises
conjoncturelles qui agitent ses partenaires économiques,
ce pays a tout de même su s'adapter ou résister
à des situations que l'Europe mit parfois une vingtaine
d'années à encaisser. Cette différence
réactionnelle tient essentiellement à la
diversité complémentaire des moyens de
production.
1. Les agents du dualisme économique
La puissance japonaise est fondée sur l'énergie
dépensée au travail par tout un peuple, sur le
savoir-faire de ses entreprises et sur la volonté de
l'Etat d'en organiser le développement ; entre 1950
et 2000, le PNB est ainsi passé de 50 à
4 600 milliards de dollars.
a. La mixité des agents de production
Si l'Etat est historiquement interventionniste, il favorise
surtout la création d'entreprises publiques qui, une fois
devenues rentables, sont revendues au secteur privé.
Ainsi, la puissance et la vitalité de l'économie
s'expriment par cette diversité duale des entreprises. Si
les zaibatsus avaient été
démantelés par les Américains en vertu de la
loi anti-trust au sortir de la Seconde Guerre mondiale, des
conglomérats d'entreprises solidaires (keiretsus)
se sont reconstitués dès le début des
années 1950 ; sous l'impulsion de l'Etat, ils
intègrent en aval la diversité de la
production (industrielle, commerciale et bancaire) qui
leur assure une plus grande facilité de reconversion en
cas de crise. En amont, une multitude de PME regroupe
95 % des entreprises, 75 % des emplois et 53 % de
la production industrielle.
b. Souplesse, verticalité et transversalité
La politique incitatrice de l'Etat à la création
d'entreprises découle d'une volonté d'assouplir les
moyens de production. Ainsi, à côté des
keiretsus, le foisonnement sans cesse renouvelé des
PME assure à l'économie du pays l'absorption des
moindres crises conjoncturelles. En effet, ces PME sont
liées aux grands groupes par des relations contractuelles
qui autorisent leur restructuration permanente et une plus souple
adaptation aux lois du marché : le toyotisme et sa
logique productiviste en flux tendus.
2. Une autre logique économique
Dans un univers culturel où l'habitus est
fondé sur le respect de la hiérarchie et sur la
réciprocité, l'Etat a su faire valoir un
interventionnisme concerté en laissant se
développer la libre entreprise comme les regroupements
tout en recentrant les activités de chacun dans
l'intérêt supérieur de la nation.
a. L'expression libérale d'un dirigisme mesuré
Le réseau croisé d'entreprises publiques, de
keiretsus et de PME est guidé par des
sociétés de commerce (sôgô
shôshas) mandatées par l'Etat via le MITI
dans le but de rechercher de nouveaux marchés –
internes et internationaux – et de faciliter les
débouchés commerciaux des productions
manufacturées.
Si depuis l'extérieur l'image du Japon est celle d'un
libéralisme exacerbé, la réalité est
plus subtile : l'abnégation de l'individu et/ou de
l'agent économique masque(nt) la volonté de servir
et l'image et l'intérêt du pays. Sans conteste, la
réussite du Japon tient à cette souplesse
disciplinée dont on ne sait si elle doit être
présentée en modèle pour nos
sociétés européennes culturellement si
différentes.
b. Un système remis en question
Les accusations de protectionnisme que doit affronter le Japon,
la diversification des marchés, la multiplication des
influences culturelles, l'évolution récente de la
société japonaise –
caractérisée par l'apparition d'un individualisme
chronique au sein de la jeunesse et par la marginalisation d'une
partie de la population – sont autant de facteurs qui
remettent en cause les fondement culturels de l'économie
nationale. En effet, la Japon est condamné à ouvrir
son marché intérieur s'il veut poursuivre sa propre
mutation. Désormais, la jeunesse accepte de moins en moins
les contraintes d'un système dualiste qui forçait
l'adaptation passive des employés des PME, les mutations
abusives au nom du service rendu à la Nation, etc.
La réussite future d'un Japon en pleine mutation ne
réside plus seulement dans l'adaptation de ses
entreprises à la conjoncture économique mais
davantage dans les réponses qu'il saura apporter
à une population culturellement ébranlée
par une certaine mondialisation des échanges et des
modes culturelles.