Enjeux et difficultés de l'autobiographie

Montaigne précise qu’il écrit ses Essais dans un but « domestique et privé » et les œuvres autobiographiques de Stendhal correspondent à une démarche égotiste.

• Pour mieux se connaître
Dans la lignée de la tradition socratique du « Connais toi toi-même », l’écriture autobiographique permet à l’écrivain de se replonger dans ses origines, de retrouver son enfance et de tenter de comprendre ses traumatismes.
Ainsi, Annie Duperey tente dans Le Voile noir (1991) de revenir sur la période qui a précédé la mort accidentelle de ses parents. Charles Juliet, dans Lambeaux (1995), part à la recherche d’une mère qu’il n’a jamais connue.
L’introspection peut alors revêtir une dimension psychanalytique, comme ce fut le cas pour Leiris qui écrit L’Age d’homme (1939), parallèlement à sa psychanalyse. Sartre, quant à lui, revient sur son enfance pour mieux la démystifier et comprendre les origines de sa vocation.

• Pour le plaisir de se souvenir
L’écriture autobiographique n’est pas forcément liée à un traumatisme mais peut aussi être motivée par le désir de retrouver un paradis perdu, celui de l’enfance. Rousseau décrit dans ses Confessions (1770), le bonheur lié à l’innocence de ses premières années.

• Pour se justifier
Rousseau en écrivant Les Confessions, rédige son propre plaidoyer qui doit l’absoudre des accusations injustes qu’on porte contre lui.

• Pour laisser une trace et défier la mort
Chateaubriand avec ses Mémoires, érige un monument d’outre-tombe qui le fait entrer dans l’éternité.

• Pour laisser un témoignage
De nombreux rescapés des camps ont écrit pour témoigner de ce qu’ils ont vécu. Primo Lévi publie ainsi au lendemain de la guerre Si c’est un homme (1947) afin que personne n’oublie les déportés, Perec justifie également l’écriture de son livre W ou le souvenir d’enfance par ce devoir de mémoire : « Quoiqu’il arrive, quoi que je fasse, j’étais la seule mémoire vivante, le seul vestige de ce monde. Ceci, plus que toute autre considération, m’a décidé à écrire. »

L’autobiographie nécessite un recul qui entraîne des oublis et des déformations. Sarraute écrit Enfance à 83 ans, La Vie de Henry Brulard de Stendhal est parsemée d’interruptions et demeure inachevée. Certains auteurs choisissent de combler ces trous par leur imagination, d’autres se contentent de les constater.

L’autobiographe n’est jamais totalement objectif et ne peut échapper à la reconstruction ou à la réinterprétation des événements passés, comme le note Gide « les mémoires ne sont jamais qu’à demi sincères, si grand que soit le souci de vérité : tout est toujours plus compliqué qu’on ne le dit. » (Si le grain ne meurt). Mauriac, de son côté, affirme : « nous finissons toujours par nous justifier » (Commencements d’une vie).

Il est souvent difficile de trouver les mots justes et le style qui parviendra à retranscrire les émotions passées : « comment peindre le bonheur fou » s’interroge Stendhal dans un passage de La Vie de Henry Brulard.
Pour rester au plus près des sensations, Sarraute choisit une écriture à la fois sobre et poétique ; Annie Ernaux, elle, opte pour une écriture blanche, c’est-à-dire neutre, dans Une Femme (1989).

Souvent, l’autobiographe ne se contente pas des formes traditionnelles de l’autobiographie, mais invente une forme nouvelle plus à même de retrouver le temps perdu. Ainsi Perec juxtapose dans W ou le souvenir d’enfance (1975), un texte fictif proche de la contre-utopie et un texte authentique qui se présente comme une autobiographie très lacunaire. Juliet mêle dans Lambeaux biographie et autobiographie, toutes les deux écrites à la deuxième personne du singulier. Sarraute imagine dans Enfance (1983) une œuvre dialoguée qui retranscrit une conversation avec sa conscience.